- Papa ? C’est quoi ce gros CD avec des dromadaires et un gros soleil ?
- Ca ? Malheureuse, mais c’est un vinyle original de Santana ! (1 bon point à qui retrouve l’album !) De la très bonne musique, je te ferais écouter !
- Et ça Papa, c’est quoi ce gros CD avec du sable et une drôle d’écriture ?
- Montre-moi… Ah,
Robin Trower !! Son fameux album
Bridge of Sighs de 1974 ! Viens t’asseoir, on va l’écouter…
Il y a quelques jours, grâce à ma fille de presque 4 ans qui « fouillait » dans mes vieux vinyles j’ai réécouté un album qui m’avait profondément marqué il y a une dizaine d’années mais que je ne n’avais pas sorti depuis bien deux ou trois ans, pris dans l’infernale spirale metallique et par la flemme de sortir des vinyles que je ne possède pas en cd ! Ainsi, pendant que la future relève écoutait avec ferveur un album sorti quand son grand-père avait 20 ans, je me disais qu’une petite chronique déterrant
Robin Trower de son oubli était un bon moyen de me replonger dans le Blues-Rock des 70’s…
Le 9 Mars 1945, pendant que plus de 100 000 habitants de Tokyo mourraient dans d’atroces souffrances sous les bombes incendiaires américaines et que les soldats français dont mon grand-père sont attaqués par surprise en Indochine par les Nippons, naît dans la perfide
Albion le fameux guitariste
Robin Trower… et exactement 38 ans plus tard votre narrateur !
Robin Trower, après avoir crée à 17 ans seulement avec Gary Brooker en 1962 le groupe de rock prog tendance psychédélique The Paramounts, intégrera avec le même Gary Brooker le groupe Procol
Harum, célèbre notamment pour le slow A Whiter
Shade Of
Pale en 1967 (inspirée de 2 mouvements de Bach)… où pour cette chanson uniquement
Robin Trower est remplacé par Ray Royer !
Mais oui, rappelez-vous ! En 1967, pendant que le Che vit ses derniers jours, que la télé couleur arrive tout doucement dans les foyers français et que la Guerre des 6 jours est finie à peine commencée, les ados de l’époque font un énorme succès au slow de Procol
Harum dans les « booms » de l’époque, radio calée sur
Europe 1 à l’heure de Salut les Copains ! Qui n’a jamais tenté d’emballer sur cette chanson, la tronche pleine de boutons d’acné et les mocassins à glands aux pieds, et plus tard pour ceux qui étaient ados à la fin des 70’s la chemise col pelle à tarte grande ouverte sur un torse aussi velu que la tête de Yul Brunner ?!
Le succès de cette chanson fort peu représentative du style du groupe agacera tellement les membres qu’ils refuseront de la jouer en concert pendant presque 10 ans…
Robin Trower développe ainsi chez Procol
Harum son jeu fortement marqué par Jimi Hendrix : une bonne vieille Fender Stratocaster alliée à un ampli
Marshall pour le son chaud et saturé, gamme pentatonique et mode dorien admirablement interprétés à sa sauce grâce à un gros travail au vibrato et des petits coups de médiator qui donnent à sa musique des teintes parfois aériennes, forte utilisation des accessoires type wha-wha, voire Fuzz Face Arbiter, Uni-Vibe,
Cry Baby… Nous sommes à la fin des années 60 et côté musique et guitare, toutes les expérimentations sont de mise grâce à l’émancipation de la jeunesse… et aux progrès de la technique : pédales d’effets, amélioration de la saturation et de la réverbération des amplis, etc…
Proche de celui de Jimi Hendrix, le jeu de
Robin Trower n’est pas non plus une banale copie ou du plagiat. Tout comme le regretté Stevie Ray Vaughan quelques années plus tard, il s’en inspire pour créer son propre jeu : plein de feeling, dans des rythmiques syncopées et chaloupantes accompagnant de touches subtiles le chant, parfois des riffs acérés, ou des solos souvent longs et créatifs alliant une dextérité peu commune pour l’époque à un sens mélodique lyrique certain… le tout prenant sa pleine force en
Live où le jeu de scène fort peu spectaculaire de Robin était compensé par des improvisations incessantes !
Hélas, son jeu flamboyant très proche du Blues s’adapte de moins en moins au style « rock baroque progressif » de Procol
Harum et en 1972 il décide de prendre son baluchon et de quitter la galère en perdition (le groupe se séparera en 1977).
