The Austrasian Goat

Prenant le contre-pied aux scènes death et black-metal qui rivalisent de vitesse et de technologies spatiales, le doom suit la tendance inverse. Demon est deus inversus. Toujours plus lent, toujours plus atmosphérique, le filon funeral-doom engendre une flopée de formations toutes plus morbides et dépouillées l’une que l’autre à la grande joie des tailleurs de pierres tombales et autres vendeurs de lames de rasoirs. Voici The Austrasian Goat, fier représentant sur le territoire français du style mortifère. Une interview réalisée fin mai 2007 avec Julen l’unique maître à bord.

interview The Austrasian Goat>Salut à toi The Goat ! Pour démarrer l’entretien, parle-nous stp des débuts de ce projet baptisé The Austrasian Goat. Je crois qu’auparavant tu jouais dans un groupe assez barré nommé ShallNotKill. Quand/où/pourquoi avoir monté ça tout seul ? Marre de devoir faire des concessions en groupe ?
Salut à toi ! Effectivement j’ai joué dans ShallNotKill, groupe hardcore, de 2000 à 2006. Nous avons sorti quelques disques, voyagé un peu, rencontré beaucoup de gens formidables. Début 2006, nous avons décidé d’arrêter, pour bien des raisons, mais essentiellement histoire de ne pas tourner en rond. A ce moment là, je me trouvais dans une situation personnelle assez chaotique, et j’avais besoin d’introspection. Aussi, je me suis mis à travailler à Austrasian Goat sans trop savoir où j’allais. J’avais besoin de me retrouver seul, de reprendre confiance en mes capacités. C’est une catharsis. A ce titre Austrasian Goat est et restera quelque chose de tout à fait personnel, quant bien même d’autres personnes pourraient être invités à y contribuer ponctuellement. J’ai besoin de cela, tout autant que de faire des choses en groupe (j’ai cette chance avec Meny Hellkin). C’est indispensable à mon équilibre.

>Parlons de ce nom qui allie l’Austrasie et le bouc, image fortement symbolique. Pourquoi ces choix ? Fervent sataniste ou passionné d’histoire ?
Je vis en Lorraine depuis que je suis né. J’y ai grandi, et bien que je ne sois pas 'enraciné' (j’entends par là que je ne suis pas attaché à mes racines), j’ai un intérêt certain pour cet endroit où je passe du temps, et que je connais mieux que n’importe quel autre. Je me suis rendu compte il y a quelques années que j’avais de l’affection pour ces lieux où j’ai vécu. Je crois qu’il en serait de même pour quoi que ce soit, où que ce soit d’ailleurs. On connaît les déboires qui sont ceux de ce pays depuis 1870… Un pays tiraillé entre France et Allemagne, etc. C’est ce qu’on nous apprend à l’école. Certains en viennent à penser qu’à Metz on parle encore allemand. Mais cette partie de l’histoire est un trompe l’œil finalement. L’histoire de cette région est plus profonde que cela. Lorsque le royaume de France s’est constitué, l’Austrasie (Lorraine + une partie de la Belgique, et des Ardennes sud) était un Royaume indépendant. La France l’a convoité, et ce n’est finalement que par le jeu d’alliances politiques que cette partie du territoire a été unifié à la France à la fin du XVIIème siècle. Si l’on va un peu plus loin que l’aspect purement politique de la chose, on se rend compte que la population de ce territoire a toujours résisté aux invasions (suèdes, francs, etc), qu’elle a longtemps résisté aux tentatives de christianisation en dépit de 3 évêchés très puissants (Metz, Verdun et Toul), à l’Allemagne nazi… Ce peuple hétérogène s’est retrouvé et a trouvé une certaine 'unité' dans la lutte, et ce malgré les invasions, mais aussi les épidémies (la peste avait décimé 60 à 80% de la population par exemple). Aujourd’hui encore, le déclin post-industriel terrasse des cités entières. Les mines fermées, le taux de suicide galopant, l’urbanisation outrancière… C’est une histoire que je trouve intéressante, et finalement très différente de celle qu’on m’avait enseignée à l’école. M’y plonger m’a permis de comprendre bien des choses, et d’en découvrir bien plus encore. En particulier en ce qui concerne le paganisme dans ce pays, et le travail de christianisation qui a coûté la vie à bon nombre de gens… Il n’y a jamais eu de pouvoir très fort en Austrasie avant la renaissance. Les populations étaient inféodées. Je rapproche assez cela de la libre-pensée, de l’anarchie. L’image du bouc, est un symbole de cette liberté. Je me considère comme sataniste. Je ne suis cependant pas laveyiste et n’aime pas les cultes. J’exècre toute forme de religions, surtout si elles sont hiérarchisées et autoritaires. Je cherche à comprendre ce qui pousse l’homme à croire.

