Les textes canoniques du christianisme se limitent aux quatre évangiles, aux actes des apôtres et à l'apocalypse de Jean (oui, celle de
666). Les premiers conciles éliminèrent un grand nombre de témoignages de la vie du Christ, à l'authenticité incertaine ou trop dérangeants pour le dogme qui s'élaborait peu à peu : ce corpus est désigné sous le nom d'« évangiles apocryphes ». Là vient l'inspiration d'«
Apocrypha », second album des Grecs de
Serpent Lord, passionnés par l'occulte et qui avaient introduit le sujet bien en amont (2020) avec un single au titre explicite de «
The Gospel of Judas ».
Formés depuis 2016, les jeunes de Thessalonique avaient agréablement surpris avec leur bon premier album de 2018, « Toward the Damned ». Ce Heavy
Doom cryptique augurait beaucoup de bien, même si leur volonté d'embrasser une trop large palette expressive diluait son impact : leur titre en langue grecque s'avérait judicieux et en congruence avec leur aura ésotérique (au moins pour un non-hellénophone), mais la ballade qu'ils s'étaient sentis obligés de présenter se révélait plutôt superflue.
Entre-temps,
Serpent Lord tourne beaucoup et apprend des groupes dont ils assurent la première partie, comme
Primordial,
Necronomicon et
Rotting Christ. Leurs primitives influences avouées,
Iced Earth,
Candlemass,
Mercyful Fate, mais aussi Death, dont ils font une cover de Sacred
Serenity en 2020, en sont rénovées. J'y ajouterai volontiers leurs aînés athéniens de
Heathendom, dont l’irréligiosité est ici remplacée par un caustique mysticisme. Un ésotérisme assumé renforcé par des inspirations bien digérées fait la force de ce second opus à la maturité affirmée.
«
Apocrypha » décline un Heavy moderne assis sur des fondements classiques, mais que viennent vivifier des emprunts à l'extrême.
Pas tant sur le plan musical proprement dit, en dépit de certains grésillements de guitare ou de riffs parfois incisifs, plutôt du côté de l'architecture des morceaux, bourrés de breaks et de variations stylistiques : on est moins dans du
Metal progressif que dans un groove Black
Metal. Même si, encore une fois, l'expression (notamment vocale) reste dans un pur Heavy. Interrogé à ce sujet, le bassiste Konstantinos Sotirelis s'en explique en citant un verset du très apocryphe évangile selon Saint Chuck Schuldiner : « Everything is Heavy
Metal ».
Amen.
Les musiciens sont vraiment très bons. On se régale avec les parties de basse de Konstantinos Sotirelis, impérial dans le soutien et souverain dans les breaks et les reprises (Love
Covenant, Damned to
Live, Humanity's
End...). Les guitaristes Giorgos Terzitanos et Lazaros Bouroutzoglou sont au top, devisent de façon plus concise que sur le premier album mais le font avec le meilleur à-propos (The Final Horseman, Divine Plane,
Hail ton Nothingness, Inner
Darkness,
Evil Source...). Marios Arikas est un chanteur de haute volée qui est pour beaucoup dans l’attrait de cette musique : son timbre évoque un peu Robert Lowe (
Solitude Aeturnus,
Candlemass). Capable d'une belle amplitude, tour à tour épique, intimiste et mystérieux, il est un ingrédient essentiel de la magie de la formation. Le batteur à l'énergie sans pareille et peu avare de la double pédale n'est pas crédité, le groupe en recherche un ; on supposera qu'il s'agit de celui de l'album précédent, Vaggelis Karafotis. Petite critique à ce niveau : la batterie est parfois mixée un poil trop en avant.
Une aura mystique imprègne
Apocrypha et lui confère une puissante cohérence, qui n'est pourtant pas synonyme d'uniformité, loin s'en faut. Chaque titre est une mosaïque d'ambiances intelligemment agencées, tandis que la succession de pistes à la complexité et l'intensité croissantes emporte l'auditeur dans un crescendo émotif qui culmine avec les morceaux finaux, les dévastateurs
Evil Source, Humanity's
End et
Cursed Roots.
Dans un album globalement très sombre ressortent le lumineux et interrogatif Divine Plane (avec la participation de Stu Blocks, ex-
Iced Earth), le heurté Love
Covenant que viennent adoucir des passages plus lents, dominé par un chant plus ample et Inner
Darkness, d'une emphatique musicalité chargée d'un singulier pathos où la voix chaleureuse d'Arikas est soutenue par des chœurs éthérés en arrière-plan.
Une attention extrême est apportée aux intros et outros. Les premières sont soignées, toujours diverses et souvent en contradiction dynamique avec le propos qui suit : traînante, accompagnée d'une voix récitative sur
Hail to Nothingness, suivie d'une lourde rythmique ; grêle et plombée, armée par la basse sur Divine Plane ; grinçante et tourbillonnante sur
Cursed Roots. Les sorties de titre, qu'elles soient brutales ou en arpèges plus ou moins brefs, évitent sans exception la facilité du fade-out ; on saluera notamment la fin vocale incantatoire d'
Evil Source.
Sans être savante, la composition est très travaillée, avec une belle dialectique entre parties rapides, sèches ou brutales et passages plus posés, plus amples : chaque morceau bénéficie d'une respiration qui le fait vivre et lui confère de la profondeur ; ainsi, le court passage atmosphérique et onirique qui vient aérer Humanity's
End. C'est la composition qui vient sauver Damned to
Live de la banalité qu'augurait un début
Power un peu plan-plan, mais que revigore un refrain plus envolé et qu'achève de transfigurer le dernier tiers, instrumental (fort belle basse), d'abord mid tempo puis accéléré sur la fin.
Ajoutons une production clinique, précise et un peu froide qui convient parfaitement au propos ésotérique et aux jeu talentueux des musiciens. Avec «
Apocrypha », From The
Vault peut se féliciter d'avoir signé
Serpent Lord ; ce
Metal symbolique et occulte sur lequel plane la trahison d'un Dieu sournois est une bonne surprise du Heavy contemporain.
Merci pour la chro et tu as attisé ma curiosité avec ton texte.
Voila un groupe dont je vais me pencher dessus dès ce soir.
Merci pour cette superbe découverte !
Un vrai renouveau dans le style Power/Heavy très sombre et oscillant parfois dans un style plus extreme.
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