Il aura fallu seulement une petite année à Austin Lunn, véritable stakhanoviste du Black
Metal américain et seul maître à bord de
Panopticon, pour donner un successeur à «
Roads to the North » et donc une fin à la trilogie conceptuelle mettant à l’honneur la nature sauvage (et ses habitants) annoncée il y a de ça quelques années. Cependant, après un opus aussi dense et varié, empruntant à égale mesure au Black
Metal, au Post-Rock ou aux instrumentations très Americana des racines ouvrières américaines, on était en droit de se demander si Lunn continuerait dans la voie de la diversification instrumentale, au risque de ne pas retrouver un équilibre si bien entretenu sur la galette de 2014.
Comme c’était le cas sur
Kentucky, rendant hommage aux hommes ayant dompté la nature vierge de cet état américain, l’album s’ouvre sur une piste folk de toute beauté mettant en scène les instruments traditionnels qu’on a pu entendre à foison chez les autres travaux d’Austin Lunn : banjo, dobro et violon se côtoient pour un rendu très « roots » américaines. Cette fois-ci par contre, le ton est moins agressif, plus reposé que sur les deux derniers opus. Il y est ici bien moins question d’un moonshine au coin du feu avec ses compagnons mineurs que d’une observation calme des grandioses montagnes de la jaquette, en aventurier pensif et solitaire.
Quant au côté Black de ce one-man band, on sent aussi que cet «
Autumn Eternal » annonce un changement de concept: dès « Into the
North Woods », bien que démarrant sur les chapeaux de roues, les leads se révèlent moins expansives qu’avant, plus mélancoliques et simples. Les riffs nerveux et déchirants, souvent accompagnés par un violon virevoltant, ne sont plus vraiment de la partie. L’auditeur peut directement sentir que Lunn a misé sur une certaine sobriété qui pourtant ne trahit jamais le son de
Panopticon : les cris haineux et lointains d’Austin sont toujours de la partie et la production sonne définitivement comme un opus du one-man band.
Car si l’essence des riffs et leads se simplifie, le rendu reste énergique et tumultueux : les blasts agressifs de «
Sleep to the Sound of the Waves Crashing » ou d’ « Oaks
Ablaze » rappellent cette grandeur épique de la nature que Lunn capture ici avec brio, et qui en mon sens culmine sur «
Pale Ghosts » ; piste clairement la plus Post-Black de la galette, aux tremolos absolument épiques et évocateurs d’une mélancolie forte et sincère envers des environnements vierges et fiers. C’est un peu ce qui a changé de «
Roads to the North » à «
Autumn Eternal » : si les ingrédients restent assez semblables, la haine s’est muée en mélancolie, le rejet en acceptation, la nervosité en calme, avec peut-être le désir de repartir de zéro. Cet état d’esprit n’est bien sûr pas unilatéral, et toutes les compositions jouissent admirablement d’une atmosphère propre.
Outre celles évoquées plus haut, on peut aussi s’arrêter sur « A
Superior Lament », au feeling grave et plus
Doom par instants, ou « The
Wind’s
Farewell » à l’atmosphère triste mais lumineuse et qui clôt l’album avec brio.
Pour ce qui est du contenu extra-metallique, il faut dire que Lunn a fait le pari de plus laisser de côté le Folk et laisser la distorsion s’exprimer, ce qu’il fait tellement bien qu’on ne peut vraiment lui en vouloir. Néanmoins, les breaks Folk n’ont pas totalement disparus et restent admirablement bien orchestrés lorsqu’ils font surface. Mention spéciale aux violons et violoncelle du milieu de «
Sleep to the Sound.. », véritable œil de calme au milieu de la tempête de la piste la plus agressive et négative de la galette. Le Post-Rock perd aussi un peu des plumes, on n’admirera pas ici de longues progressions limpides comme sur les fabuleux « Capricious Miles » ou « The
Sigh of Summer », mais «
Autumn Eternal » a plus d’un tour dans son sac, comme en témoignent les instrumentations grandiloquentes et martiales en fin d’ «Into the
North Woods », les blasts fulgurants accompagnés de chœurs et instruments à cordes épiques sur la piste éponyme ou le final au dobro accompagnant les derniers riffs lancinants à la guitare. Du grand art.
Cet hymne grandiose à la nature sauvage, que ne renieraient ni
Agalloch, ni
Saor ou
Gallowbraid, est servi encore une fois par une production à toute épreuve du sieur Colin Marston, se révélant indispensable pour faire respirer ce Black dense et fourni. Le rendu de la batterie est encore meilleur que sur «
Roads to the North », avec ce petit écho et une belle définition rendant chaque coup clair et précis, ce qui fait justice au jeu toujours aussi nerveux et précis de Lunn, décidément puissant et conquérant derrière ses fûts. Les instruments à cordes en arrière-plan viennent complémenter avec brio les compositions, insufflant un lyrisme fort et imposant à cette œuvre plutôt monumentale, dont le chanteur est aussi expressif que sur toute la discographie du groupe: hargneux, la rage au ventre, criant son désarroi face aux murs sans âme des falaises de pierre noire.
Un an seulement après le grandiose «
Roads to the North »,
Panopticon revient avec un grand album, empreint de nostalgie et de mélancolie. Austin Lunn l’avait prédit en annonçant sur Facebook un opus plus porté sur les leads épiques et évocatrices rappelant
Agalloch ou
The Morningside, et on ne peut lui donner que raison tant la démarche fut exécutée avec aisance. Sans surclasser les deux albums précédents, «
Autumn Eternal » termine cette trilogie avec classe et sobriété, après être passé par l’hommage folk de «
Kentucky » et l’impénétrablement dense «
Roads to the North ». Moins folk et essentiellement plus
Metal sans jamais tomber dans la simplicité ni se trouver à cours d’idée, Austin Lunn confirme son énorme talent pour le Black
Metal et établit
Panopticon comme un des meilleurs actes américains du style : épique, intéressant et d’une classe sans pareille.
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