>Comme je te le disais, j’ai découvert TAG à travers le split avec The Dead Musician sorti chez Altsphere. Satisfait du boulot de promo fait par Jeff sur cette production ? Quel type de public peut être touché par ta musique, selon toi ?
J’apprécie globalement la démarche iconoclaste de Jeff, que ce soit en terme artistique ou de diffusion. Nous partageons des valeurs anti-commerciales et un goût certain pour le DIY. Ce disque a été fait en coprod avec 213, label dans lequel je suis impliqué avec ma compagne. On a gravé 50 copies chacun, c’est vraiment un petit tirage. Concernant le public que je touche (ou pas), j’avoue ne pas trop m’y intéresser ; mais je mentirais si je disais que certaines réactions ne m’amusent pas...

>L’actu brûlante de TAG c’est ce 1er album sorti chez I Hate records et qui va, selon moi, ravir les dingues de funeral-doom. J’ai décelé aussi quelques bribes de black-metal notamment en ce qui concerne la voix et certains riffs disso
interview The Austrasian Goatnant. C’est volontaire d’allier les 2 styles ?
Oui, ça va même au-delà de ces deux styles je pense. Il est clair que j’ai écouté beaucoup de black-metal et de doom ces dernières années, mais ça ne se limite en rien à cela. Je revendique clairement un côté black-metal à ce disque. C’est un disque antireligieux.

>Où s’est déroulé l’enregistrement de ton album ? Perso je trouve que le son de la b-à-r gagnerait à être mis en avant pour donner un peu plus de relief. Ta musique fait l’effet d’une vague énorme qu’on se prend en pleine face, sans espoir de survie. Cette transe au rendu compact et suffocant, c’est voulu j’imagine.
Je te remercie pour tes remarques ! J’avais à cœur de faire quelque chose d’assez dense, quelque chose qui porterait mon désarroi et ma colère. Cependant, je n’ai gardé que l’essentiel, et retiré le superflu. J’ai eu également une approche extrême du son, du mix. La démarche sonore d’un Darkthrone ou d’un Burzum a été très inspirante : aller à l’essentiel, s’enivrer dans la répétition, sous-mixer les percussions… Tout cela est volontaire. Mettre plus en avant la boîte à rythme aurait apporté un côté beaucoup trop 'mécanique' et martial à ma musique. Je ne le souhaitais pas. Ca sonne comme j’avais envie que ça sonne quand j’ai mixé ce disque. J’ai enregistré chez moi, et près de Metz, dans un ancien internat de lycée privé catholique, dans un prieuré magnifique en pleine campagne, que nous occupions avec quelques amis depuis 4 ans. Depuis nous nous sommes faits expulsés.

>Comment t’y prends-tu pour composer ? Etant seul, t’imposes-tu un processus toujours identique ?
J’essaie de ne pas me répéter, j’ai horreur de la facilité. Cependant j’avoue que pour ce disque les choses se sont construites assez spontanément, autour de riffs. Je développe une idée de base, puis une rythmique et j’enrichis l’ensemble. Puis je retire ce qui est superflu. C’est assez simple. J’essaie cependant de 'déconstruire' ce processus. Je pense par exemple à quelques parties de batteries (il y a quelques sons de batterie sur l’albums, des sons samplés, de toms basses ou des grosses caisses, mais rien de 'réellement' joué), à l’utilisation d’instruments moins 'traditionnels' également.

