Il fût un temps, pas si lointain, où l'on n'avait pas trop de mal à repérer à l'oreille le style joué par un groupe. Bon, soyons honnêtes, c'est encore le cas aujourd'hui : à moins d'avoir de la merde dans les oreilles, aucune chance de pouvoir lire un jour que
Deeds Of Flesh fait du
Power Metal. Mais il existe une catégorie de groupes qui se plaît à jouer avec les genres, à les tordre, à les sculpter pour en faire autre chose.
Dans cette catégorie, la France tire largement son épingle du jeu en ce qui concerne le "Black
Metal-qui-fait-rien qu'à-ne-pas-vraiment-ressembler-à-du-Black
Metal" :
Deathspell Omega,
Blut Aus Nord ou
Void Paradigm, pour n'en citer que quelques uns. Et à force de tripatouiller partout, de se mélanger à du Math Rock, du Jazz Rock, du Progressif et autres machins Post-Rock divers et variés, on finit par franchir le Rubicon et à atteindre des rivages qui n'ont plus grand chose à voir avec le
Metal. Et sur ces rivages, on tombe nez à nez avec des groupes venus d'une autre scène mais qui ont suivi plus ou moins les mêmes influences pour arriver au même endroit :
Cave In,
Converge,
Botch,
The Dillinger Escape Plan... Sans déconner, vous croyiez qu'ils n'allaient jamais se rencontrer et nous pondre un gosse ?
La scène
Blackened Hardcore, comme ils l'appellent outre-Atlantique, est une simple évolution de groupes de Hardcore négatifs comme
Integrity qui revendiquaient une filiation (spirituelle plus que musicale) avec des trucs comme Les Légions Noire. Baptisé 'holy terror' par les Américains, ce son de Hardcore métallisé reconnaissable entre mille et originaire de Cleveland ne pouvait qu'évoluer au fil du temps. Et si, comme dans toute scène, il reste toujours des groupes fidèles au style de base (on pense par exemple à
Ringworm), d'autres décident d'assumer et retranscrire musicalement leur mélange d'influences (et là on pense à
Tombs ou à
Thralldom). Finalement, on traverse l'océan et quand on atteint le vieux continent, ça donne naissance à des groupes comme
This Gift Is A Curse ou, dans une certaine mesure,
Plebeian Grandstand et donc Déluge.
Déluge se foutent assez royalement qu'on définisse leur style : eux-mêmes disent pratiquer du "Untrue Black
Metal", ce qui montre à la fois un bon esprit déconne (qui a déjà fait grincer des dents divers puristes, au vu de certaines chroniques) et aussi une volonté de ne pas se laisser enfermer dans un style. Musicalement, cet album propose donc un mélange entre Black dissonant (influence DsO notable) et Hardcore torturé (
Coalesce et
Converge, au rapport !). On peut penser à This
Gift is A
Curse évoqué plus haut, mais Déluge préfère ne pas se baser sur la violence pure et dure : quand le propos s'y prête, la musique sait se faire plus calme et évoluer vers des territoires plus Postcore.
Les samples de pluie et de marées, en plus d'être en raccord avec le concept et le nom du groupe, servent ainsi à rappeler le propos de la musique : Déluge est comme une immense vague, qui vous écrase et vous broie avant de vous laisser sombrer dans le calme et l'oubli. Comme d'habitude dans ce style, ce sont les riffs qui se taillent la part du gâteau et force est de constater qu'ici il n'y a pas tromperie sur la marchandise. Alternant moments de haine pure et de désespoir absolu, ils donnent un bon aperçu de l'expérience que Déluge doit être sur scène : un truc entre
The Ocean Collective,
Neurosis et le
Shining suédois.
Les titres s'enchaînent d'un seul tenant, donnant l'impression d'écouter un unique morceau découpé en plusieurs mouvements. Les ambiances sont particulièrement travaillées, le chant hurlé et discordant comme il faut, et les blasts et les arpèges alternent avec régularité. C'est bien d'ailleurs le point noir de l'album : sa linéarité. Chaque morceau est bâti sur le même canevas : blasts, puis ralentissements bien écrasants typés
Sludge/
Doom qui évoluent en plans éthérés tout en arpèges, avant de revenir aux blasts. Sur un morceau, ça passe. Sur huit, ça tourne à la recette facile et seule la très bonne technique des musiciens fait que l'on évite l'ennui.
Et puis, en plein milieu d'album, il y a un pur joyau : "Klarträumer", un instrumental qui rappelle un peu
Omega Massif et toute la clique Post-
Doom allemande en beaucoup plus atmosphérique grâce à une utilisation des claviers tout en finesse.
Alors, Déluge est-il un groupe de Black
Metal ? Déluge est-il un groupe de Post-Hardcore ? Et finalement, est-ce important de le savoir ? Tout ce que j'en retiens, c'est que Déluge est un groupe qui m'a pris aux tripes et que, malgré ses défauts, cet album éponyme est une petite réussite. Rares sont les groupes aujourd'hui à pouvoir proposer dès leur premier disque un univers aussi structuré et fascinant : voilà un groupe avec lequel il faudra compter à l'avenir, et sur lequel je compte bien garder une oreille attentive.
Découvert sur le tard en cette folle année 2017, et je trouve cet album exceptionnel.
Chro qui résume parfaitement ma pensée concernant ce groupe! Vu deux fois en live, c'est assez monumental. Et cet album est une pure tuerie!
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