Du cœur des vallées franc-comtoises nous parvient une chatoyante lumière, à l'instar d'une œuvre de metal progressif venue délivrer un propos musical à la fois épique et authentique. Ce généreux opus auto-produit nous convie ainsi à un voyage spatio-temporel au long cours ainsi qu'à quelques pérégrinations orchestrales invitantes, complexes, témoignant d'une profondeur de champ acoustique confondante. A l'aune de ce premier album full length, le message de Pologize apparaît fécond, dynamique et sensible. Et ce, non sans une pointe d'originalité qui en fait tout le sel.
Si Paul Girardot (alias Pologize) a composé l'intégralité des onze titres et écrit les paroles de l'opus, il a également esquissé la plupart des croquis du livret, lui-même réalisé par le graphiste Cédric Ballay. Mais aussi, et surtout, ce maître d'oeuvre n'a pas feint de retrousser ses manches pour jouer avec habileté aussi bien de la guitare que de la basse et judicieusement manier moult samples. De plus, il s'est attaqué aux parties de batterie, réalisées à l'aide d'un logiciel. Et ce, aux fins d'un projet qu'il caressait depuis quelques temps déjà.
Toutefois, cette œuvre a reposé sur un intense et cohésif travail d'équipe. Aux arrangements, s'y sont collés le producteur Fabien Junod (Khynn), Fabien Campaner ainsi que Maxime Jacquet, ce dernier ayant également assuré le mixage. De son côté, Bret Caldas Lima s'est chargé du mastering des chansons au Towerstudio. L'instrumentation a sollicité d'une part, l'expert doigté des guitaristes solistes Fabien Junod, Samuel Equoy, Stephan Forte et Pologize. D'autre part, le violoncelliste Lois Provensal s'est adjoint à la troupe. Quant à la partie vocale, des choeurs ont enrichi de leur présence certains titres, auxquels ont participé ; JP Baron,
Agatha, Samuel Equoy, Fabien Junod, Myriam Koceir ainsi que Baptiste Oertel et Pologize.
Nous pénétrons alors au cœur d'un concept-album de metal/rock progressif aux influences baroques, classiques, cinématographiques, entre autres. En effet, le groupe s'est inspiré d'univers aussi diversifiés que
Dream Theater,
Rammstein,
Kamelot,
Adagio,
Avenged Sevenfold, Megadeath,
Opeth, Muse, voire John Williams, ou encore Chopin, Bach ou Beethoven. Néanmoins, le combo a su conserver sa signature propre sur chaque piste. A commencer par la thématique, relatant l'apparition de
Lucifer au Paradis jusqu'à sa chute. Autre particularité : la distribution des rôles pour les vocalistes intervenant spécifiquement sur «
The Eden's Curse ». Ainsi, à chaque interprète son personnage : Pologize incarne
Lucifer ; Baptiste Oertel, le narrateur ; JP Baron, The
Lord ; Fabien Junod, Baraquiel ; Samuel Equoy,
Nephilim ; Fabien Campaner,
Azael ; Coralie Durand,
Lilith.
Une attention particulière a été accordée à la progressivité et à la densité du champ orchestral. Dans cette lignée, on aura observé quelques pistes quasi-instrumentales, où la partie vocale reste en retrait ou ne suit aucune ligne de chant spécifique. L'entame de l'opus se place dans cette logique. Ainsi, « The Gracious
Realm's Hidden Deceit » éveille nos sens au son de violons, cloches, xylophones, orgues, témoignant d'une belle amplitude du champ instrumental. L'espace sonore s'enrichit même de choeurs pour nous accueillir avec les honneurs. Une délicate lumière mélodique se dessine alors notamment à la lueur d'arpèges savamment distillés. On ressent alors aussi bien l'empreinte de
Dream Theater que la patte de John Williams sur ces quelques instants d'une imposante instrumentation. Celle-ci appelle de ses vœux un embrasement progressif, tel un condor déployant majestueusement ses ailes avant de les refermer subitement à l'approche d'un break opportun. Un orgue véloce prend alors le relai, nous conduisant sur le chemin de choeurs affriolants. Par effet de contraste, des perles de pluie d'un piano enjoué et un violoncelle raffiné inscrivent dès lors leurs gammes dans ce sillage. Soudain, une voix masculine se fait entendre, parallèlement à quelques touches aux claviers, à l'image d'un subtil et rarissime clavecin. Accompagné de choeurs, il nous narre ce qui va s'ensuivre dans notre périple.
