En 2013, d'obscurs trublions réunis sous le patronyme de
Malemort sortaient une première œuvre du nom de
French Romances. Loin de tous les canons de l'époque en matière de
Metal puisque refusant de se positionner clairement dans un genre précis, et surtout quelconque, ce disque adoptait des tournures tantôt Thrash, tantôt Punk, tantôt Alternatif, tantôt Rock, tantôt Heavy... Cet opus était également habité par une poésie désuète douce amère et par une atmosphère inhabituelle délicieusement passéiste. Ses chansons étaient écrites dans un français remarquablement fin, brut et intelligent. Le tout était accompagné d'un chant hargneux médium singulier très en phase avec son expression plurielle et d'une imagerie vintage empruntée à la révolution industrielle du début du siècle dernier. Tout ça pour dire qu'un premier album, et un groupe, aussi insolite et atypique, dans un monde aussi formaté que celui dans lequel nous vivions, et nous vivons toujours d'ailleurs, aurait dû passer totalement inaperçu. Pourtant, étonnamment, par un prodige que les plus acharnés en mal d'authenticité n'osaient plus espérer, ce ne fut pas le cas. Il récolta, et ils récoltèrent, un joli succès critique.
Nous voilà donc trois ans plus tard avec entre les mains, et surtout entre les oreilles,
Ball Trap, le second opus de ce collectif. Musicalement rien n'aura véritablement changé.
Malemort continuera, en effet, de s'affranchir ici des genres pour nous proposer un mélange très personnel dans lequel semble cohabiter à la fois Blankass, System of a
Down,
Metallica, Matmatah (sans toutefois le côté bretonnant), Iron Maiden et Noir Desir. Autant de noms qu'au fond chacun pourrait entrevoir au gré, çà et là, de quelques intonations, mélodies ou fioritures. Ou pas, car en réalité, la musique de cette formation est si variée, hybride, rafraichissante et si, encore une fois, personnelle que la liste pourrait être toute autre. Pour définir son art
Malemort utilise le terme "
Metal Libre" et, à dire vrai, c'est peut-être ce qui lui correspond le mieux.
Pour ce qui est de l'aspect visuel et des artworks proposés ici, une fois encore, ils sont très empreints du passé. Cependant, cette fois-ci, ils se nourrissent davantage des années folles, de la première guerre mondiale, des romans noirs, de l'art nouveau, des cabarets et du
Paris des années 20 plutôt que de l'acier et des usines. Ce travail est l'œuvre de Nicolas Dubuisson et sied parfaitement à ce disque.
S'agissant des textes, ils sont à la fois recherchés et percutants comme autant d'histoires "cousues de fils barbelées". Ils dépeignent le parcours initiatique d'un jeune homme durant le chaos artistique de cette première partie du 20ième siècle.
Pour finir sur les points positifs à mettre au crédit de ce
Ball Trap, notons également la qualité de ses refrains. Quelques écoutes suffiront, en effet, à vous en convaincre et à vous les mettre en mémoire (Mille Regards, Brûle, Madame, Cabaret Voltaire, Mon Nom, Vaille que Vaille, Carnival Cannibale...).
Fort de toutes les vertus décrites jusqu'à présent Mille Regards au préambule très âpre et aux refrains superbes ou Mon Nom au final acoustique habile nous régalent. Tout comme d'ailleurs l'incroyable Madame à la musicalité très intéressante ou l'excellent et très Rock Cabaret Voltaire à l'entame et à la conclusion accentués par de splendides passages en sourdine où piano et guitares se mêlent pour nous offrir l'ambiance des music-halls de ces temps-là. Trois morceaux splendides mais qui ne seront pas les seuls.
Arrivé à ce stade de ma démonstration le lecteur tatillon, et courageux d'avoir enduré le calvaire de la lecture d'une critique aussi élogieuse (au passage merci pour ça), se demande si mon esprit d'habitude éminemment plus critique n'aurait pas été fourvoyé par quelques rétributions du genre le rajout de mon nom dans les remerciements du livret de ce
Ball Trap (au passage merci pour ça) ou, pire encore, par la folie pour encenser aussi pleinement et aussi manifestement cette œuvre? Je dirais, pour ma défense, déjà, que l'objectivité totale est un vœu pieux. Et, ensuite, que cet opus n'est pas exempt de défauts.
Lesquels me direz-vous? Et bien sa durée d'à peine 39 minutes peut-être. C'est court. Ça passe vite. Cela dit, deux tiers d'une heure intense valent mieux que trois ou quatre ennuyeux et interminables. Ces chants alors, et surtout ces mots, que d'aucuns pourraient vouloir être davantage mis en avant pour une meilleure compréhension et dans une langue plus universelle que ce français compliqué à exporter? Peut-être. Cela dit, là encore, difficile d'en tenir rigueur à
Malemort puisque cette difficulté aura pour conséquence de nous obliger à nous plonger dans le livret et à en lire le subtil contenu. Un mal pour un bien en somme. Quoi d'autres en ce cas? Je n'en sais rien.
Mouais.
Pas très convaincante la plaidoirie censée défendre ma bonne foi et mon intégrité.
Quoi qu'il en soit, pour conclure (et cette fois-ci pour de bon), beaucoup de groupes se targuent de posséder un univers. Ce qui est vrai...souvent...parfois.
Malemort, quant à lui, est un spécimen beaucoup plus rare puisqu'il possède le sien. Un univers dans lequel il puise cette musique métissée et polymorphe qu'il nous offre, en cette fin d'année 2016, sous la forme d'un
Ball Trap, une fois encore, somptueux.
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