>Le titre de la chanson 'Black Is Not A Color' m’a intrigué. Quel thème y abordes-tu ?
Le refrain de cette chanson est un vieux proverbe lorrain : 'là où la queue du diable frappe, l’enfer surgit'. Ce texte synthétise pour moi plusieurs idées. Un titre très 'premier degré'. Mais au-delà de ça, j’essaie de réaffirmer des convictions politiques, une conception tout personnelle du black-metal. Ce n’est pas un manifeste, mais une sombre énumération d’émotions et sentiments.

>Plus généralement quels sont les sujets qui t’inspirent textuellement parlant ? La vie de tous les jours, tes relations avec les autres, les sujets sociaux, tes lectures, tes croyances… ?
Sur ce disque, je me suis beaucoup intéressé au rapport qu’entretiennent les gens à leurs racines, à la nation. J’essaie de comprendre ce concept. Je me suis également beaucoup intéressé à la christianisation. J’ai toujours un grand intérêt pour la chose sociale, et ça reste au cœur de mes préoccupations. Il est certain que ça doit transparaître ici ou là, je n’essaie pas de m’en défaire. Mes lectures ont également une grande importance. Elles me permettent d’affiner mes points de vue, et en cela, je pense qu’elles ont une influence fondamentale. Mes croyances, je ne sais pas. Je ne crois en rien à cette heure. Surtout pas en l’Homme.

>Tu reprends 'I Hate The Human Race' de Grief sur l’album. Quelles sont tes influences à part eux, les groupes que tu considères comme incontournables ?
Il est très difficile de répondre à cette question. Je suis un gros consommateur de musique, un collectionneur compulsif de disques. Grief est pour moi un groupe essentiel, de part leur histoire, leur démarche, leur musique. Je suis essentiellement sensible aux musiques sombres. Je ne me l’explique pas vraiment. Il est bien évidement des choses qui balisent en quelque sorte le sentier d’Austrasian Goat. Nortt, de toute évidence. Crebain, les premiers Darkthrone, Burzum, et Mayhem (d’un point de vue strictement musical). L’ensemble du travail de Justin Broardick a beaucoup d’influence sur moi, que ce soit Godflesh, Napalm Death, Techno Animal, Jesu… Eyehategod, Sloth et pas mal de sludge. Black Sabbath, comme tout le monde j’espère. Et puis une multitude de groupes punks comme Diallo, Artimus Pyle…

>Tu gères également 213 records je crois. C’est un label ou tu fais plutôt dans la distro ? Quels genres musicaux sont concernés ? 100% DIY j’imagine ?
213 records est un label et une distro. Nous avons sorti ou coproduit pas mal de cd-r et de cd pendant un temps, et une 12aine de vinyls. Nous avons déc
interview The Austrasian Goatidé (Christelle - qui s’occupe du label également - et moi) de ne plus sortir que du vinyl d’ailleurs. Je n’aime pas le format cd. Je continue à en distribuer encore un peu, mais je pense vraiment en limiter la distribution également. Nous sortons essentiellement des groupes dont la démarche rejoint la notre, soit un attachement au DIY, au non-profit, et une sensibilité libertaire. C’est essentiellement des relations affinitaires. Au-delà de ça, nous aimons toutes formes de musiques. Il n’y a pas de 'cadre' artistique. Nous sortons ce que nous aimons, par des gens que nous aimons. Pour la distribution, il en va grosso-modo de même. Nous devenons cependant de plus en plus 'sélectifs', trop de disques s’entassent dans ma cuisine. Catalogue, releases, etc : http://perso.orange.fr/213

