"Et maintenant, on va laisser la place aux courgettes !" C'est par ces mots, gravés pour la postérité, que la montée sur scène de Prophetic Scourge a été annoncée au MetalloWeen 2021, me faisant trépigner d'impatience. Dans une contrée où a sévi
Aggressive Agricultor, le béotien aurait pu s'attendre à du métal à boire et à manger, option moissonneuse batteuse. Scourge, ça veut dire fléau en anglais, mais pour le francophone au cerveau mal tourné, ça pourrait faire penser, bien malgré moi, à Maïté qui soupèse des cucurbitacées. Il n'en est rien et ceux qui connaissent le groupe savent qu'ils ne viennent pas ici pour envoyer du bourre pif par dessus la jambe.
Ce quintet pratique un death thrash technique de haute volée depuis 2013, qui impressionne par sa qualité constante depuis plusieurs années déjà. Partagés entre le pays basque, Agen et Toulouse, c'est un vrai groupe de potes dont le line up n'a pas changé depuis des années. Après un premier EP "
Corrupt Karmic Invigilator" très convaincant, leur premier album "Cavalry" (2018) avait placé la barre très haut, avec une maîtrise confondante.
Comme c'est le cas d'habitude avec eux, c'est à un véritable concept album que nous avons affaire, où chaque détail est soigné, de la musique aux titres des morceaux. Il faut dire que Josh Smith, growler et parolier, maîtrise quelque peu la langue de Shakespeare, vu qu'il est anglais. Ce ne sont pourtant pas les destinées de
Cromwell ou
Boris Johnson qui sont narrées ici, mais rien de moins que celle d'Ulysse avec l'Odyssée d'Homère. Pour un projet pareil, pas question de se la jouer petit bras, et là dessus on est vite rassuré. L'habillage du CD de ce deuxième LP "
Gnosis - A Sorrower's Odyssey", sorti le 29 octobre 2021 chez Klonosphere et Season Of
Mist, est avenant et même classieux avec un effet parcheminé sur tous les visuels.
Dès l'intro de "The
King - An Odyssey Begins Aright", on sent qu'on va prendre du copieux plein les oreilles, c'est carré, violent, haché et ça va vite, très vite. On pourra noter la parenté avec de glorieux anciens tels que
Morbid Angel,
Deicide, ou Death époque post "
Human". Le nombre de riffs est assez ahurissant, et tout s'enchaîne sans répit, au mépris des limitations de vitesse.
C'est la batterie qui m'a le plus scotché d'emblée. Chaque élément de son drum kit en prend pour son grade, avec une orgie de blasts, double grosse caisse à fond les ballons -parfois en ternaire comme l'affectionne Mario Duplantier, roulements, toms tribaux ("The
Fury - Of
Tasteless Wine
Sorrow's
Flesh"). Le jeu de Jon Erviti impressionne, d'autant plus par sa facilité et sa stabilité (on ne dira jamais à quel point il est important d'être bien assis sur son siège pour envoyer du pâté).
La paire de guitaristes, Romain Larregain et Robin Claude, affiche un niveau technique tout aussi bluffant, calé au millimètre et diablement en place sur les rythmiques, et complexe à souhait pour les mélodies et les harmonies. J'ai parfois pensé à
The Faceless, en plus organique. Le tapping est largement utilisé, comme celui qu'on croirait tout droit sorti de la BO du jeu
Doom de 1993, torché façon
Archspire, et donne un grain de folie inhumaine à certains passages. A la basse, Thibaut Claude achève d'enrichir un canevas déjà bien chargé.
Si cela fait un sacré millefeuille à digérer, il s'apprécie à deux niveaux : un de brutalité assénée de manière intelligente, et un autre de détails mélodiques qu'on découvre au fur et à mesure des écoutes. Le combo allie la modernité des groupes de Death tech avec des influences et une production tout en puissance, de facture plus classique et d'une sobriété efficace.
Il y a aussi de-ci de-là des relents hardcore, avec des accords à la
Biohazard et cris écorchés ad hoc ("The Psychopomp - Deaf to the
Siren's Hall"), qui montrent que le groupe n'hésite pas à puiser dans tous les univers que ses membres partagent.
Il est aussi particulièrement à l'aise avec les transitions (la façon dont le solo de "The
Tyrant - Wading 'Ward
Solace He Lucidly Drowns" émerge d'un arrêt, magnifique), les cassures de rythme et breakdowns. Aussi, le groupe a cette capacité à être tueur, comme peut l'être
Gojira, en ménageant des embuscades sonores qui coupent l'auditeur en deux, l'écrabouillent, l'uppercutent.
Tout cela concourt à maintenir l'intérêt en éveil malgré la longueur conséquente des morceaux, qui dépassent souvent les sept ou huit minutes. Pour tout dire, mon préféré de "
Gnosis" est "The
Tyrant..." malgré ses seize minutes bien tassées, qui clôt l'aventure en allant encore plus loin dans le prog,
C'est donc un opus plus qu'abouti, cohérent et dense, homogène, presque trop. Puisque je ne peux décemment pas chercher la petite bête sur le terrain technique, chipirons, zut pardon chipotons sur l'artistique : j'aurais aimé voir nos spartiates du sud ouest prendre un peu de recul sur le champ de bataille, pour faire passer un cap décisif à leur musique, en élaguant et en la rendant plus simple et efficace. Il arrive souvent qu'un super riff ne soit pas exploité ou mis en valeur à son plein potentiel, un autre plan de fou ayant déjà pris sa place. Mais ils le disent eux-mêmes, la seule chose qui compte est de prendre plaisir à jouer la musique comme ils l'aiment, et j'imagine qu'avec un monument comme "
Gnosis", l'objectif est atteint ! D'ailleurs, je le trouve bien plus intéressant et inspiré que le très attendu dernier
Rivers Of Nihil, sans vouloir le nommer...
Et pour finir, je vais en revenir au live, parce que là ça devient énervant : malgré la complexité et la technicité de la musique ça déroule sans moufter, ça sonne et ça tue, et ma foi le rendu n'a rien à envier à leur prestation en studio. Flawless
Victory !
Merci pour cette chro qui me révèle un excellent groupe de Death.
C'est propre, il y a un bon équilibrage technique/mélodique, la prod et les influences old school sont jouissives et ce growl bon sang ! Il m'en colle une demi-molle.
Top chronique, top album, top délire !
Totalement d'accord avec ta chronique, ça troue le cul ! Cet album est une perle comme on n'en a pas assez souvent !
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