Heureusement qu’en France, nous avons quelques épiphénomènes musicaux. Ce n’est pas dans les circuits les plus empruntés qu’ils se révèlent, malheureusement. La marginalisation, voire même la diabolisation, du hard rock et du metal dans l’hexagone produisent toujours autant d’effet. L’exception culturelle en France a montré ses limites, elle gave désormais des auteurs et interprètes sans talent (souvent de connivence avec le milieu politico-médiatique). La culture française a signé son arrêt de mort dans le début des années 90 en imposant subventions et quotas. L’assistanat dans les milieux économiques et culturels, ça ne marche pas et ça coûte beaucoup d’argent aux contribuables. On a vu depuis la création culturelle hexagonale se dégrader. Nous sommes encore aujourd’hui à bomber le torse pour la récompense obtenue aux Oscars d’un film muet (« The Artist »). Sur le plan musical, ce n’est pas bien brillant. Les étrangers connaissent quelques représentants en camembert : David Guetta,
Justice, Daft Punk, … Charles Aznavour. On se rend vite compte que tout ceci se range très loin des ambitions affichées. Donnons une chance à ceux qui, dans notre beau pays, ont réellement quelque chose à nous offrir. La chienne de Drucker avait tout à fait raison d’aimer le hard rock de qualité, n’en déplaise à son maître.
Ce petit coup de gueule est naturel chez quelqu’un qui découvre moult formations françaises sérieuses, qui ont eu le malheur de chanter dans une langue différente ou même d’user d’un style qui ne serait tout simplement pas du goût de nos élites. Chanter en anglais, c’est mal. Faire du hard rock, c’est mal aussi. «
The Sticky Boys » n’en a que foutre. Ils ont été bercés par
Angus Young et Lemmy Kilmister, non par
Jack Lang. Alexandre Kourelis (chant/guitare) et Tom Bullot (batterie) ont d’abord commencé à deux durant l’été 2008, avant que le bassiste Jean-Baptiste Chesnot ne les rejoigne. On les a vu en concert aux côtés des prometteurs «
Pervert Asshole » et «
Hemoragy ». Un EP intitulé « Are You Sticky ? » sort en avril 2009, puis la démo « Rock n’Roll
Nation » en 2010. Le bouche à oreille et des concerts hauts en couleur vont permettre aux «
The Sticky Boys » d’envisager les choses en grand. On leur laissera enflammer le
Virgin Megastore des Champs Elysées le 15 octobre 2010, puis le
Metal Corner du Hellfest en 2011. Le groupe intéresse jusqu’à la SNCF qui réalisent ensemble un spot resté fameux, donnant une irrésistible et sympathique image des amateurs de hard et de metal (pour une fois). Ce groupe démontre qu’en France on peut réussir, soit en vivant grassement de subventions, soit en cassant littéralement la baraque. « This Is Rock n’ Roll » paru en
2012 chez le notable Listenable est un produit culturel exceptionnel, à défaut de figurer en tant qu’exception culturelle.
Comment pourrait-on les décrire musicalement ? L’influence d’« AC/DC » est majeure chez ce groupe. Les riffs de guitare et l’usage de la batterie ont une nature australienne profonde. A cela vient s’ajouter une fibre glam plus américaine. Il y aurait en supplément une filiation possible entre « Mötley Crüe » et «
The Sticky Boys ». Hormis ces affaires de parentés, on pourra dès lors affirmer qu’ils maîtrisent parfaitement leur sujet, nous mettant dans l’attente d’un défouloir imminent sur l’introduction « This Is Rock n’ Roll », une montée de pression comme on retrouve chez la bande à Young. C’est une clef de voute chez nos frenchies. L’entame y est déterminante. Ce style séduisant est réutilisé sur un nonchalant et bien trempé « The World Don’t Round ». Celui-là est encore très gentil à côté de «
Night Rocker » qui renvoie des signaux électriques plus prononcées. Parmi ces morceaux situés en fin d’album, « The Way to Rock n’ Roll » absorbe et dégage encore davantage le style si reconnaissable d’« AC/DC » par de petits riffs persistants. Il n’y a que la voix d’Alex, amusée et conviviale, qui défausse légèrement le penchant pour les créateurs d’«
Highway to
Hell ». On parle là de morceaux sympathiques mais peu marqués par l’originalité. Hors, «
The Sticky Boys » ça ne se limite pas à ça.
