citation :| Walt' dit : Un p'tit topo sur le Dickens quand tu auras terminé ? |
Mon pauvre Walt', j'en suis à la moitié du livre qui est un pavé de presque 1000 pages et comme je suis quelqu'un qui lit lentement, je suis pas prête d'avoir terminé

.
Donc j'te fais un topo maintenant, t'as rien à craindre, que je l'aie fini ou non je suis pas loin d'être reine en terres dickensiennes

.
Bon bah, pour le situer par rapport à ses autres romans majeurs,
David Copperfield (1850) est compris entre
Oliver Twist (1837-1839), œuvre du début de la carrière d'écrivain de Dickens (ce qui se décèle dans la maladresse de certaines descriptions psychologiques qui peuvent confiner à la mièvrerie, et dans certaines longueurs narratives maladroites elles aussi ; grosso modo
Oliver Twist est un roman linéaire mais passionnant en dépit de ses défauts et de ses grosses ficelles), et
Les Grandes Espérances (1861), qui révèle un Dickens au sommet de son art, avec un roman visionnaire et mélancolique sans faille aucune.
David Copperfield est et marque "l'entre-deux" pour plusieurs choses : d'abord parce que c'est (si je me goure pas) le premier roman dickensien dont le narrateur est "je" (troisième personne dans
Twist et point de vue omniscient), procédé que reprendra plus tard Dickens pour
Les Grandes Espérances. Ensuite parce que quant au genre, on est, je trouve, à mi-chemin entre le réalisme de
Twist et le romantisme excentrique et onirique des
Grandes Espérances. Cela dit, "réalisme" est un terme exagéré parce que Dickens, dans ces trois romans, ne s'illustre aucunement en tant qu'auteur réaliste au sens strict (mais je n'argumenterai pas ce point pour l'heure). À choisir, Dickens est bel et bien un auteur fortement inspiré par le romantisme et même, par les genres fantastique et gothique à certains moments. Mais j'emploie le terme de réalisme à défaut d'en trouver un autre plus convenable pour
Twist par lacune culturelle de ma part. Bref.
Comme les deux autres,
Copperfield est un Bildungsroman, autrement dit un roman d'initiation. David Copperfield, écrivain, raconte sa vie, de sa petite enfance heureuse auprès de sa mère Clara et de sa gouvernante Pegotty, à la mort de la première ce qui l'a conduit à être maltraité par son beau-père et à mener quelque temps durant une vie de misère. Puis sa fuite, sa rencontre avec sa grand-tante que sa mère disait acariâtre, mais qui va l'élever comme son fils. Puis son ascension sociale à travers les années...
Bon alors, c'est vrai que c'est avant tout du racontage de laïfe et que Dickens décrit tout dans le moindre détail, même les choses
a priori insignifiantes. Mais Dickens n'est pas Flaubert

. Chez Dickens, la psychologie creusée des personnages et leurs états d'âme dont personne n'a rien à cirer et surtout pas le lecteur (c'est de l'ironie, hein) sont remplacés par la description physique précise de chacun, sa démarche, ses traits physiques, son apparence vestimentaire et ses rituels, TOC, manies, langagières ou gestuelles. Une bonne partie de l'intérêt et de la sève de ce livre s'inscrivent dans la répétition obsessionnelle, je pense. Tout cela contribue à créer une fantaisie, un humour caustique et une excentricité propres à l'univers dickensien et qui rendent attachants les personnages, même les salauds. C'est même je dirais cette fantaisie qui différencie un auteur britannique tel que Dickens d'un auteur français tel que Flaubert (n'allez pas croire que je ne l'aime pas, au contraire), parce que les Français ont justement cette tradition bourgeoise du classicisme et de la froideur ancrée en eux, qui les empêche d'être spontanés. Et puis, tout est vu sous l'angle de David, qui de par son regard enfantin sublime le monde qui l'entoure et voit tout d'une manière transcendée, intensifiée, colorée.
Enfin, ce roman est le plus cher à Dickens ; David est, de tous ses héros enfants, son préféré. Ceci, parce que c'est aussi le plus autobiographique. Dickens y a en effet transposé certains moments traumatiques de sa vie d'enfant (la fabrique de cirage devenue l'usine de bouteilles) comme d'adulte (son amour malheureux pour Maria Beadnell devenue Dora dans le bouquin).
Dickens est kitsch, délicieusement suranné, dans l'exagération et la causticité permanentes, mais c'est le signe de son génie.
Copperfield peut ennuyer et rebuter, et c'est pas celui-ci que je conseillerais en priorité, mais voilà quoi, puisqu'on me le demande, je martèle quand même qu'il faut le lire, ou du moins essayer.
Et je souligne l'adaptation que la BBC en a faite en 1999, en deux épisodes (avec Daniel Radcliffe alias Harry Potter, dans le rôle de Copperfield enfant). C'est excellent, l'intrigue pourtant longue et complexe est très bien condensée, le principal est conservé et transposé superbement, et les acteurs habitent vraiment les personnages (purée celui qui joue le méchant de l'histoire, Uriah Heep, est confondant et effrayant de ressemblance aussi

). Donc à défaut de vouloir lire le bouquin, la prod' de la BBC peut convenir à tout le monde.
Tu m'avais dit "petit" Walt', ben voilà le résultat. C'est pas pour te faire chier (quoique

), mais quand on parle de Dickens, je me sens obligée d'être casse-bonbons et exhaustive.
Édit :
Pour résumer l'œuvre de Dickens, j'ai chopé une citation dans le roman
Les Maîtres de Glenmarkie de Jean-Pierre Ohl (un livre publié en 2008 et que je recommande au-delà de toute mesure, celui-ci) :
« Un Dickens qu’on n’a pas lu, c’est comme… une vie de rechange ! » Voilà, comme ça c'est nickel.