Une claque.
Imperial Triumphant m’avait mis une vraie claque avec son premier full length, qui présentait le visage le plus hideux et bruitiste d’un black metal à la fois sournois, ravageur, dégénéré et complètement dérangé. Voilà que, quatre ans après le bien nommé
Abominamentvm, le trio new yorkais remet le couvert, avec ce
Abyssal Gods qui sort sur Code666 et qui propose 41 minutes de torture sonore à ne réserver décidément qu’aux tympans les plus aguerris et aux esprits les plus psychotiques.
Autant vous le dire tout de suite, l’écoute de ces dix titres est tout sauf une partie de plaisir, et c’est à l’écoute d’une abomination comme
Abysmal Gods qu’on se dit que les chroniqueurs de metal extrême devraient tous cotiser pour une assurance santé en béton et un bon psy.
Avant même qu’on ait le temps de comprendre ce qui nous arrive, From
Palace, complètement cataclysmique, nous saute à la gorge, déboulant sur une déflagration infernale, un saxophone qui hurle sa démence dans des élans de stridence fiévreux et déchaînés, des guitares abrasives et dissonantes qui servent un magma de notes en fusion, parfaitement impossibles à identifier et à suivre dans leurs convulsions hystériques, et une batterie épileptique qui tape dans tous les sens, semblant imprimer un semblant d’ordre dans ce chaos sonore complètement déjanté et bruitiste. On pense souffler un peu lorsque cet accès de démence retombe dès 2,10 minutes, avec ce rythme lent et ces guitares visqueuses et glauques, et c’est là que la voix putride et la basse assourdissante viennent nous cueillir, triturant de leurs basses fréquences dégueulasses les tripes de notre corps encore convulsé.
Vous êtes encore là ? Alors accrochez-vous, car vous aurez le droit ici à une cacophonie réellement innommable, une bouillie sonore à la limite du supportable, une bête hideuse et protéiforme aux multiples visages tous plus ignobles les uns que les autres : imaginez une sorte de version metallisée de la musique sérielle dans tout ce qu’elle a de plus inaudible et horriblement grinçant (les couinements de
Dead Heaven, l’éprouvant Opposing
Holiness), imaginez le fruit bâtard de Penderecki et d’un black metalleux misanthrope, dépressif et sortant de l’hôpital psychiatrique et vous aurez une petite idée de ce qu’est l’entité
Imperial Triumphant et de ce qu’elle prend un malin plaisir à nous faire subir.
La voix n’est qu’une éructation rauque émanant d’un gosier déjà décomposé, une sorte de borborygme infernal qui vient cyniquement contraster avec ces quelques passages faussement angéliques qui viennent pasticher avec une candeur outrageante la pureté religieuse, comme pour mieux étouffer les derniers rayons d’espoir et de lumière d’un monde à l’agonie (Celestial
War Rape, Krokodil,
Vatican Lust, les titres sont assez explicites) ; ces riffs déstructurés et grinçants tournoient en une valse morbide et vomitive et viennent nous étourdir sur le titre éponyme, plus lent mais tout aussi malsain et torturé, presque hypnotique dans ces gammes aussi lancinantes qu’étouffantes, et ces vocaux incantatoires ainsi que ces hurlements dérangés en arrière fond achèvent de tisser une toile psychotique réellement flippante.
Opposing
Holiness, plus rampant et cafardeux que jamais, nous emmène au trente sixième dessous, avec sa lenteur intolérable, ses notes désaccordées et mortes qui écorchent les oreilles et ces explosions sporadiques de violence apocalyptique complètement débridées, cependant que le summum du malaise est atteint sur l’interminable Krokodil, lent, lourd, poisseux, et écrasant, rappelant ce que le duo avait proposé sur
Goliath, et étirant avec un sadisme obscène ses 8,12 minutes en un véritable supplice auditif où les instruments se désagrègent en couinant atrocement leur agonie intolérable.
La basse nous assomme de ses secousses reptiliennes, on ne distingue pas la quatre corde des guitares, les enceintes crachent un coulis électrique et bourdonnant qui fouille les entrailles, ébranle le cortex et fout la gerbe, tandis que ces sonorités fausses et irritantes comme des crissements d’ongles, qui viennent se greffer sur l’ossature électrique d’
Abyssal Gods, nous hérissent les cheveux sur la tête et nous font littéralement frissonner de répulsion. Rien ne ressort, aucun riff, aucun rythme, aucun refrain, aucune vie, le tout n’est qu’une apocalypse sonore noire comme la suie qui nous injecte 41 minutes de l’insanité musicale la plus abjecte, et on n’a qu’une envie, c’est que le cauchemar s’arrête.
Alors qu’on est presque happé par cette boursouflure déglinguée et que nos oreilles en sang commencent à se faire à ces séries de larsens, de stridences, de bourdonnements, de gammes tordues et d’élucubrations atonales, l’impensable finit par se produire et on entend une mélodie émerger de cette bouillie noire et purulente aux relents de psychiatrie! En effet, Black Psychedelia commençant sur un riff pachydermique et envoûtant, mélange des notes avec réussite, ces hurlements de guitares venant se fondre sur le rythme en fusion (au passage Alex Cohen est un excellent batteur qui arrive à donner un semblant de vie à une musique déjà décomposée) avec une justesse touchante et un sens de l’harmonie qui fait mouche. On apprécie d’autant plus que le titre reste évidemment abrasif, froid et malade, mais il se drape d’une certaine beauté mystérieuse et délectable après tant d’horreur, notamment via ce solo de gratte bourré de feeling. Pour finir, on a le droit à un piano complètement fou et déglingué ainsi qu’un orchestre de cordes en pleine descente de LSD dont les plaintes stridentes se noient dans les affres chimiques et anxiogènes d’un air déjà vicié par la schizophrénie. Beau requiem.
Vous l’aurez compris, l’écoute intégrale de de
Abyssal Gods est extrêmement éprouvante,
Imperial Triumphant envoyant allègrement
Portal postuler pour Zavatta et se présentant sans contexte comme le groupe le plus noir, terrifiant, extrême et malsain jamais crée, mais aussi, conséquence directe de cette attitude jusqu’au boutiste, le plus inaudible. Vous aimerez ou vous détesterez cet album, dont la note est purement subjective, ne pouvant s’appliquer que viscéralement face à une œuvre aussi intense et possédée. Objectivement parlant, on ne peut pas dire que cet album soit mauvais étant donné qu’il correspond totalement aux attentes de ses auteurs insanes : créer quelque chose de sombre, décadent, déstructuré, dérangé et quasiment inaudible. Dans sa noble quête de perfection
Imperial Triumphant sort impitoyablement vainqueur, il a triomphé de la beauté, il a aboli l’art, il a tué la musique et est même parvenu à annihiler le plaisir qu’on pouvait avoir en l’écoutant.
En ce qui me concerne, si
Abominamentvm flirtait constamment avec les frontières de la folie auditive et frôlait le coup de génie, ce nouveau full length les franchit allègrement et va bien trop loin dans l’expérimentation sonore et bruitiste pour rester décemment supportable. Certains aimeront sûrement l’art unique du combo qui mérite un certain respect, j’avoue humblement que c’est trop pour moi et je jette l’éponge. Avis aux amateurs, en ce qui me concerne, je vais vomir, me laver les oreilles et je retourne m’écouter un p’tit
Dimmu Borgir.
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