Art(s) et littérature >> Lorem Lunaë
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Mardi 09 Juillet 2013 - 15:33:27
Chap 1 - Vox -
  

L'herbe avait gardé son empreinte. Il s'agenouilla et Huma l'air, faisant frémir les ailes de ses narines au dessus de cette silhouette terrienne, avalant par petites goulées, les subtiles effluves montant jusqu'à lui. Grâce à la prégnance de son odeur sur le sol, il pouvait deviner les contours de son corps. 

L'odeur de ses cheveux, un mélange de mûre et d’huile d’argan, s’estompait le long de son cou pour laisser apparaître celle de sa peau. Cette dernière se révélait pleinement à l’emplacement de sa poitrine. A cet endroit l’herbe, plus tassée par le poids des seins, s’en était fortement imprégnée. Il suspendit un instant son exploration olfactive pour en déceler toutes les composantes. Les minutes restèrent prisonnières de sa rêverie, assujetties aux courbes et à la douceur fantasmées de cette Poitrine plaquée au sol.

Une rafale balaya le sous-bois, dispersant son odeur aux quatre coins de la crique. Ce vide sensoriel l’arracha brutalement à sa contemplation onirique. Il patienta quelques instants pour que les différentes effluves se stabilisent à nouveau et reprit sa progression.

Le ventre. Une note plus ambrée vint s’ajouter à celle de sa peau. Il accompagna ce nouveau fils conducteur jusqu’à sa source. Enivrante, charnelle, nul doute n’était possible sur son origine. Il effleura l'herbe du bout des doigts. Caresse intime à une chimère.

A présent, il connaissait sa voix et son odeur. Bientôt il découvrirait le reste. Du bout des lèvres, du bout des doigts, centimètre carré par centimètre carré. Il caresserait sa bouche, lécherait sa peau. Ses baisers pénétreront sa chair pour en savourer sa texture. Il se délecterait de son corps comme il s'était délecté de ses réparties assassines. 

Des semaines auparavant, il avait trouvé Refuge dans les sous-bois de cette petite crique afin de fuir un soleil ravageur. Au détour d'un chemin, il avait aperçu les frondaisons des arbres et s'était rué vers cet havre d'ombre et de fraîcheur. Abruti par la chaleur, il s'allongea sous les arbres prêt à se laisser bercer par les bras de Morphée. Mais, à peine avait-il fermé les yeux, qu'un groupe de femmes investi les lieux. 

A leurs approche, il grimpa dans un arbre. Sa présence ici soulèverait trop de questions et de soupçons. A la lisière des mondes, tout le monde connaissait tout le monde. Une présence étrangère, au mieux intriguait au pire effrayait et quand les hommes sont effrayés, ils sont dangereux, même pour quelqu’un comme lui.

Elles ne s'enfoncèrent pas sous les arbres mais préférèrent s'installer à l’orée du bois. Elles sortirent de leurs besaces une multitude de fioles qu'elles disposèrent sur l'herbe. De loin, cela ressemblait à un parterre de fleurs étranges aux formes alambiquées, une mosaïque multicolore où venait se refléter les rayons du soleil. Aucune étiquette n'indiquait leur contenu. Huiles ou onguents, remède ou secret de beauté, Seul leur propriétaire en connaissait les vertus et la recette.

La crique prit des faux Airs de thermes romaine. Les arbres centenaires remplaçaient les colonnes grecques, la roche de granit: le marbre. Caché dans son arbre, il assista à un moment de plénitude féminine, joué maintes fois au quatre coin du monde depuis que la femme est femme. Un instant de volupté, où le devoir de prendre soin de son corps devenait un plaisir et un art.

Les discussions futiles se disputaient la place aux sujets plus sérieux. Leurs conversations l'amusaient grandement, particulièrement les réflexions d’une d'entre elles. Ses traits d'humour étaient irrésistibles. L’épaisseur du feuillage et le contraste de luminosité ne lui permettait pas de voir son visage. Il changea plusieurs fois de position mais ses tentatives pour l'apercevoir restèrent vaines. Il finit par museler sa curiosité et s’installa confortablement. Les yeux mi-clos, il profita de la conversation.

Il comprit rapidement que ce rituel se déroulait toutes les semaines. Rendez-vous fut prit. Il avait toujours aimé observer le comportement humain et cette réunion hebdomadaire deviendrait son petit laboratoire personnel. Il se délectait à l'avance de ces moments et notamment des futures interventions de la femme à l’humour acéré. 

Cela faisait plusieurs fois qu'il revenait écouter leurs vicissitudes. Toujours dissimulé dans son arbre, il les attendait. Il remarqua tout de suite l'absence de sa nouvelle "amie". L'intensité de sa déception le surpris. Cette absence le blessait. Il la ressentait comme un manque de délicatesse de sa part.

 La journée s'étira en longueur. Il n'arrivait pas à se concentrer sur les conversations. Il lui en voulait de ne pas être là et il s'en voulait d'être si réactif à son absence. Vindicatif, il ne vint pas au rendez-vous suivant. Réaction puérile mais satisfaisante pour son égo. Deux semaines plus tard, il réintégra sa cachette et attendit son arrivée.

La chaleur était particulièrement étouffante et contrairement à leur habitude, les femmes s’avancèrent dans le sous-bois pour chercher un peu de fraîcheur.  Elles
prirent leur quartier au pied de l’arbre où il était caché. Enchanté d'une telle aubaine, il scruta chaque visage, attendant nerveusement qu'elles se mettent à parler pour pouvoir la reconnaître. Malheureusement, seul deux d'entre elles papotaient tandis que les autres somnolaient. La chaleur rendait les corps et les esprits indolents et la conversation s'épuisa d'elle même. 
 
Des bruits de pas se firent entendre. Il se pencha doucement pour tenter de voir qui s'approchait mais une énorme branche lui cachait la vue.  A son grand désarroi, elle s’arrêta un peu à l’écart. Elle salua ses compagnes et s'allongea à son tour. Il reconnu aussitôt sa voix. De là où il était, il ne pouvait apercevoir qu'un bout de ses mollets. Subjugué par ce petit morceau de peau, il ne pouvait en détacher son regard. L'intrusion de la chair dans un univers, jusque là, uniquement auditif, le fit saliver.

Après leur départ, il sauta au bas de sa cachette. Il s’approcha de l’endroit où elle s’était étendue. L'herbe avait garder son empreinte. Il s’agenouilla et huma l’air.



Mercredi 10 Juillet 2013 - 09:28:21
Chap 2 - Umbra



La crique resta déserte. Les heures s'écoulèrent sans que rien ne vint perturber le calme de cette après midi d'été. Il prit son mal en patience et attendit que les heures les plus chaudes soient passées pour reprendre la route. Tout en marchant, il se perdait en conjoncture sur les raisons de cette désertion et surtout il se demandait si elles seraient là la semaine prochaine. 

Ce jeu de cache-cache l'exaspérait et l'amusait tout à la fois. L'ambivalence de ses sentiments se perdait jusque dans son envie de la rencontrer. Il voulait, à la fois, savoir à quoi elle ressemblait tout en redoutant que la réalité soit en deçà de ses fantasmes. Son esprit lui avait déjà donné mille visages. Un jour il la pensait grande, les traits un peu sec presque sévère, un autre jour il la voyait blonde puis rousse. Dans cet amas de supputation stérile, une seule chose était indéniable, la curiosité le tenaillait et rien ne semblait pouvoir l'endormir.

Depuis qu'il avait pris la route quelque chose le titillait. Un détail incongru venait parasiter sa pensée sans qu'il puisse en définir la cause. Son cerveau fini par percuter. A cette heure, la vallée aurait due être déserte et pourtant il entendait toujours les cris et les chants des paysans. A l'instant où il prit Conscience de cette réalité, il comprit pourquoi personne n'étaient venu cette après midi: Les moissons. A cette période de l'année, toute la population déployait ses forces vers le même objectif. Paysans ou notables chacun avaient son rôle à jouer. Il n'était plus temps de venir se délasser au soleil.

Il bifurqua à droite et monta jusqu'au sommet d'une colline. De là, il avait une vue panoramique sur la vallée. A ses pieds, des groupes d'hommes et de femmes s'activaient dans les champs. Il apercevait même des falots prêts à être allumés lorsque la clarté deviendrait insuffisante. Malheureusement il avait vue juste.

Dépité, il secoua la tête. Il ne mettrait jamais de visage sur cette voix. Il repris sa marche. Contrarié. A présent, il ne lui restait plus qu'à oublier tout ceci et à passer à autre chose.

Il se rendit vite compte que les ressorts psychique de la mémoire n'avaient pas besoin de se rattacher à une image pour être vivaces. Bien au contraire, ils se cachaient dans de tous petits riens, fugaces et versatiles comme un parfum. L'odeur d'herbe coupée lui remémorait son odeur. Certaines situations lui rappelaient une réplique et le faisait sourire. Sa mémoire avait une vie propre qu'il lui était impossible de contrôler. Il était obsédé par l’exquise floue et immatérielle d'une empreinte dans le sol. Il fallait que cette Obsession cesse et pour cela il devait rendre réel l'irréel. Il devait la retrouver pour pouvoir l'oublier.

Il commença ses recherches.

Elles venaient à pied ce qui impliquait qu'elles habitaient à moins d'1/2 heure de marche. Il ne les voyait pas porter tout leurs matériels, surtout par cette chaleur, plus longtemps. Il répertoria les villes des environs à moins d'1/2 heures de la crique. Après avoir consulté les cartes de la région, il en retint 3.

Son plan était on ne peut plus basique: se rendre dans chacune d'elles le jour du marché. Au delà de l'aspect utilitaire, c'était un lieu de sociabilisation important. Il permettait de se tenir au courant des dernières nouvelles de la communauté et du monde extérieur. Des alliances s'y créait,des affaires s'y concluaient. C'était le passage obligé pour toute personne s'intéressant un tant soit peu à ses concitoyens. Il était donc pratiquement sur de l'y croiser. En se concentrant suffisamment, il pourrait isoler son odeur dans la foule et il reconnaîtrait sa voix aux premiers mots.

Cette fois ci la chance lui souria. Aucun des marchés ne tombaient le même jours, mieux encore, une des villes en avaient 2 par semaine. 4 jours différents donc 4 fois plus de chance de la retrouver. Il commença sa quête convaincue d'un résultat rapide mais de nouveau, sa compagne de misère s'attacha à lui. Il écumait les marchés depuis 1 mois et rien. Ni odeur ni voix.

Pour la énième fois, il rentrait bredouille. Cela faisait bien longtemps qu'il aurait dû la trouver et il était là à tournoyer de ville en ville comme un dément. La déception des premiers jours fit place à la colère. Il rentra d'un pas rageur, prenant plaisir à pulvériser la faune et la flore sous ses pieds. Il arrachait les branches plus qu'il ne les écartait de sa route. Ne prêtant pas attention aux ronces et branchages qui s'agrippaient à ses cheveux et à ses vêtements.

Hors de lui, il déversait sa fureur dans un monologue impie et blasphématoire, énumérant les sévices qu'il lui ferait subir. Mais pour qui se prenait t-elle, cette fille de rien, pour le narguer ainsi. Il réduirait à néant son arrogance, soumettrait cet insignifiant petit morceau de chair sous ses mains profanatrices. Rien ne sera assez atroce, assez humiliant.

Tout à ses pensées destructrices, il ne s'était pas rendue compte qu'il avait quitté le sous bois et rejoint la route.

«Bonjour»

Il stoppa net. Cette voix. Les yeux mi clos il huma l'air. Maintenant que son esprit n'était plus tourné vers ses pensées, il sentit son odeur. Suave. Il se retourna.

Elle se tenait à côté d'un buisson de myrtilles. Ses doigts étaient tâchés par le jus des fruits et des traces violines maculaient les commissures de ses lèvres. Non loin, son cheval broutait sur le bas côté, les rennes pendouillant sur son encolure. Elle le regardait un peu étonné.

Il la cherchait depuis des semaines, sans succès, et le hasard l'avait jeté sur sa route. Seule. Au milieu de nulle part. A sa merci. Une satisfaction malsaine se dessina sur son visage.

Lundi 15 Juillet 2013 - 13:24:34
Chap 3 - Primera
 
Il ne lui répondit pas. Pour le moment elle était calme et sans inquiétude mais il savait que cela n'allait pas durer. Elle allait rapidement se sentir menacée par son silence. D'interrogateur son regard deviendrait scrutateur puis effrayé. Elle reculerait jusqu'à son cheval, partiellement rassurer par cet obstacle entre eux. Elle bafouillerait peut être quelques mots avant de monter en selle. Son odeur se modifierait. La Peur.

Elle n'avait aucune chance. Aucune. Une fois entre ses mains, elle le supplierait, se transformant en une créature pleurnicheuse et pathétique. Savourant par avance chaque étape de ce scénario, un goût de métal monta dans sa bouche. Il allait prendre un pied d'enfer.

Mais au lieu de paniquer, elle réitéra son bonjour en appuyant sur chaque syllabe. Son intonation était plus sèche comme agacée par son impolitesse.

« Bonjour »
Sa propre voix le surpris. Il lui avait répondu par réflexe, presque sur un Ton d'excuse.

Satisfaite, elle reprit sa cueillette.  

Son indifférence totale à sa présence le piqua au vif. 

En deux enjambées, il fut derrière elle. Tout près. Trop près. Dans sa hâte, il n'avait pas pris en considération l'effet de son parfum. Des centaines de sensations l'assaillirent, insaisissables, se liant les unes aux autres avant de se séparer dans une anarchie totale. Il dû fermer les yeux quelques secondes pour stabiliser toutes ses informations et former un tout cohérent. Alors tous ses souvenirs resurgirent: fraîcheur des sous bois, miroitement du soleil à travers les feuilles, murmure de l'eau, rire, plaisir, douceur, odeur, voix...

