Au sein de la scène black hellénique traditionnelle,
Tatir fit figure d’outsider. Un second couteau un peu oublié aujourd’hui, ayant émergé dans le sillon des maîtres d’alors : les
Rotting Christ,
Varathron,
Necromantia et consorts. En retard d’une poignée d’années rapport aux classiques, victime qui plus est d’une carrière éphémère, mais trônant pourtant parmi les meilleurs espoirs pour pérenniser un style né à la fin des années 80,
Tatir aurait en effet pu briller davantage et s’assurer une place au milieu des cadors de la scène, mais un manque de motivation, et peut-être aussi d’originalité, tua l’entité dans l’œuf. Malgré un excellent feedback dans la presse underground, les quelques dizaines de cassettes auto produites ne suffirent bien évidemment pas à promouvoir le groupe, et il était jusqu’en
2012 plutôt ardu de se procurer l’une de leurs sorties, jusqu’à ce que
Kill Yourself Productions propose une compilation regroupant l’intégralité de la discographie du groupe, soit deux démos et un formidable EP unreleased qui donne d’ailleurs son nom à l’opus.
Formé durant l’année 94 par Hiérophante, vocaliste et leader de la formation, le groupe recrute Filid of
Carpathian Forest pour assurer les fûts et s’assure les services d’un guitariste / bassiste session en la personne de Necrolord (pas le suédois), futur Goat
Vomit, Wampyrinacht et
Naer Mataron. Ainsi paré,
Tatir débarque au
Storm Studio d’Athènes à la mi 95 (anciennement Molon Lave), LE studio du moment niveau black metal grec, LE passage obligé pour obtenir ce son si unique et tellement identifiable, celui duquel sont déjà sortis de grands albums : Thy Mighty Contract et
Non Serviam, His
Majesty at the
Swamp et
Walpurgisnacht, Eosforos, Eumenides ou
Dawn of Martyrdom (
Rotting Christ,
Varathron,
Thou Art Lord,
Kawir,
Agatus). Références qu’il n’est pas gratuit de rappeler tant elles servent de vivier au jeune
Tatir qui y puise le plus gros de son inspiration.
Pour capturer la première offrande du groupe, le patron du
Storm en personne, le fameux
Magus Wampyr Daoloth, leader de
Necromantia, ingé-son ayant déjà manipulé les potards pour la majorité de la scène black du pays et talentueux claviériste ayant participé à modeler ce fameux son hellénique au sein des groupes les plus prestigieux, qui se permet ici de poser ses keyboards en tant que guest pour conférer à
Tatir cette atmosphère antique et occulte si envoûtante.
Intitulée
Dark Autumn Nights, cette première démo d’à peine 10 minutes pose les bases du style de
Tatir : un riffing lourd rappelant presque
Celtic Frost (l’étonnant "Vastland"), agrémenté de passages en son clair ou de nappes de clavier du plus bel effet, se mutant en accélérations peuplées de linéaires grec traditionnels ("Long
Lost Woods").
Puis c’est le retour au
Storm l’année suivante avec une seconde démo intitulée
Fons Acheroni. Necrolord devient un membre à part entière tandis qu’un certain
Lord Necrorium (futur
Chaosbaphomet) vient poser sa flûte. Dès lors, le style de
Tatir s’affine, se complexifie et prend toute sa mesure dans un paysage mythologique et païen.
Sur les deux morceaux de cette nouvelle démo, on oscille entre passages lents dotés de nappes de synthés antiques et accélérations typées
Rotting Christ avec le riffing en palm mute qui va bien (
Non Serviam est tout proche). Le chant est toujours aussi misanthropique, avec cependant des déclamations tantôt rauques, tantôt claires, apportant un plus au côté magique et ténébreux de l’affaire, déjà mis en avant par un solo bien mélancolique et par la flûte de Necrorium qui confèrent tout deux au second morceau, "The Invitation of Heralds", un côté presque folklorique faisant ainsi se rapprocher
Tatir d’un groupe comme
Kawir.
A noter qu’à l’instar de la première démo, la batterie n’en est pas une, bien que la boite à rythmes utilisée fournisse comme celles des précédents groupes passés au
Storm - studio si petit qu’il était à l’époque incapable d’accueillir une vraie batterie – un son plutôt naturel.
Mais c’est finalement le EP avorté de 96 qui se taille la part du lion dans cette compile. Enregistré cette fois au Studio 5, toujours sous l’égide de
Magus Wampyr Daoloth qui pose de nouveau ses somptueuses nappes de clavier, cet EP nommé Cave of Ephyras… to the
Infernal Fields, voit enfin le jour, coincé qu’il était sur les DAT poussiéreuses du groupe depuis plus de 15 ans, en proposant un black metal inspiré bien que référentiel.
"The Drawl of Naiad" constitue à ce titre là le point d’orgue de la galette avec un mélange d’éléments folk apportés par la flûte et ces accélérations prenantes, si typiques, si jouissives, à grand renforts de trémolos étouffés et d’un superbe solo exécuté par Faceless, un nouveau membre mystère. L’émotion est palpable et des grands noms viennent immédiatement en mémoire, ces gardiens du temple que sont
Varathron,
Rotting Christ (époque
Triarchy notamment) et même pourquoi pas le fabuleux premier album de
Agatus, tandis que la caution païenne rappelle toujours
Kawir.
Tatir se permet même de réenregistrer le terrible "Vastland" de sa première démo, agrémenté cette fois d’un solo et de parties flûtées en accord avec la nouvelle orientation du groupe, offrant ainsi une coloration ancienne aux gros power chords du riff principal.
Toujours dans l’optique très tendance d’aujourd’hui d’exhumer des discographies entières (qui s’en plaint ?),
Kill Yourself Productions, label grec des années 2000, s’engouffrait déjà dans la brèche en cette année
2012 en sortant cette compilation d’un groupe aussi confidentiel que talentueux, ayant parfaitement su digérer les influences des géniteurs de la scène pour délivrer un black metal authentique et foutrement bien gaulé, sorte de croisement entre le côté prenant d’un
Rotting Christ et d’un
Varathron agrémenté d’éléments folks à la
Kawir, conférant à l’ensemble un style que
Tatir qualifie lui-même de "Archaic Black
Metal", dans le sens antique et mythologique du terme.
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