En 1973, accompagné du trop méconnu James Dewar au chant et à la basse (ex Stones The Crow, décédé en 2002) et par Reg Isidore (décédé en 2009) à la batterie,
Robin Trower sort l’album Twice Removed For Yesterday. Cet album de Blues-Rock flirtant avec le
Hard (de l’époque !) fait bien sûr penser à Jimi Hendrix ou Jeff Beck mais dans des sonorités et des intonations bien particulières. Apprécié par la critique et les fans de Blues-Rock, il n’est pourtant que le tremplin au second album de sa discographie, à mes yeux son chef d’œuvre : l’album
Bridge of Sighs.
En 1974, pendant qu’Eddy Merckx gagne le triplé Giro /Tour de France / Championnat du Monde, qu'arrive VGE alors que Nixon démissionne « grâce » à Gorge Profonde (non non, pas Linda Lovelace !!) et que le Portugal met des fleurs aux fusils sort donc le fameux album
Bridge of Sighs, certifié Double Disque d’Or dans l’année et élu Disque de l’Année par Guitar Player !
Sous sa pochette arabisante on verra que le jeu de
Robin Trower s’épanouit et s’éloigne doucement des rivages hendrixiens pour trouver sa propre route : constructions différentes, sons orientaux ou ambiances « planantes » à base notamment de sons naturels (vent)…sans atteindre la technicité et la saturation plus
Hard qu’il aura à partir de l’album suivant (For
Earth Below)
Le jeu aérien de Robin est parfaitement accompagné par la voix chaude de James Dewar, une voix qu’on pourrait croire venir d’un chanteur black de Soul de l’époque (que personnellement je retrouve quelque peu en écoutant Phil Lynott, autre chanteur bassiste célèbre !) et par le jeu très jazzy de Reg Isidore : frappes principalement des cymbales et du charleston et des toms mais utilisation plus parcimonieuse de la grosse caisse/caisse claire pour un jeu en finesse et si besoin fort rapide, plus proche d’un Michael Shrieve ou d’un Buddy Miles que du style plus brutal de Keith
Moon ou de
Cozy Powell.
En cette année 1974 qui verra les débuts de
Kiss et
Judas Priest et les radios squattées par ABBA et « Love Is All » de Glover/
Dio,
Robin Trower parfois classé
Hard-Rock / Guitar Hero est ici loin du
Hard-Rock pratiqué par exemple par
Led Zeppelin ou
Deep Purple ou du style habituel des Guitar Hero (vitesse effarante, technique mise en valeur, solos interminables, etc...) : on est plus proche du Blues-Rock /
Power Blues pratiqué par Rory Gallagher, Johnny
Winter, les premiers Eric Clapton (son album 461
Ocean Boulevard qui s’éloigne de son style habituel sort d’ailleurs cette année-là) voire de Franck Zappa, Peter Green ou Peter Frampton dans certains morceaux à la frontière du Blues et du Funk-Rock. La guitare n’est jamais démonstrative, la technique ne cherche jamais à être mise en avant… mais l’émotion ! L’émotion, cette sensation impalpable, si difficile à déterminer et néanmoins indispensable à l’écoute d’une musique, oui l’émotion est là et ne vous quitte pas des premières notes jusqu’aux dernières.
L’album est à peu près partagé à parts égales entre morceaux pêchus («
Day of the Eagle », «
The Fool and Me », « Little Bit of Symphaty » aux airs de Santana ou «
Too Rolling Stoned » de plus de 7min avec un solo absolument sublime) ou morceaux proches des ballades (le fabuleux titre éponyme, « In This Place », « About To Begin »), et dans tous les cas les harmoniques et les arpèges sont joués tout en douceur, les riffs et les solos de manière plus directe pour accentuer l’impact quand cela est nécessaire.
Le son est très bon pour l’époque (je ne possède que le vinyle d’origine, je ne sais pas ce que donne la version cd) avec la voix et la guitare bien mises en avant et une balance stéréo particulièrement réussie pour l’époque.
Après cet album plein de sensibilité,
Robin Trower musclera quelque peu ses sonorités et ses compositions pour approcher du
Power Blues mais ne retrouvera plus l’intensité de cet opus où tous les morceaux sont indispensables et pleins d’émotions.
Malheureusement oublié de presque tous aujourd’hui, ce grand guitariste auquel quelques grands ont rendu hommage (Eddie
Van Halen, Neil Young, Eric Clapton,
Opeth…) mériterait qu’on se repenche sur sa belle discographie des années 70.
Vous aimez l’énergie du Blues-Rock ? Vous aimez les voix chaudes et envoûtantes ? Les solos bourrés de feeling sans démonstration stérile ? Si oui, enfilez vos pattes d’éph, vos lunettes à la Giscard et vos colliers indiens et courrez dénicher ce petit bijou !
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