Cet original couplage instruments/voix parlée se retrouve sur « The Waltz of Sins ». On y décèle des riffs griffus, un tapping martelant et un emballement progressif plus précoce. Introduit par un xylophone et quelques séries de notes au son d'un orgue inspiré, ce titre capte nos pavillons alanguis par des sinuosités synthétiques enivrantes, de somptueux arpèges au piano et au violon. Même le son d'un accordéon vient s'unir à cette luxuriante orchestration, l'ensemble évoluant à l'unisson. A la manière d'
Opeth, quelques contrastes se font sentir lorsqu'un break aux claviers vient se faire harponner par une reprise instrumentale vindicative et des riffs plombants. La mélodicité de l'orchestration n'est pas en reste et, par effet de relief, laisse le narrateur apposer ses mots en finalité.
Dans un même mouvement, mais dans un climat plus éthéré, d'autres instants quasi-instrumentaux n'ont pas manqué à l'appel. A commencer par « The
Traitor's
Trial », celui-ci se voulant plus tourmenté, même si l'éveil orchestral s'est avéré serein, au son de cloches rassurantes, d'un paysage synthétique apaisant. Sur fond de notes de clavecin, les vociférations d'un vieil homme nous parviennent. Malgré une rythmique entraînante et un piano fringant, à mi-morceau, et la présence de choeurs, des notes troubles d'une guitare agonisante sur un fond mélodique lunaire s'imposent avant que ne tombe une pluie inquiétante. On sent la fin approcher pour
Lucifer. Ainsi, l'outro « His Predicted
End » nous invitant pourtant sereinement à la guitare acoustique, nous fait entendre le souffle d'un vent ténébreux. Une voix atmosphérique apparaît, dans un dernier soubresaut, mais l'ambiance s'assombrit, à l'aune d'un synthé éprouvé, tourmenté, fatigué. Quelques nuances mélodiques nous conduisent à un léger embrasement avant que ne sonne le glas. Ce vent incessant, écrasant, anéantissant tout sur son passage symbolise le destin tragique du héros.
L'oeuvre révèle un autre visage à l'image de titres incorporant les lignes de chant dans leurs compositions. Ainsi, l'embrasement est de mise sur certains d'entre eux, comme sur « A Light Bursts ». Un serpent synthétique nous invite à suivre une rythmique incandescente étreinte par des riffs fougueux. Des changements de tonalité s'observent et ont pour corollaire des refrains échevelés. Ces derniers sont mis en relief par la puissante voix de l'interprète qui, par moments, se fait plus douce. Un triangle inattendu vient partager son espace avec un xylophone avant l'arrivée d'un pont technique immersif. Un prégnant solo de guitare apparaît alors, ravissant nos tympans, avant l'arrivée d'un break en guitare/voix. Une reprise du corps orchestral vient parachever ce tableau haut en couleurs. Dans la même veine s'inscrit l'énergique « The Written
Path », aux riffs rageurs et aux intéressants contrastes vocaux. Le champ vocal oscille, en effet, entre screams et voix claires et mélodieuses. Ce morceau vrombissant stoppe sa progression par un petit break avant que ne bondisse, tel un fauve, la reprise instrumentale. Le chemin harmonique reste toutefois en demi-teinte et la chute de la piste s'avère radicale.