>Parle-nous de la pochette de l’album, d’où vient cette photo ? Ainsi que celle qui illustre le livret interne ? De quelle guerre s’agit-il ? Es-tu fasciné par cet instinct de destruction propre à l’homme?
La photo qui illustre la pochette de cd est une œuvre de Ligier Richier, qui s’appelle le Transi. C’est une représentation de René de Chalon, mort au combat en 1544. Sa femme a demandé une représentation de sa dépouille mortelle. On le voit le cœur à la main. Je trouve cette statue (visible à Bar-le-Duc) sublime et émouvante. Ligier Richier, d’origine meusienne, a fait bon nombre d’oeuvres magnifiques (comme une splendide mise au tombeau du christ, à Saint-Mihiel). Il était élève de Michel-Ange. Les photos du livret sont quant à elles des images de la Lorraine en ruine après les combats de 1918. Des lieux qui me sont familiers pour la plupart. Ces photos ont été prises par les troupes américaines. C’est justement ma fascination pour cet instinct de destruction propre à l’homme qui m’a conduit à m’intéresser à ces photos. Je pense que cela est même au cœur de la démarche d’Austrasian Goat. Je crois que la foi est un prétexte, une justification 'morale' de cet instinct.

>Prends-tu des drogues ? Penses-tu que l’écoute de ta musique puisse être compatible avec l’usage de stupéfiants ? Lesquels conseillerais-tu alors ?
Je suis très mal à l’aise avec les drogues chimiques et les hallucinogènes. Je ne supporte pas l’idée de dépendance à quoi que ce soit. J’aime la marijuana, mais convient-il encore de considérer cette plante comme une drogue ? En ce qui me concerne, la marijuana me rend plus réceptif émotionnellement. J’en consomme bien moins qu’auparavant, pour des raisons strictement 'sociales', mais j’aime écrire et composer en ayant fumé, tout autant qu’écouter ou voir certaines choses dans les mêmes circonstances. J’espère sincèrement que l’écoute de ma musique est compatible avec l’usage de stupéfiants ! Si certains en ont fait l’expérience, je serai curieux de connaître leurs impressions !

>T’intéresses-tu à la scène doom extrême française ? Connais-tu les groupes Funeralium, Ataraxie, Inborn Suffering, Monolithe, Despond ou Mourning Dawn ? Quels sont ceux que tu recommanderais aux lecteurs ?
Je suis toujours curieux de découvrir des choses intéressantes, et j’ai pu jeter une oreille à ces projets. J’apprécie Funeralium, mais je trouve que l’essentiel des projets dont il est ici question - en dépit de qualités évidentes - restent très dépendants de l’influence de la scène britannique des années 90. C’est peut-être trop 'lyrique' à mon goût pour que je tombe en pamoison. Mais je sais apprécier la qualité de leurs travaux. J’aime simplement des choses plus 'décharnées'. En France, dans le registre doom dont il est ici question, j’affectionne particulièrement Monarch et Overmars.

>Vois-tu TAG comme un projet à long terme ? Serais-tu prêt à te joindre à d’autres musiciens si l’inspiration venait à te manquer ?
Oui, je pense continuer Austrasian Goat, tout du moins jusqu’à ce que je m’emmerde. Pour le moment, les projets qu’on me propose m’excitent, alors je continue, à mon rythme. Il est question que d’autres personnes interviennent sur certains titres, mais je garde un contrôle total sur l’ensemble du travail de Austrasian Goat. Je ne tiens pas à faire de concession.

>Quels sont tes projets immédiats, outre chier après ces questions au fort pouvoir laxatif ? Merci à toi pour tes réponses, je te laisse finir. Long live The Goat !
J’ai pris beaucoup de plaisir à répondre à tes questions. Je connais des laxatifs bien plus puissants, tu n’as pas à t’en faire ! En ce qui concerne mes projets, je vais prochainement enregistrer une reprise de Tekken (grind/punk - France) avec un ami batteur, je travaille également sur un split 10’’ avec Never Presence Forever (noise/ambient - USA), et sur d’autres morceaux, qui pourraient devenir un second album. J’avance à mon rythme… Et puis une page web, car MySpace me gave. Merci. www.myspace.com/austrasiangoat http://perso.orange.fr/213/ www.ihate.se
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interview réalisée par DJ In Extremis

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