Liste des groupes Black Metal ECR.LINF Belluaires

Ecr.l'inf, un nom étrange, qui laisse me pensif quand j'essaie de le déchiffrer, une double barre de rides de concentration au milieu du front : Ecrire l'information ? Ecreter l'infime ? Écrevisse l'infortunée ? Trêve de plaisanterie, ce nom est tiré d'une phrase de Voltaire (Vol.taire?) : "extirper l'infâme", qui est devenu "écraser l'infâme" et enfin "Ecrelinf", qui lui a servi de slogan contre l'obscurantisme. Et "Belluaires", le nom de l'album ? Ce sont des gladiateurs se battant à mains nues. Ma jauge de culture générale vient de prendre deux points, elle est pas belle la vie ?

Le groupe est né en 2022 avec l'envie de faire du black metal sans chercher à rester dans ses codes. Chez Ecr.Linf, on trouve Krys Denhez (Demande A La Poussière, ex-Jarell) au chant, Dorian Lairson (ex-Jarell) à la guitare, Jiu Gebenholtz à la basse, Jean Lassalle (pas celui que vous croyez, ex-Jarell) et Rémi Sefarino (Igorrr, ex-Svart Crown, ex-Hyrgal) à la batterie. Les morceaux ont été composés à la base par Krys Denhez et Dorian, avec ensuite l'apport du bassiste Jiu. Dorian Lairson a pris en charge lui-même toute la direction artistique, si j'ose dire, du projet Ecr.linf. L'aspect visuel est très soigné, d'abord ce logo aux pattes de mouches rappelant l'écriture du sanscrit, puis cette pochette très classieuse où le doré de cette pièce ancestrale semble vraiment en relief, et enfin la vidéo de "Le désespoir du prophète" que Dorian et Khrys ont réalisé eux-mêmes.

Le premier album de Ecr.linf a été enregistré au Lower Tones Place Studio par Edgar Chevallier, et est est paru le 22 mars 2024 chez Source Atone Records pour la France, et My Kingdom Music pour le reste du monde.

Dès le début de "Le désespoir du prophète", Écr.linf vous rentre dedans sans vous demander votre avis. S'il y a bien une chose qu'il écrase impitoyablement, c'est le champignon, avec de long blasts électrisants et aussi complexes que détaillés, si on tend l'oreille. D'où l'intérêt de compter dans ses rangs un batteur aussi expérimenté et talentueux que Rémi Sefarino, qui pose des fondations rythmiques sans faille à l'édifice Ecr.Linf.
Le combo prend le temps de bien développer ses compositions, cinq bonnes minutes en moyenne. Les riffs sont bien lisibles, efficaces pour s'imprimer dans la rétine auditive (ça n'existe pas, je sais). Il n'hésite pas à s'aventurer loin, hors des terres "rassurantes" du black, sur des morceaux plus lents ou aérés. Le presque progressif "Missive" commence par des notes de guitares claires, et ressemblerait à du Tool percuté par Gojira. Le black métal peut se trouver sous une forme plus pure sur le "Tribunal de l'Âme" ou "La Danse des Crânes", ou le riffing rejoint les canons du genre. Il y a même quelques éléments industriels comme les accords dissonants sur "Valetaille", l'outro bruitiste triste "Feu Pâle" qui ferme l'opus, ou encore ces patterns robotiques sur le début et la fin reposante de "Le Royaume du Vide", qui montrent que le groupe tente sans s'arrêter aux à priori.
Le fait que Krys n'utilise pas des screams typiquement black facilite le voyage et expatriation dans d'autres styles. Sa façon de gueuler, rageuse et primale, est plutôt grave, plus vers le hardcore que vers le guttural. Sa diction est carrément compréhensible, et cela renforce l'impact du chant, alourdi du sens des mots .
"Belluaires" est profondément ancré dans le Français, par sa langue avec des textes profonds et très travaillés, aux nombreuses références à la littérature, et aussi par l'usage ponctuel d'instruments comme l'accordéon, sur "La Danse des Crânes". Si on reproche parfois au black metal d'être nihiliste dans ses textes et ses thèmes, l'approche de Khrys Denhez fait plutôt usage d'une lucidité tranchante et éclairante.
Les claviers sont bien intégrés dans le mix, comme un paysage en arrière plan des guitares, avec lesquelles il entretient une relation complémentaire. Ils installent un poison de manoir hanté dans certains passages tordus ("Le Royaume du Vide"), ou au contraire une douceur mélancolique dans "Mon Ultime Projection". C'est sur "La Danse des Crânes" qu'ils sont le plus mis en avant sur des refrains réfrigérant la moelle le long de la colonne vertébrale.

Le groupe a un côté tueur qui n'est pas sans évoquer Gojira (qui ferait du black), avec des riffs imparables où il se dégage une impression de surpuissance. Pas de prod au rabais ni d'amplis suraigus, la mise en son, comme on dit chez France Cul.ture, est précise et met en valeur chaque instrument pour procurer un effet maximum. Le seul défaut de ce disque serait qu'il commence tellement bien sur ses trois premiers titres, qu'on ressent un petit décrochage dans son milieu, avant de finir très fort avec le dévastateur "Mon Ultime Projection" et "Valetaille".


Avec "Belluaires", Ecr.linf a livré un premier album impressionnant, apte à attirer les amateurs de metal extreme vers le côté black de la force. C'est aussi certainement une première étape solide dans leur début de carrière ; je n'imagine pas qu'il puisse rester un enfant unique.