[B][SIZE="4"] Chap 8 Lorem -[/SIZE][/B]
Ses doigts glissaient le long du mur nu et crayeux. Pas à pas, elle suivait ce fil d’Ariane évitant ici et là un objet oublié par le temps. La pierre était douce, parfaitement taillée. Nulles aspérités ne venaient perturber le cheminement de sa main. Elle avait l’impression de caresser le dos froid et humide d’un
Animal endormi. La semelle de cuir de ses bottes effleuraient le parquet gorgé d’eau sans un bruit, même son souffle était retenu dans les mailles de l’étole qu’elle avait remonté jusqu’à son nez.
Seul le bruit feutré de l’étoffe de son manteau contre le mur trouvait écho dans l’immense pièce. Silencieuse, elle n’était qu’un jeu de lumière sur un mur. Ombre chinoise d’un rêve sans joie d’une petite fille aux yeux trop grands pour un monde trop petit.
Au fond de la salle, l’aura de la cheminée délimitait un espace aux contours diffus et graciles. Elle se ressentait comme un personnage de Rembrandt, sortant de la noirceur profonde pour pénétrer dans la volupté et l’onirisme d’un de ses clairs obscurs créant, par un jeu de lumière, une pièce dans la pièce.
Seul un lit, plus proche de la paillasse que d’un objet de repos confortable, occupait cet espace. Ni tablette, ni siège, ni même assiette ou carafe. Rien, en dehors de ce lit au ras du sol. Sur les murs, la condensation avaient laissé libre court à sa créativité en dessinant des guirlandes de moisissures qui s’entrelaçaient avec des fleurs de salpêtres. Ce mariage incertain donnait vie à une fresque
Baroque et duveteuse, seule excentricité d’un lieu minimaliste et austère. Même la cheminée avait un air sévère. Surdimensionnée, taillée dans un marbre noir rendu mat par l’accumulation de la poussière, sans ornement, elle ressemblait à une stèle au travers de laquelle on pouvait voir brûler les flammes de l’enfer. Trois chenets à tête de chien étaient posés au fond de l’âtre et supportaient le bucher. Petit Cerbère de métal, ils veillaient sur les lieux, gueules ouvertes et regards fous. Sa place aurait été moins incongru dans un crématorium plutôt que dans cette demeure. Quel genre d’endroit pouvait avoir un coeur aussi terrible? Comment un symbole de vie pouvait à ce point sentir la mort?
Elle ne s’attarda pas sur ces tristes pensées et se dirigea vers le lit. Elle se déshabilla, laissant ses vêtements s’accumuler à ses pieds sans prendre la peine de les ranger. Pour les mettre où de toute façon? L’édredon d’un vert profond miroitait à la lueur du feu. On l’aurait dit fait du plus doux satin cependant ce chatoiement n’était pas dû à la qualité de l’étoffe mais à l’usure et la pellicule de crasse qui l’imprégnait. Nullement stoppée par cette constatation, elle posa son pied sur le couvre-lit et se hissa sur le matelas de paille qui se creusa sous son poids. Enfonçant ses pieds dans le gros édredon, elle remonta jusqu’à la tête de lit. Là, elle s’assit sur les oreillers et se glissa sous les draps. Malgré l’odeur douceâtre et quelque peu écœurante de vieux linge, elle éprouva un réel plaisir à sentir sur sa peau la caresse du coton usé. Une fois ensevelie sous un monceau de tissus et de plume, le matelas l’englobant de toute part, elle se mit en chien de fusil, les yeux tournés vers la cheminée. La couverture remonté jusqu’au menton, elle se laissa bercer par le flot dolent du
Styx de flamme. Elle s’endormit d’un sommeil doux et chaud. Au milieu de son sommeil, un soupir chercha ses lèvres et les embrassa. Sous l’effet de ce
Baiser sa bouche s’engourdit comme prit par la glace tendit que son sang bouillonnait. Les yeux clos, elle savourait cet instant étrange et intense.
