Budapest, 17 août 1984. Reposés et détendus les membres d'Iron Maiden font face à la presse locale. Les journalistes semblent être des passionnés bienveillants mais l'exercice de la conférence de presse est toujours source de tension derrière le Rideau de fer. Face à des médias formatés par la pensée de l' "avant-garde" révolutionnaire, le statut de star anglo-saxonne n'est pas facile à assumer sans passer pour un vil capitaliste crachant sur le prolétariat mondial. Rapide et habile mise au point du bassiste: "Quand on écrit ou joue une chanson à laquelle on ne croit pas, comment peut-on s'attendre à ce que le public s'accroche?" Développant l'idée qu'il ne saurait jouer une musique ne lui plaisant pas, il ajoute cette clarification indiscutable: "Je préfèrerais être balayeur, Je l'ai été d'ailleurs". L'intégrité de Steve Harris, travailleur acharné et modèle de proximité avec son public a toujours fait mouche, forçant l'admiration.
Aussi combien d'entre nous ont dans leur prime jeunesse rêvé, fantasmé cette échappée? Comment ne pas imaginer l'événement? Bien sûr le temps a passé. L'Anglais a évolué et sa formation est devenue, non pas poussive comme beaucoup le pensent, mais simplement mature. Le prochain opus de qui-vous-savez ne sonnera pas comme du
Piece of Mind, c'est dommage mais on a 25 ans seulement une seule fois dans sa vie... L'attente puis donc l'oubli, au mieux un vague espoir de voir 'Arry pondre une oeuvre plus personnelle. Le 24 septembre
2012, après quelques semaines de promo, la surprise de la rentrée se faisait une petite place dans les bacs des disquaires survivants!
Connaissant notre bonhomme, on pouvait s'attendre à des influences aussi britanniques que possibles, de U.F.O à Jethro Tull. Et c'est bien dans cette voie qu'il faut chercher pour qualifier la musique proposée ici de
Hard Rock anglais pur jus. Mais qui sont donc les acolytes du père Harris? Au début des années 90, Grahame Leslie (guitare) et Richard Taylor (chant) avaient séduit l'intéressé par le biais d'une démo. Soutien discret de Steve puis split du groupe
British Lion, la fin de l'histoire semblait acquise. Il faudra donc une nouvelle fois compter sur la loyauté et l'abnégation du supporter de West Ham pour maintenir la flamme. Il y a quelques années le projet a repris corps et Harris s'est crédité sur d'anciens titres bénéficiant de nouveaux arrangements. Enfin, au fil des breaks de Maiden, le groupe a composé de nouveaux titres de manière collégiale autour de son nouveau leader. Afin de bénéficier d'une exposition décente pour lancer son projet, le nom du groupe est utilisé en second plan un peu à la façon d'un lancement de projet de Ritchie Blackmore.
L'entrée en matière est pourtant désastreuse malgré une introduction bizarroïde durant laquelle plane l'ombre d'un certain Tom Morello. Le son étouffé et désagréable gâche le morceau This is my
God. Première impression: le spectre de l'omnipotence nous ramènera aux pires directions artistiques jadis empruntées (Virtual XI,
Lauren Harris ou la production famélique du pourtant remarquable
Dirty Deeds). Bon écoutons l'ensemble avant de porter un jugement quelconque sur une oeuvre tout de même mixée par le Sud-Africain Kevin Shirley à son studio personnel, l'enregistrement étant partagé entre le Royaume Uni et le Portugal. Les moyens sont donc bien présents, et la production, sans être flambante au vu des standards de
2012, reste passable.
Production irritante donc, mais le contenu de ce
Lion Britannique ravi l'auditeur par sa variété, sa légèreté et le plaisir évident des cinq compères. La voix de Richard Taylor, par ailleurs beaucoup décriée, s'accommode bien des parties les plus mélodiques. Manquant d'agressivité le bougre est bien à la peine sur l'enchaînement le plus Heavy de la galette, à savoir
Karma Killer suivi de Us Against the World. Sur ce dernier titre , on se trouve sur les rives de la Vierge de Fer et il est difficile de ne pas imaginer
Bruce Dickinson forçant les amplis. Le bon vieux
Hard à papa se prête pour le reste à merveille au style des quinquagénaires. Les parties de guitare très aériennes se succèdent sans temps mort. Le jeu de Steve, sans en faire des tonnes, reste clairement identifiable.
The Chosen Ones avec son riffing à la
Thin Lizzy botte le cul. A World Without
Heaven se montre aussi radicalement efficace dans le rôle de la cavalcade mid-tempo. Rien à jeter pour le reste même si certaines pistes sont particulièrement mémorisables telles These are the
Hands et plus encore la "commerciale" mais excellente
Eyes of the Young au fort potentiel. On saluera aussi la prise de risque finale offerte par The Lesson, belle balade portée par le clavier d'un David Hawkins tout en retenue et en émotion.
British Lion laisse une impression confuse malgré une écoute appréciée. Un zeste de nostalgie, une pincée de déception et un gros morceau de bonheur remonteront bientôt à la surface comme un corps vite ficelé balancé au fond d'un lac. Nombreux sont ceux qui ont tiré sur le choix du chanteur, mais pour Steve Harris le lien avec Richard Taylor s'imposait et résultait de sa foi dans un projet, des musiciens, bref un groupe. L'escapade est belle et conforme à ce que l'on pouvait attendre d'un homme cohérent avec ses racines et sa position d'artiste majeur. Restent les bémols liés au son peu percutant et au chant, sans lesquels j'aurai volontiers attribué la note de 16/20 à ce LP sorti alors que plus personne ne l'attendait.
Et en plus, j'aime bien le chanteur. Si si :-)
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