J'habite sur une île minuscule, battue par les vents, où il y a deux maisons, cinq ruines, et une chapelle. Je serais tout à fait tranquille, s'il n'y avait Gertrude (guertroudeu, pour les int...), expatriée teutonne de 91 ans, et pratiquante assidue. A ses yeux ridés, j'étais quelque chose comme un bouc satanique, qu'il faut ramener sur le droit chemin. Tous les samedis matins, elle faisait l'office dans la chapelle vide, sonnant la cloche à toute volée, et criant des psaumes dans son français guttural. Mon deux pièces de 1762 est juste à coté de la chapelle, et à 11h du matin, je dors. Un jour, pour l'emmerder, j'ai précédé sa venue, et j'ai initié une battle de sermons...
Il y a quatre ans, les norvégiens d'
Extol renaissaient à la surprise générale avec un dernier album sobrement appelé "
Extol". A la fois puissant, torturé, mélodique, lourd et aérien, il synthétisait à merveille la musique de cet étendard du Death
Metal Progressif Chrétien. Death metal, et Chrétien dans la même phrase, ça me stresse fortement, et ça rime avec Christine Boutin normalement, mais c'est une autre histoire... Il se trouve que c'était aussi le chant du cygne du groupe, en raison de graves problèmes auditifs de son chanteur Peter Espervoll, récurrents depuis plusieurs années.
Ole Børud, guitariste emblématique du groupe, semblait avoir mis un suaire sur
Extol, et sur le metal. On l'a même vu dans certaines vidéos compromettantes faire du Jazz Rock tout ce qu'il y a de plus entrainant, en groupe, et à plusieurs reprises.
Pas très catholique, j'en conviens, pour un gratteux de Death metal.
Heureusement, quelques mois plus tard, le brave Ole était sur la voie du repentir, en montrant timidement de nouveaux riffs saccadés et tortueux qui déchiraient agréablement l'oreille. Rapidement, l'envie de remonter un groupe le prît. Il baptisa celui-ci Fleshkiller, et vît que cela était bon. Il se mît en quête d'apôtres, pour porter la bonne parole : le bassiste Ole Vistnes (de
Shining), le batteur Andreas Skorpe Sjøen , et pour finir Elisha Mullins (
The Burial), à la guitare et au chant.
Après une longue gestation -par l'opération du saint esprit, bien sûr- le moment tant attendu est enfin arrivé. Le divin enfant s'appelle "
Awaken", il a une belle bouille de tête de mort et des ailes d'ange décomposé. La pochette de l'album, très réussie, fleure bon l'os broyé.
"
Parallel Kingdom" déboule à fond les ballons, rapide, sec comme un coup de trique de mère supérieure. La batterie est bien mise en valeur, arrosant généreusement de double grosse caisse les pêcheurs que nous sommes. Le son et le style de guitare d'Ole Børud est aisément reconnaissable, pour ceux qui connaissent
Extol : massif, abrupt tout en allers retours saccadés. Puis doux comme l'agneau quand il passe en arpèges angéliques. Le chant d'Elishah Mullins est assez varié, death mais pas trop growlé, parfois hurlé façon black, mais pas trop aigu. Efficace en diable, quoi.
On pourrait dire que Fleshkiller ont une approche stakhanoviste de sa musique, s'abreuvant dans le Jourdain du Death
Metal Old school, agressif, bien technique, mais sans tomber dans la démonstration. On peut dire la même chose du versant progressif se manifeste dans les arrangements nombreux, aériens, allant du très joli au magnifique, soulignés par les chœurs chant clair d'Ole Børud. Ce dernier cite abondamment Yes comme influence, et l'hommage s'entend, encore plus que dans
Extol. L'allégeance au prog se montre aussi dans la profusion de breaks, changements de rythme, qui ne laissent jamais l'auditeur se reposer.
Les dix titres s'enchainent, et forment un bloc compact Il faut bien quatre ou cinq écoutes pour s'imprégner des compos, même si dans chaque morceau, on est frappé du premier coup par un riff qui tue, un refrain évident, un enchainement contre nature qui retourne l'auditeur. On est un peu perdu dans cette caverne d'Ali Baba des riffs, mais, on sait qu'on va y retourner de nombreuses fois, et que l'album va procurer de nouvelles trouvailles à chaque exploration.
Autre chose, pour ceux que le prosélytisme chrétien agace, "
Awaken" est tellement agressif dans sa forme, qu'on peut tout à fait le prendre pour un album de Death "normal". A moins de lire les paroles, qui sont dignes d'une grenouille de bénitier. Et bon, Fleshkiller, comme nom de groupe, ça pète, et la pochette, je la veux en t-shirt.
La question est lancinante : est-ce que ça ressemble à du
Extol ? Oui et non. On reconnait d'emblée la glorieuse parenté du bébé, mais il est plus méchant, et plus mélodique, tour à tour, plus dans les extrêmes. On pourrait aussi les comparer à
The Faceless, si on arrive à oublier
Extol deux minutes. La dominante est clairement l'agressivité. Par contre, je mettrais bien mon billet que le morceau "
True Image" est un véritable morceau d'
Extol 100% pur joie céleste, à peine remanié. D'ailleurs, je le confesse, j'ai atteint l'extase à ce moment-là.
Vu l'accueil dithyrambique de la critique, qui a amoncelé les superlatifs et les 10/10 au sujet d'
Awaken, est_ce vraiment un futur album culte du metal progressif ? Pour être tout à fait objectif, je ne crois pas que Fleshkiller se soit encore trouvé, hanté par le fantôme de son aïeul, et qu'il lui reste à trouver sa véritable âme. C'est néanmoins du Death Progressif de très haute volée, plein de bonnes idées, avec un gros son et une belle énergie. On sent qu'il y a une sacrée marge de progression, et on attendra avant de leur tresser une couronne d'épines bien serrée.
Si le futur de Fleshkiller se forgera au fur et à mesure de la tournée qu'ils vont faire, il est aussi intimement lié à celui d'
Extol, qui peut tout à fait ressusciter comme il l'a fait en 2013. Est-ce juste un side-project de luxe, ou un véritable groupe appelé à se souder et à perdurer ?
Ce matin, je suis dans la petite chapelle de granit moussu, il est 10h50. Je suis derrière l'autel, cherchant dans la bible de deux kilos un psaume à envoyer dans les dents de Getrude. J'ai dans mon casque le morceau "
Evil Eclipse", qui a un petit coté blackisant dans sa progression d'accords et son chant haché. C'est mon tour de prêcher.
Hier, pas rancunière, elle m'a invité à boire une tisane chez elle. J'attends son regard acier et son sourire qui ne s'en laisse pas compter avec impatience...
Bravo pour la très bonne chronique, très complète et bien écrite.
La description que tu fais du truc m'intéresse, je vais aller jeter une ou deux oreilles là-dessus.
Merci pour la découverte, et au plaisir de te relire!
De rien, Icare : la raison d'être d'une chronique est de donner l'envie d'écouter un album, donc mission réussie ! Ca fait 1 - 1, ta chronique m'a fait acheter le dernier Septic Flesh...
Avec deux semaines de recul maintenant, je confirme les premières impressions. Ca fait vraiment un bloc, car j'ai tendance à l'écouter en entier à chaque coup. A force, on finit heureusement par différencier les morceaux. La note remonterait presque à 18. Le progressif, ça se conserve bien...
Merci pour cette chronique qui se lit très bien et en entier parce que bien écrite et pas ennuyeuse. Amateur de prog., je suis convaincu de passer à l'écoute.
Melpo
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