Au fin fond de son cerveau, elle entendit un bruit de déchirure sans pouvoir comprendre d’où il provenait lorsque soudain elle senti un liquide envahir sa gorge et déborder de ses lèvres pour se répandre sur son cou. La sensation d’étouffement lui fit ouvrir les yeux. Dresser face à elle, deux billes noires la regardaient fixement, un morceau de sa langue pendouillant entre les dents d’un visage grimaçant. Ses mains s’agitèrent, brassant l’air de manière désordonnées. Ses doigts finirent par se refermer sur un rebord en métal. D’un coup de rein, elle se releva et pencha la tête dans le vide. Elle toussa et cracha comme une damnée. La panique passée, elle reconnu le dallage de sa salle de bain et le contact froid de l’étain. Epuisée, elle s’était endormie dans son bain et avait fini par glisser au fond de la baignoire.
Transie de froid, elle sorti de l’eau glacée et attrapa une serviette. Elle se frictionna avec force puis pencha la tête en avant et enroula ses cheveux. Une fois son dos préservé du goutte à goutte de sa chevelure mouillée, elle traversa la salle de bain et sa chambre à grande enjambée, attrapa une énorme couverture et s’enroula dedans. Emmitouflée jusqu’aux yeux, elle s’installa devant la cheminée. Ici rien de macabre dans la structure de l’édifice. C’était une cheminée typique des vieilles demeures bourgeoises rurales. De la pierre de taille blanche sans fioritures excessives, massive et de toute beauté dans sa simplicité.
Elle repensa à son rêve, à ce qu’avait été sa vie jusqu’à présent et ce qu’elle était devenu depuis ces derniers jours. La tranquillité et la quiétude avaient fait place aux cauchemars, à la prostration et à la peur. Elle n’était pas sorti de chez elle et quasiment pas de sa chambre depuis l’incident de Samhäel. Elle se laissa transporté par sa réflexion pour aboutir à une interrogation qui la saisie: à bien y réfléchir, était-elle un jour réellement sorti de chez elle? Au vu de sa vie, pouvait-elle affirmer cela ? Si physiquement c’était un fait indéniable qu’en était-il si on remettait cette affirmation dans une vision plus conceptuelle ? Elle vivait depuis sa naissance au même endroit, entouré des mêmes gens, pérennisant une certaine façon de vivre et même si elle s’intéressait à nombre de choses, pouvait elle affirmer qu’elle était un jour sorti de chez elle? Son monde n’était-il pas rien d’autre que l’extension de sa chambre ? Un univers parfaitement familier, connu et maîtrisé. Si elle basait sa réflexion sur ce postulat alors sa peur de ces derniers jours, était-elle liée à la peur de mourir ou à celle de vivre ? Qu’est ce qui l’effrayait vraiment? Son agression qui toute violente fut elle avait eu peu pour ne pas dire aucune incidence physique ou de voir son univers vacillé sous ses pieds et d’être dans l’obligation de plonger dans l’inconnu? Cet incident lui permettait de porter un autre regard sur les choses mais pour cela il lui fallait tourner le dos à la facilité, si lourde parfois mais si confortable.
Tout cela tournait dans les flammes, poussé en avant puis en arrière, tourbillonnant devant ses yeux comme dans son cerveau. Les images, les concepts, les sensations se mélangeaient apparaissant sous des angles divers et novateurs. Les minutes et les heures passèrent. Elle avait l’impression de se noyer une deuxième fois, non plus avec de l’eau mais avec ses propres pensés. A bout de réflexions à mâchonner et triturer, elle convint d’une chose. Elle ne voulait pas rester ainsi, une victime pétrifiée d’effroi, et ce simple constat appelait une seule réaction : l’affrontement.
