La volonté de tout classer de certains, associée à l’élargissement du monde metal, a donné lieu à l’apparition de dizaines d’étiquettes plus ou moins ésotériques pour qualifier les nouvelles mouvances. Vous avez certainement déjà entendu parler du “Love
Metal” de
HIM, ou du “Pirate
Metal” d’
Alestorm, mais connaissez-vous le “
Metal Tribal” ?
Abinaya est probablement l’un des pionniers en France de cette mouvance, jouant un Heavy
Metal lourd, parfois Thrash, accompagné de rythmiques tribales et parfois de mélodies orientales. Le quatuor se tourne vers l’Asie d’une manière générale, mais s’il y a un pays dont l’influence est dominante c’est bien l’Inde. Le nom du groupe signifie d’ailleurs “Transmettre” en Sanskrit, l’ancienne langue de l’Inde. Le combo garde néanmoins une attache (et pas des moindres) à la mère patrie : le chant en français.
En effet, depuis leur premier opus, intitulé “Corps” et sorti en 2009,
Abinaya a choisi sa langue natale pour s’exprimer. C’est un choix courageux, car la langue française aura plus de mal évidemment à accrocher un public non-francophone, mais cette décision prend tout son sens lorsqu’on entend le chant d’Igor. Les paroles, très soignées et finement écrites, accordées au phrasé particulier de M.Achard font tout le charme de la formation. Remarquons aussi que le line-up d’
Abinaya comprend désormais un percussionniste en plus du batteur, et là aussi ce détail prend toute son importance lors de l’écoute. Cela créé une section rythmique particulièrement riche et dense, qui apporte un vrai plus aux morceaux. Anecdote plutôt surprenante : le batteur, Nicolas Vieilhomme, est non-voyant, ce qui le rend encore plus méritant, surtout lorsqu’on écoute les parties de batterie dont il se fend.
Dès le premier titre, éponyme, on entre de plein pied dans le monde d’
Abinaya, un monde fait de riffs secs et lourds, de mélodies virevoltantes, d’ambiances orientales et de chant torturé. Il y a vraiment de quoi être impressionné avec ce début d’album : les percussions et les sonorités orientales offrent un exotisme étrange et rafraîchissant, qui garanti au groupe une originalité certaine. Le refrain de ce
Beauté Païenne est particulièrement réussi et entraînant, ce qui, avec un judicieux solo de guitare, permet au morceau de rester intéressant tout au long de ses huit minutes.
Abinaya ne retente pas l’exercice de morceaux longs, mais ne perd toutefois pas en qualité ni en richesse sur la suite de l’opus, qui se révèle très dense au fil des écoutes. Haine propose (comme par hasard) une musique plus véloce et agressive, avec des riffs graves et un chant particulièrement convaincu et convainquant. Le refrain, mélodieux et original, dévoile même des cris guerriers pour un côté plus épique. Deux titres jouent dans un registre plus calme (de manière générale bien sûr) où le chant prend plus d’importance : Almées et Noir Soleil. Sur les deux la voix singulière d’Igor Achard se fait remarquer, décrivant tantôt une scène de désolation, tantôt ses questionnements intérieurs. Ces morceaux plus doux ont aussi l’avantage de mieux faire ressortir les percussions, parfois laissées un peu en arrière.
Le Nouvel Insurgé (à Jules Vallès) se fait plus incisif, presque violent, avec des riffs tranchants et une batterie dévastatrice qui contribuent grandement à l’efficacité du titre. Ici on est vraiment dans un domaine plus sérieux, et les textes sont beaucoup plus revendicatifs, tel Jules Vallès se révoltant contre la bourgeoisie : “Hier le mur sanglant du Père-
Lachaise / et là, la traque des mêmes boucs émissaires / Les dieux, la bouffe, les codes vestimentaires / Ont remplacé la peur du prolétaire”.
Outre cette dimension légèrement plus extrême de la musique d’
Abinaya, ce morceau de clôture se révèle un peu moins intéressant que le reste sur un plan purement musical, la faute certainement au côté tribal moins présent, qui est pourtant la force du combo. Un dernier titre que j’aimerais évoquer, tant il m’a touché personnellement est L’Epitaphe. L’ambiance se fait plus mélancolique, malgré une vélocité encore présente et une lourdeur constante. Les textes sont toujours aussi fins et bien trouvés, voyez plutôt : “Les lettres sur les tombes, m’apparurent tout d’abord sibyllines / Puis, nettes et bien claires, gravées par des mains féminines”. Igor fait de plus ressentir son désespoir lors de screams judicieusement placés et jubilatoires.
La première prouesse que réalise
Abinaya est de proposer une musique vraiment originale et audacieuse avec une identité propre ; la seconde est de parvenir à l’interpréter de la meilleure manière possible pour la rendre attrayante. Créer un album cohérent avec des compositions percutantes était alors loin d’être évident, mais le défi est remporté avec brio. Cela doit certainement beaucoup aux parties vocales d’Igor, interprétant des textes très travaillés avec une conviction impressionnante. Il prend même le parti de passer à l’anglais à deux reprises, avec une justesse incroyable (Nord-Sud et Noir Soleil). Intégrer un percussionniste à la formation n’était pas facile non plus, mais
Abinaya réussit à lui donner autant d’importance que les autres instruments (ce que
Korpiklaani n’avait pas réussi à faire par exemple). On regrettera seulement des guitares qui ne servent trop souvent qu’aux riffs, hormis le temps de quelques soli ; on aurait ainsi aimé les entendre pour plus de mélodie.
Abinaya se place assurément en OVNI par rapport à la scène metal française, et même à la scène metal tout court. Des similitudes peuvent être évoquées, notamment avec Roots de
Sepultura ou encore l’œuvre d’
Orphaned Land, mais les ressemblances restent vagues. Voici un groupe original qui pourrait bien créer la sensation !
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