La dissonance. Sonner en dehors des grilles de lectures courantes et normées. Apport fondamental du
Metal dès les origines, elle reste l'outil privilégié pour qui veut insuffler cette aura occulte et sombre, cette présence palpable du malin ou plus largement ce souffle spirituel propre au Black
Metal, peu importe de quelle chapelle il est issu. Toutefois, bon nombre de groupes ont peu à peu compris en quoi marier ces dissonances avec la musicalité plus changeante et imprévisible du Death
Metal pouvait considérablement apporter en terme d'atmosphère pour retranscrire au mieux ce chaos sombre et rampant, ces abîmes aux tréfonds insondables et mouvants.
Apparatus est de ces formations là. Celles qui ont compris qu'explorer des "techniques" musicales nouvelles ou une élaboration de la composition, loin de tuer le propos en le perdant dans une masse dénuée de signification, pouvait au contraire le renforcer de manière admirable, voire faire surgir des possibilités nouvelles d'exprimer la noirceur labyrinthique désormais en musique. Ainsi, ces derniers, outre jouer de façon dissonante en continu, n'hésitent pas à sortir des gammes habituelles pour explorer de nouveaux horizons, avec notamment l'apport de la musique micro-tonale, à l'instar du groupe de Death
Last Sacrament, visiblement une influence majeure.
D'ailleurs, les musiciens qui composent le projet ne sont pas totalement inconnus puisqu'ils officient également chez
Defilementory. Ce sont les auteurs de l'excellent "
Dismal Ascension" de 2014, qui doit beaucoup au Death de
Gorguts. Mais, ici, le résultat est infiniment plus sombre, étouffant et ritualiste.
On a donc affaire à un
Black Death caverneux et complexe, dans la veine d'un
Abyssal ou d'un
Imperial Triumphant, introduisant en sus des parties lourdes et suffocantes que ne renierait pas le
Doom Funéraire.
Un simple coup d'oeil aux noms des titres suffit à nous renseigner sur la thématique : Lovecraft. Vu et revu sans aucun doute, mais toujours aussi effective et délectable. L'oeuvre de l'écrivain, plus pour l'univers fascinant et terrible qu'il a su faire vivre que pour ses capacités littéraires, reste indéniablement une référence dans laquelle une bonne partie du
Metal extrême tente avec des fortunes diverses, de puiser une inspiration. Mettre en scène et approcher les Grands Anciens est sûrement un des graals absolus du genre. Et ici, de par les partis pris évoqués précédemment, le groupe parvient aisément à tutoyer et évoquer les meilleurs, avec en premier lieu les incontournables
Portal, mais aussi
Mitochondrion (pour la composition) et
Antediluvian (pour le traitement sonore).
L'EP "
Demonicon", avec sa production abrasive et étouffée, contrastant habilement avec l'élaboration de la musique, proposait quatre titres dépouillés, immersifs et redoutables avec pour seul atour une voix occulte, prenant parfois des poses chuintantes ou incantatoires. Moins d'un an après ce premier jet d'excellente facture, abouti et mâture, arrive un album. Bien évidemment sans titre, puisque son propos est de rendre compte de l'indicible.
On constate immédiatement beaucoup plus d'ambition, déjà dans l'organisation des titres. L'album est subdivisé en trois "Sermons", pièces plus courtes, ambiantes ou acoustiques, hypnotiques. Dispositif similaire à celui dont a usé
Deathspell Omega sur le culte "Si
Monumentum...". La filiation est d'ailleurs pertinente, les deux utilisent un chaos musical savamment orchestré, tout à fait abouti et maîtrisé pour mieux appuyer cette atmosphère de ténèbres rampantes, ce rite impie dédié à quelques entités monstrueuses. Mais les ingrédients sont, eux, totalement différents, puisque
Apparatus fait avant tout du Death
Metal.
Une des forces de l'album est sa diversité vocale. Growls abyssaux, hurlements, cris décharnés, murmures sourds, voire chœurs presque tibétains (
Sermon II) et aussi des ricanements possédés. Cette diversité, si elle confère une identité certaine aux compositions permettant leur distinction, paraît parfois trop facile au vu de la musique radicale jouée ici et manque quelquefois de nous faire sortir de l'ambiance du disque. "Dissecting
Temporal Dimensions to Afflict The Abyssi of
Chronos" (ouf) avec son chant clair impeccable en partie centrale en témoigne.
L'autre limite est que, soucieux de varier ses riffs, la seconde partie de l'album se fait moins dissonante, plus "dans les codes". On reconnait des mélodies immédiates et des breaks marqués. Si le piano sur "Spheres" est absolument désaccordé (les fausses notes frappées de manière aléatoire), son retour sur "Miskatonic" est celle d'une mélodie conventionnelle sombre et légèrement mélancolique. Ces différences sont trop ténues pour qu'on puisse parler d'un cheminement, tout au plus faut-il y voir une volonté de renouveler le propos, quitte à sortir de la proposition originale. Même si la fin presque lumineuse et apaisée de "
Arkham" tend à contredire cela.
Toutefois, malgré ces écarts, l'album propose 47 minutes lourdes et oppressantes, dérangeantes et désarticulées, aux nombreux éléments annexes le rendant plus immersif que bien des sorties actuelles de la scène. Mais ne vous y trompez pas, l'ensemble reste éprouvant à traverser car les repères nous permettant d'apprécier la musique sont rares. Hormis quelques blasts très bien amenés et des moments clés grâce à l'excellente prestation vocale, il n'y a rien...Uniquement de l'ombre, du chaos putride et de la dissonance.
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