Une fois le mot posé, tout devint plus simple. Elle se leva,s’habilla et prit la direction du pavillon de chasse. Une fois à l’intérieur, elle entreprit d’inspecter les râteliers : pistolets, carabine longue portée, couteau, cartouches, tranquillement elle s’équipa. La constitution de son arsenal ne se limita pas aux armes usuelles. Au vu de sa réaction au feu, elle prépara quelques mini cocktails Molotov et prit en plus de la poudre, de l’amadou, des allumettes et un briquet. Malgré tout son attirail, un détail la chiffonnait. Elle monta jusqu’à la chambre de sa mère et prit dans son coffre à bijou un collier d’argent qui lui couvrait entièrement le cou. Si l’envie saugrenu lui prenait de venir à nouveau lui mordiller la jugulaire, il en serait pour ses frais.
Fin prête, elle se dirigea vers le chenil. Trois énormes chiens l’y attendaient. Parfaitement hideux, ils étaient aussi laids qu’ils étaient puissants. Leur pelage gris et épais était constamment ébouriffé. Une sorte de frange hirsute couvrait en parti des yeux jaunes orangés. Perdu au milieu d’un amas de poils dur et rêche leur gueule carrée laissait entrevoir une mâchoire d’acier. Massifs, ils gardaient néanmoins un corps relativement élancé propre à la course. Ils seraient de précieux alliés pour son entreprise. Les trois molosses derrières elle, elle monta à cheval.
Le creux qu’elle ressentait à l’estomac, ne faisait que grandir au fur et à mesure qu’elle se rapprochait du dénouement de sa dramaturgie personnelle. Elle avait l’impression d’un grand vide ou d’un trop plein, elle n’aurait su le dire. Elle aurait donné n’importe quoi pour être ailleurs et priait avec force pour qu’un événement quelconque se mette en travers de sa route et l’oblige à faire demi-tour. Mais le destin n’eut aucune pitié pour le petit rien qu’elle était, et occupé ailleurs par de plus grands dessins, il la laissa aller au devant d’elle-même.
Les derniers mètres furent douloureux. Elle releva la tête au dernier moment pour constater que rien ne jonchait le sol. Ni cadavre, ni ossements dépouillés par des prédateurs, ni petit tas de centre avérant de sa mort par combustion. Elle mit pieds à terre afin de pouvoir observer de plus près le sol. Elle cherchait des indices lui permettant de reconstituer les évènements après qu’elle eut fuit et surtout qui lui permettraient de savoir s’il était mort ou non.
A force de persévérance et grâce au fait qu’un coup de froid avait pétrifier le sol humide de cette nuit là, elle remarqua des traînées parallèles qui se dirigeaient vers un monticule de terre retenu par les racines d’un énorme chêne. Elles la conduisirent jusqu’à l’entrée d’une tanière qui était suffisamment large pour laisser passer le corps d’un homme. Prudente, elle alluma une torche et explora les alentours et l’entrée du terrier. Des traces de doigts sur le sol était encore visible. Elle siffla les chiens et leur désigna l’entrée.
“Tue”, pas “attaque”, pas “attrape” mais “tue” car à cet instant précis, là et maintenant, elle le voulait mort. Mort pour l’avoir attaqué, Mort pour avoir détruit son univers, Mort pour avoir réussi pendant quelques jours à la réduire à l’état de victime, Mort pour avoir levé le voile de sa naïveté, Mort pour l’avoir fait vibrer.
Les chiens s’engouffrèrent à l'intérieur. Elle attendit de toute son impatience, tendant l’oreille mais seul le bruit des chiens lui parvenait. Ils ressortirent n’ayant rien trouvé à dévorer. Cependant le dernier tenait entre sa gueule un morceau de tissu calciné.
Elle fut à la fois dépitée et soulagée. Dépitée de ne pas l’avoir trouvé mais soulagée qu’il ne soit pas mort. Elle prit alors conscience qu’elle voulait et avait besoin de l’affronter. Seule la confrontation serait salutaire et nécessaire pour qu’elle puisse entamer un nouveau cycle.
Elle prit le morceau de tissu entre ses doigts et le fit renifler aux chiens.
“Cherche”.