Pénétrer l’univers d’
Amebix, c’est noircir à jamais son âme et pervertir ses pensées, c’est s’enfoncer dans l’insondable et se rapprocher de l’inéluctable. C’est se noyer dans les miasmes nauséabonds de squats glauques.
Amebix joue son monde et vit sa musique.
Amebix se nourrit d’un monde qui a besoin de lui pour vivre. Symbiose des matières. Fusion de la Vie et de l’Art. Mais scission du destin et dysfonctionnement fatal. Jamais mérite et destin n’avaient été si disproportionnés et éloignés l’un de l’autre. Rarement dans ces sphères un groupe n’avait autant répondu aux mots : respect, inspiration, fascination. Fascination, mais fascination morbide pour un groupe maudit, marqué du sceau de la fatalité.
Le blanc devient noir, la joie, mélancolie et la vie s’efface…
Si le Chaos décidait un jour de se réincarner, sans nul doute qu’il choisirait
Amebix pour le faire, tant le parcours de ce groupe s’apparente à un chemin de croix. Portant son fardeau éternellement, banni des cieux du succès mais arrivé au paradis de la reconnaissance. Combien de groupe à se dire d’obédience " amebixienne " ?
Sepultura(qui a tout simplement nommé son album “
Arise” en hommage aux Anglais) ENT, et par extension, toute la vague crust. Un groupe au spectre d’influence inimaginable, du moins pour un groupe se disant punk. C’est bien là où le bât blesse.
Amebix ne se contente pas de cracher du " No future " maintes fois rabâché sous sa forme la plus primaire et la plus basique. Ni de balancer sa musique sur trois accords maxi.
Amebix a eu le temps de mûrir sa musique et de réfléchir son discours.
Il faut quand même se dire que le groupe est de la fin de 70’s, 1978 exactement, pour situer, pas loin des tout débuts de Maiden et juste après
Discharge, mais sortira son 1 er album… 7 ans plus tard. Alors que même la Vierge de Fer, qu’on cite généralement en exemple de persévérance, n’avait pas dû autant pousser les portes de la réussite (quoique Maiden a sorti sa démo en 79). Même leurs collègues d'
Antisect ont sorti leur album avant, c'est dire.
Courant 1978 dans le Devon, les frères Miller, Chris et Rob, décident de monter un groupe avec deux de leurs potes d’école Andy Jug et Clive, The Band With
No Name. Le ton est donné. Le quatuor enregistre une 1 ère démo de 6 titres avec les moyens du bord, c’est-à-dire dans leur piaule. Grâce aux contacts acquis avec son job de chroniqueur musical, Rob arrive à faire parvenir à Crass un exemplaire de la démo, lesquels charmés, les feront tout simplement apparaitre sur la compilation Bullshit Detector sur leur propre label, Crass Records. A la suite de quoi le groupe remanie ses rangs en engageant Martin à la place de Jug, époque à laquelle ils changent de nom. Désormais ce sera
Amebix. Que démarre ainsi la légende funeste…
C’est à partir de là que ça vrille. Le groupe déménage à Bristol et engage au passage un clavieriste. Et oui, un clavier dans un groupe punk. Chose rarissime pour être soulignée. Dès lors et pendant 4 ans les membres vont s’abandonner aux plaisirs artificiels (durs), volant leur pitance pour ne pas mendier – par principe-, errant de squats en squats. Le mode de vie crust était né.
Après une fournée d’Ep acclamés par la scène punk (Who’s The Enemy,
Winter et
No Sanctuary) et divers changements de line up, le groupe décroche en 1985 un deal sur le label de Jello Biaffra, Alternatives Tentacles, pour enfin, au bout de 7 ans, enregistrer leur 1 er album,
Arise!
Alors encore orientés assez anarcho punk sur leurs premiers ep, les Anglais vont carrément prendre la tangente metal, digérant du même coup toutes leurs influences à la fois;
Killing Joke,
Black Sabbath, Les Clash, Crass ou encore Motörhead. Involontairement,
Amebix va peindre la toile de fond sonore des crusties à gros coups de guitares rugueuses et lourdes et de contorsions structurelles. Si personne ne l’a fait avant, pourquoi pas nous? Tels ont dû être les mots de Rob, qui se fait désormais appeler le Baron.
Amebix décide d’aller sur des chemins tortueux, autant dans la musique en elle-même, que dans ce nihilisme exacerbé, leur thème de prédilection.
Lâchant son flot de riffs lourds et sombres, Le Baron, pallie son manque évident de grande technique par un jeu atypique et vif, sur une basse agressive et hyper saturée,remplissant l’atmosphère d’une infinité de résonances froides et cybernétiques, comblant l’espace d’un essaim de notes vaporeuses, agissant comme un vecteur, l’artère même de la chanson, nous dirigeant à sa guise dans les entrailles du désespoir amebixien, mais laissant au plus juste la place à Stig pour caler ses lignes de grattes et solis tantôt cristallins tantôt acides et
Spider ses parties de batterie nerveuses et riches en breaks.
La singularité d’
Amebix ne se situe pas seulement dans le jeu de basse particulier du Baron. Ni encore dans le chant, là aussi en rupture avec les standards habituels, avec ses vociférations et ses longues agonies plaintives. Ou encore avec l’utilisation d’un clavier – alors totalement inédit pour un groupe de punk dur – et ses frêles nappes se déversant avec indolence dans ce marasme. Non.
Amebix fait, défait, et re-construit ses morceaux avec le souci du détail, multipliant les plans bizarroïdes, les passages flottants, les accélérations vicieuses et les ralentissements visqueux où viennent mourir les mots et les râles. Le tout noyé dans un magma purulent d’où s’échappe un doux fumet de putréfaction, palpable et mauvais. Empêtrés dans ce destin miséreux, prédestinés à un déclin inexorable, mais à jamais voués à leur musique.
Amebix joue son monde et vit sa musique.
Quelle autre phrase peut mieux décrire ce groupe? Défricheur d’horizons et fol alchimiste des genres, rendant presque le punk technique, j’oserai dire. Avec un feeling déconcertant, les Anglais posent ici tout simplement les bases du crust tel qu’il sera dorénavant joué: lourd, metal, complexe, tordu, désespéré.
Amebix, cet enfant prodige du punk, celui qui a osé le mélange définitif des genres, mariant le message à la musique dans une union improbable, mais avec une réussite et un talent indéniable.
Amebix cet éternel crépuscule.
Le blanc devient noir, la joie, mélancolie et la vie s’efface…
Encore aujourd'hui les bassistes de crust s'en inspirent car c'est un des éléments clef qui explique ce son si crasseux !
Très bon groupe, magnifique album.
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