Quelques instants d'une progressivité confondante n'ont pas été omis, loin s'en faut. Aussi, difficile de passer outre « From the Bells », livrant un chant limpide, nuancé, évoluant en puissance au fil de sa progression. Celui-ci contribue à valoriser des couplets bien ciselés et de subtils refrains. Ici aussi, tintent les cloches et entonnent les choeurs, sur une piste où batterie et riffs se plaisent à rouler. La ligne mélodique se parcourt sans encombres et l'on prend de l'altitude à l'instar d'une flamboyance progressive qui ne manque pas de nous retenir, à la façon de
Kamelot. Un break en claviers/voix se fait happer par une reprise en voix pleine et par un hypnotique solo de guitare. Une jolie sortie au son d'une guitare rythmique achève de nous convaincre des qualités techniques et du souci du détail prodigués par le compositeur. Dans cette lignée, « Doubtful » attire par ses séries de notes au piano, son rythme en mid-tempo, un poil syncopé, et progressif. Ce morceau complexe nous embarque au son de ses riffs félins, ses nappes synthétiques enveloppantes, et surtout, retient l'attention par son fuligineux solo de guitare. Dans ce cadre rythmique s'installe un chant finement modulé. Un retour en piano/voix qu'accompagne un xylophone frondeur s'avère apte à capturer nos émotions.
Les amateurs de ballades progressives ne seront pas en reste. Sur le pénétrant « Glance
Through the
Gates of a
Forbidden Fantasy », quelques délicats arpèges au piano nous accueillent. Suivis d'un orgue aseptisé, ils s'enrichissent d'une subtile empreinte vocale avant que les riffs ne s'éveillent et que ne s'embrase un chant d'une puissance maîtrisée. Mélodieux et technique, ce titre nous conduit à un break insoupçonné, pris en embuscade à la fois par une reprise instrumentale bondissante et par une dynamique impulsivité vocale. On se trouve alors dans un univers similaire à
Dream Theater. On ne saurait passer outre un solo de guitare fluide, tout en finesse, ni le couple guitare acoustique/voix, eu égard aux somptueux accords délivrés. Bref, la magie opère de bout en bout. Sur ses traces, se cale « The
Sinful Oath ». Ici, une guitare acoustique fait entendre ses gammes au moment où une voix câline et d'une mélodicité lumineuse apparaît, à la façon de Minor Majority. Cette plage souriante nous propulse sur des refrains entraînants, au son d'une guitare aux accents hispanisants. On se surprendrait à esquisser quelques pas de danse, notamment lorsque les inflexions vocales s'éclaircissent. Un break, laissant entrevoir une guitare fluide, vient alors à point nommé. Cette fois, la reprise se fait tout en souplesse, avec quelques notes à la guitare acoustique. Un joli solo de guitare complète ce chatoyant tableau. Un piano/voix féminine achève de nous immerger totalement dans ce bain orchestral aux doux remous.
On ressort de l'écoute de cet album avec l'agréable sentiment d'avoir vécu un moment d'une pure jouissance auditive. On le doit à un travail minutieux en studio ainsi qu'à une inspiration qui s'est donné le temps de la maturité. Les enchaînements s'effectuent avec cohérence et les finitions ont fait l'objet d'une attention particulière. Original tant par ses combinaisons instrumentales que par le partage de l'espace auditif entre orchestration et chant, ce propos musical s'avère aussi efficace qu'immersif. On parcourt également les textes des chansons avec intérêt, ceux-ci collant parfaitement à l'ambiance de chacun des morceaux de l'opus. Le tout forme une unité d'une belle épaisseur artistique.
On conseillera cet album aux amateurs de metal et rock progressif, symphonique, mélodique, atmosphérique et gothique. D'autres publics encore pourront également y trouver là matière à éveiller en eux d'authentiques plaisirs. Pour en apprécier toute la teneur, il convient de prendre le temps de la réécoute pour bien s'en imprégner. Mais, selon votre humble serviteur, l'adaptation s'effectue sans encombres.
Passant par différents stades émotionnels, on est assurément aspiré tant par la féerie de l'instant que par le poignant appel existentiel distillé à l'aune de cet opus. Ainsi, un voyage épique et sensible vous attend à l'aune de ce captivant message musical...
La musique progressive aux touches symphonique du groupe m'a vraiment plu.
Les points forts de cet album sont une production très réussie et moderne, mais aussi des interprétations musicales vraiment bien torchées !
En conclusion " Eden's Curse " n'est pas l'album de l'année, mais mérite assez bien ses 16/20.
PS :
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire