La comtesse de sang.
L’histoire s’est longtemps penché sur ce personnage énigmatique et cruel répondant au doux nom d’Elisabeth
Bathory. Comtesse hongroise connue pour les meurtres et tortures prodigués sur de jeunes femmes, son parcours et ses méfaits furent une source d’inspiration pour de nombreux artistes et courants artistiques. Le metal n’y fit pas exception, bien au contraire, la noirceur de cette femme étant un sujet d’expérimentation rêvé pour les concepts gothiques et historiques.
Si l’œuvre de Cradle of
Filth est très étroitement liée à celle de
Bathory ("Cruelty and the
Beast" lui étant entièrement dédié), un nouveau périple se prépare en son honneur.
Si de prime abord, l’unique date de
1614 peut paraitre étrange, elle devient logique lorsque l’on découvre qu’il s’agit effectivement de l’année de sa fin de règne. Pourrissant et croupissant dans une geôle d’un château slovaque depuis quatre ans, Elisabeth
Bathory s’éteint, laissant derrière elle un héritage de sang et de dévastation. Bestiale, criminelle et sanguinaire, son histoire laisse en pâture à la noblesse une image de débauchée et d’excès où la cruauté n’a d’égale que cette propension à se croire toute puissante.
"
1614". C’est ainsi qu’un ambitieux projet s’intitule, par cette simple date. Répondant au nom sombre et solennel d’
Opera Diabolicus, cette entité est la création d’un unique homme : David
Grimoire. Multi-instrumentiste et maniant chacun des instruments de cet album, il fit appel pour mettre en œuvre son idée à Andy Larocque (
King Diamond) pour la production et plusieurs vocalistes de renom ; à savoir Snowy Shaw (
Therion,
Dimmu Borgir), Máts Léven (ex-
Therion, ex-
Adagio,
Candlemass) et Niklas Isfeldt (
Dream Evil). Autant dire que sur le papier, David et l’auteur du concept
Adrian De Crow, se sont donné les moyens de leurs ambitions.
Derrière un sublime artwork, laissant prévoir une musique éminemment sombre et malsaine, se cache en effet un album ambitieux et progressif, dont le qualificatif « symphonique » est passablement inexact. En effet, de symphonique, nous garderons une ambiance, des thèmes et une prépondérance importante des claviers mais la facette progressive d’
Opera Diabolicus est fondamentale dans le processus créatif de l’album. Très proche, dans le son et l’interprétation, du très récent "Obsessions" d’
Epysode ou encore des chefs d’œuvres de
Beyond Twilight, voir
Ark (particulièrement "
Burn the Sun"), "
1614" est un album laissant planer une ambiance sombre et enivrante, très gothique dans son approche. Les chants conjugués de Mats et Snowy collent parfaitement à cette ambiance fantomatique et noire.
La simple écoute de l’interlude "In
Memoriam" permet de saisir le cœur de l’ambiance glauque et gothique de l’album. Le piano, les nappes de claviers, ce son de batterie clair et ample, ces guitares épaisses et surtout ces rires, ces chœurs maléfiques dédiés au malin…toute cette atmosphère renvoie au travail de Finn
Zierler dans le malaise qu’elle procure et cette noirceur toujours aussi rare dans le progressif.
Parfois proche de
Therion dans les échanges vocaux,
Opera Diabolicus tire sa force de son interprétation extrêmement forte, réalisée par de véritables artistes et non de simples interprètes. "The
Gates" s’ouvre ainsi sur le timbre unique de Snowy avant qu’un premier riff très imposant ne vienne écraser l’auditeur. Des sonorités étranges et mystiques de claviers accompagnent les guitares et le rythme s’emballe rapidement avec l’intégration des vocaux de Mats Leven, les interventions très sombres de Niklas et les incursions angéliques mais pourtant empreintes de noirceur de la diva Camilla Alisander. Difficile de décrire les titres de manière exhaustive tant leurs structures sont imprévisibles et vivantes, évoluant au gré du concept et des émotions et faisant fi des conventions du couplet/refrain. Les locutions latines de ce premier véritable titre évoque toujours avec insistance l’ombre de
Beyond Twilight, peut-être trop.
