Deviloof est l’image même d’une œuvre d’art contemporaine emprunté au surréalisme : on peut l’adorer, l’idolâtrer tout comme on peut la rejeter ou en être dégoûté. Dans chacun des cas, la toile ne laisse personne indifférent et c’est tout ce qui fait son charme. Cette image, le quintet japonais la dégage en grande partie dans son empreinte musicale et dans son apparence générale. Si la formation est référencée en tant que deathcore, elle se caractérise en premier lieu par un mouvement visual kei, un style principalement vestimentaire extravagant, voyant, pas forcément vu d’un bon œil par un large public par sa vision androgyne, souvent provocateur mais avec un goût certain entre traditionalisme et modernité.
Largement popularisé par le groupe de heavy metal
X Japan au début des années 80, cet art n’a cessé de se démocratiser et de s’ouvrir en dehors du Japon. Aujourd’hui, d’autres groupes se sont lancés dans cette esthétique musicale à l’instar de
Dir En Grey,
The Gazette ou encore Dexcore. Pour
Deviloof et ses cinq musiciens, c’est un monde totalement inconnu qui s’ouvre où la réussite et la notoriété ne s'acquièrent qu’avec le dur labeur mais aussi par une authenticité pure. Après un premier EP
Purge dévoilé en 2016 très prometteur, c’est donc par le biais d’un premier opus nommé
Devil’s Proof, paru un an après et toujours sur leur propre label que notre quintet va nous dévoiler sa véritable personnalité ainsi que sa potentielle excentricité.
Après un morceau d’introduction éponyme très déconcertant par ses samples électroniques, par sa rythmique effrénée et ses gémissements féminins, le collectif japonais enchaîne avec
Escape. Dès lors, le combo étonne par son attrait versatile, aussi bien instrumentalement que vocalement parlant. A peine la première minute écoulée, nous comprenons de suite que nous n’avons pas affaire à un ensemble classique. Au niveau de la mélodie, les variations rythmiques sont multiples, les inspirations également entre deathcore, black metal et musique plaintive.
Toutes ces aspirations sont parfaitement retranscrites par la performance vocale du vocaliste Keisuke qui affiche d’ores et déjà une formidable aisance aussi bien dans un growling profond que dans un screaming torturant et, plus surprenant encore dans un chant lyrique clair. Le frontman s’amuse même de quelques curiosités acoustiques comme à ce qui s’apparentes à des pinchs harmonics mais au chant. Au milieu de cet animosité et outre les refrains, la formation nous soumet d’autres passages plus mélodiques comme avec un plaisant solo de guitare.
La singularité est parfois mise un peu de côté avec des compositions plus conventionnelles sans non plus tomber dans l’imitation ou le grotesque. Natural
Born Killer arpente ce chemin plus direct avec un black death hâtif, sans grandes concessions mais pour le moins irréprochable d’un aspect écriture. Les guitares distordues édifient une ambiance malsaine, la batterie extrême et constituée d’un ensemble de blastbeats permet de prononcer cet atmosphère morbide tandis que le chant écorché de Keisuke est une belle personnification de la torture et de la souffrance. Les regrets que nous pourrions avoir de ce titre proviennent de sa longueur et d’un schéma assez prévisible.
Notre quintet saura nous laisser au dépourvu par quelques petites touches astucieuses ici et là. Qu’il s’agisse de
Return Of The
Curse avec ses attraits plus symphoniques, Destination avec son breakdown classique dans sa réalisation mais où la pointe de folie brille par un pig squeal intense ainsi que par un solo épique ou même Egoist qui emprunte beaucoup à l’univers death mélodique d’un
In Flames, nos Japonais arrivent à se réinventer à merveille dans chacune de leurs compositions et exposent d’ores et déjà une intelligence ainsi qu’une créativité assez rares, surtout lorsque nous parlons ici d’une première esquisse. Peut-on néanmoins dire que le combo a passé prématurément le stade de la maturité, voire de l’excellence ?
A cette question, la réponse est plutôt en demi-teinte car même si le quintet japonais s’illustre dans son savoir-faire et présente bien plus d’intérêt qu’un large panel de formations de deathcore principalement américaines, il s’effondre sur d’autres démarches. Si le collectif prouve sur ce disque qu’il sait manier les genres, il n’en reste pas moins que l’accumulation d’informations nous décroche de temps à autre de notre écoute.
Taida No Tumi incorpore en plus du death, du black et du lyrique un penchant slam ainsi qu’une association vocale qui sont certes séduisants mais qui sont peut-être de trop dans un album déjà bien fourni. Il en est de même avec une production qui, une fois n’est pas coutume dans le deathcore, aura tendance à mettre les percussions dans le rôle de la prépondérance. Le caractère est clairement perceptible sur les blastbeats ou sur la double pédale comme sur les refrains d’
Escape sur le titre instrumental Incipit.
Malgré ces quelques défauts,
Devil’s Proof est une première proposition pleinement convaincante et une belle curiosité pour les amateurs aficionados de deathcore. Si
Deviloof doit encore peaufiner son image musicale notamment en se limitant un peu plus dans ses inspirations sans pour autant les abandonner, la formation affiche déjà de sérieuses et solides perspectives avec un travail vocal époustouflant à bien des niveaux ainsi que par des solos très attrayants. Si le quintet japonais arrive rapidement à rectifier ces petites imperfections, nul doute que ce dernier s’imposera aisément dans cette scène deathcore qui ne demande qu’à évoluer et à se moderniser. Reste désormais à nos musiciens de s’en donner les moyens !
Merci pour cette chronique, j'en vois si peu sur les albums de visual kei ces dernières années. Deviloof est l'un de mes groupes préférés de ce mouvement, Keisuke a clairement un talent pour le chant, surtout ses hurlements stridents.
J'ai encore plus aimé Oni, qui apporte une touche folk subtile.
Merci à toi de m'avoir lu et content d'avoir pu rendre justice à un de tes groupes préférés. Je ne suis pas tant familier avec le visual kei donc assez compliqué pour moi de faire des chroniques sur ce mouvement musical. Néanmoins, ma nature étant assez curieuse, je m'y intéresse de plus en plus donc pourquoi pas à l'avenir d'avoir d'autres avis sur d'autres albums et formations.
Je préfère Oni également et il n'est pas impossible que j'en fasse un écrit. Stay tuned !
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