On revient donc au début de l’opus, avec « Rock n’ Roll
Nation » qui nous révèle des français plus nerveux, sûrs d’eux-mêmes et affranchis de toute contrainte. Les riffs sont simples, mais diablement efficaces. Beaucoup de groupes de hard rock seraient bien incapables d’offrir la pareille. Il faut ajouter à cette analyse un refrain mémorable, se gravant directement dans notre cerveau. Les refrains de l’album ont été, semble-t-il, élaborés pour faire de ces titres des hymnes à chanter gorge déployée. Ce n’est certainement pas « Girls in the City » qui va nous démentir. Nous nous attachons moins au ton mesuré, plus en fait aux redoutables vibrations et secousses. La basse y joue là un rôle moteur. Nous l’entendons de manière ostensible à travers la piste. C’est aussi ce qui fait de « Girls in the City » un morceau attachant, un hit. La vitalité s’inscrit dans les gênes de la formation. « Miss Saturday
Night », qui a fait l’objet d’un clip, est un aperçu rythmé et généreux comme on les aime. Je vois venir les reproches sur le manque d’originalité. Mais quand est produit une musique aussi palpitante, qui vous obsède et vous donne l’envie de vous remuer, il est inutile d’en réclamer davantage.
Les trois gars usent de ces riffs, habilement répétés, dans un déroulement mécanique, de ceux qui vous font bouger, notamment sur un inlassable «
Bang that
Head ». Une démonstration de rock n’ roll, avec un solo incorporé qui va parfaitement. Celui du bluesy « Big Thrill » n’est pas mal non plus. Alex fait preuve d’une audacieuse performance à la guitare et derrière le micro. C’est la touche de folie nécessaire, tranchant avec la rigueur technique de la basse et de la batterie. Les trois ensemble affichent un sacré niveau de maîtrise. S’ajoute à cela la qualité sonore de l’ouvrage nous portant imparablement l’estocade, le coup de grâce. Elle est très utile lorsque le groupe se montre plus impétueux et se déchaine en formidables décharges, comme sur « Fat Boy Charlie », osant un hard rock plus américain. C’est avec l’excellent « Great Big
Dynamite » que nous rencontrerons un trio explosif, allumant une mèche au départ, qui va ensuite mettre feu à un baril de poudre. Le dynamisme alors affiché éloignerait «
The Sticky Boys » d’ « AC/DC » pour préférer les rives nord-américaines. Ils auraient, ainsi, l’intention de voguer un peu partout. Leur insatiabilité leur provient de leur nature sauvage.
«
The Sticky Boys » serait par ses fortes influences une version française d’«
Airbourne ». En tout cas, ils ne font pas les choses à moitié, que ce soit en concert ou sur support studio. « This Is Rock n’ Roll » ne s’illustre aucunement, c’est vrai, comme un reflet de personnalité, plus en revanche par des riffs solides, un jeu et un chant immersif qui vous fileront la pêche et le sourire. L’album contient suffisamment de hits et de refrains entêtants pour figurer parmi les meilleures sorties de hard rock français de ces dernières années. La France a du talent, elle doit avant tout s’imposer à l’étranger, affronter et s’assumer aux côtés des plus grands. Les plateaux télé n’ont jamais pu remplacer la scène, les animateurs n’ont jamais pu remplacer les foules de fans hystériques. Que nos trois amis fassent du rock n’ roll à fond la gomme, qu’ils chantent en plus en anglais, ça ne plaira certainement pas aux défenseurs du conservatisme culturel, coupable de clientélisme, responsable d’une lente et profonde décadence.
16/20
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