Très musicales, les compositions, malgré leur penchant progressif, ne feront que rarement la place à l’intervention de solo de guitares (les quelque uns présents n’étant, de plus, pas indispensables). La découverte d’une perle comme "
Stone by
Stone" vaut à elle-seule l’écoute de l’album tant ce titre regorge de qualité et d’idées toutes plus cruelles les unes que les autres. Sombre et malsain, le concept touche à sa fin et évoque l’emmurement de la comtesse dans sa propre chambre. Solennel, imposant mais conservant une mélodie unique, le morceau gagne en intensité et en créativité au fil des neuf minutes qui le compose. Indispensable également, le long "
Blood Countess Bathory" est un résumé parfait de l’album. Complexe mais accessible, sombre mais jamais obscur, puissant et imposant. Il est tellement difficile de décrire avec précision ce mélange d’ambiance de film d’horreur et de metal progressif qu’une écoute attentive est indispensable à la compréhension de ces pièces musicales complexes et riches. Le caractère très symphonique de "The 13th Guest" tranche radicalement avec le reste, malgré une atmosphère similaire et un Snowy Shaw diabolique en diable, jouant manifestement grandement de sa voix si particulière.
On regrettera finalement de ne pas être encore plus surpris par un album qui semble puiser tout de même dans certains autres groupes récents et n’arrive pas complètement à s’en émanciper. De même, une certaine linéarité se fait sentir durant ces huit compositions (six en enlevant les interludes) et une plus grande variété aurait pu être souhaitable, notamment avec un tel panel vocal (ce défaut est d’ailleurs imputable, à mon sens, de la même manière au premier
Epysode). Néanmoins, d’un point de vue sonore, Andy Larocque a fait des miracles (meilleure production même que sur les derniers
King Diamond) et homogénéisé parfaitement les grains très différents des différentes voix. Il ne manque finalement que cette étincelle de folie pure, ce sursaut de créativité totale et de génie qui a fait des opus de
Beyond Twilight des perles incontournables. Mais si
Opera Diabolicus venait à sortir un second opus, force serait d’admettre qu’il serait capable de très grandes choses. "
1614" n’étant, malgré la liste importante d’invités de renoms, qu’un premier album.
Merci pour la chronique en tous cas.
En fait, le principal reproche que j'adresse à 1614 c'est qu'en dépit de sa superbe qualité intrinsèque, difficile de revenir dessus en fait ... pourtant au moment de l'écoute, tout y est : c'est théâtral, grandiloquent, les protagonistes font un travail merveilleux (Mats, Snowy et Camilla, par exemple, font un boulot impeccable), et les pistes sont suffisamment variées pour ne pas lasser. L'écoute est plaisante, sans aucun doute, et pour un premier essai, les deux maîtres à penser ont réussis leur pari !
Mais ... je ne sais pas, il y manque peut-être encore le petit plus. Celui qui donne envie de se le passer en boucle.
Ceci dit, même note. C'est pas pour ce léger défaut (très subjectif je pense, car je serais curieux de savoir si tu as la même sensation que moi Eternalis) que je vais bouder mon plaisir.
Merci aussi d'avoir chroniqué cet opus, je n'ai pas vu tant de webzines le faire. C'est fort dommage car il mérite un peu plus de reconnaissance et d'exposition.
Pour ton ressenti, je partage globalement le même et c'est pour cela que je n'ai pas été plus haut dans la notation. Objectivement, c'est vraiment bien mais comme je dis, ce genre de style a été fait avec tellement de perfection dernièrement qu'il manque le "petit plus" en effet.
Tout est réuni pour que ce soit grandiose mais il manque une pointe de surprise, l'atmosphère qui glace le dos, le riff qui subjugue, la partie vocale qui ultime au bon moment...
Cependant, en effet, c'est vraiment un album que je conseille, et je trouve étrange que, avec tant de grands noms, l'album n'ait pas fait plus de bruit et n'ait pas bénéficié de plus de promo...
Merci en tout cas, Eternalis pour cette très bonne chronique!
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