Lorsqu'il rouvrit les yeux, elle s'était retournée et sa main reposait sur la garde d'un poignard. Son attitude était neutre mais parfaitement claire.

Il l'examina plus qu'il ne la regarda, la détaillant entièrement avant de se focaliser sur son visage. La courbe de sa bouche, la couleur de ses yeux, le grain de sa peau, il ne cherchait pas à en apprécier la beauté mais à la deviner à travers les moindres détails. Son regard se fit plus acéré presque médical à force d'attention. Elle était si proche. Se serait si facile. Ses doigts se crispèrent instinctivement mais l'envie avait disparue.

Ses joues s'empourprèrent légèrement sous l'effet de cet examen assidu. Dans un battement de cil, elle retrouva son impassibilité et répondit à son Inquisition en l'examinant à son tour avec la même impudence.

Il y avait quelque chose d'inconvenant dans cette observation crue et minutieuse. Si un observateur extérieur avait assisté à cette rencontre, il aurait été choqué par tant d'impudeur mais également par la froideur qui se dégageait de la scène. Aucun sentiments ne semblaient animer les deux protagonistes en dehors d'un intérêt purement analytique pour son vis à vis. Il aurait dû s'approcher au plus près, écarter les chairs, pénétrer leurs coeurs et là, et seulement là, il aurait pût apercevoir un frémissement. Un frémissement tellement infime qu'il était au delà de la perception consciente. Concentré sur l'autre, ancré dans l'instant présent, ils ne le perçurent ni intellectuellement ni émotionnellement et pourtant la métaphysique de leurs univers venait de se modifier irrémédiablement. S'ils s'en étaient aperçu tout de suite, alors peut être auraient ils pût lutter contre. Peut être auraient ils pût l'étouffer avant qu'il ne les étouffe mais sa faiblesse fit sa force.

Il avait atteint son but: mettre un visage sur une voix. Il ne la tuerait pas en souvenir des bons moments passé à l'écouter mais maintenant qu'il avait quelque chose à oublier, il l'oublierait comme des dizaines d'autres avant elle.  

Elle n'avait vue qu'un homme aux manières bizarres mais somme toute inoffensif. Peut être raconterait-elle une ou deux fois cette anecdote avant qu'elle ne sombre dans les limbes de sa mémoire.

Ils repartirent chacun de leurs côtés. Sans se soucier de l'autre.



Mercredi 17 Juillet 2013 - 13:56:03
Chap - 4 - Samhain -


Nous avons tendance à croire que le chaos et la Destruction sont les fils et fille de hordes barbares ou de catastrophes fracassantes et titanesques. Hors, la plupart du temps, ils sont engendrés par des petits rien impalpables et subtiles.

Ignorés par tous, ils grandissent dans l'ombre de nos vies, devenant peu à peu parti intégrante de notre quotidien. Petites griffures à notre Conscience auquel nous répondons par une indifférence polie. Après tout ce ne sont que des petits choses insignifiantes,des détails, vibrations incongrues qui, croyons nous, se résorberont d'elles même. Mais loin de disparaître, elles s'amplifient jusqu'à noyauter totalement notre vie. Les petits riens deviennent alors de gros quelque chose impossible à contrôler.


Le chaos dans lequel leur vie allait basculer, était un de cela. Fils de rien dont l'origine n'avait pas plus de consistance que le frémissement éthéré de deux cœurs
Un frémissement qui pousse l'un de nos deux protagonistes, à changer son terrain de chasse habituel pour un endroit plus difficile d'accès et moins giboyeux. La raison invoquée: la lassitude de chasser toujours au même endroit. Bien évidement le fait que ce soit justement dans cette partie de la montagne qu'elle ait rencontré cet étrange inconnu, n'étant absolument pour rien dans cette décision. Elle peut vous le jurer. D'ailleurs, elle a complètement oublié cette rencontre.

 
Ou encore qui conduit le second à prendre ses quartiers d'hivers dans cette région sous prétexte que la saison est trop avancée pour traverser la montagne. Là encore, la logique n'a pas sa place. En effet, les cols seront encore praticables pendant deux mois. De plus, le froid n'avait jamais arrêté les siens. Mais ces réalités étaient totalement occultées par son cerveau.

 
Et ce ne sont là que les plus évidents. Je vous épargne tous ceux qui les entraînent immanquablement vers l'endroit de leur rencontre, qui les font guetter le moindre bruit de pas dans la forêt ... C'était là que résidait toute la beauté mais aussi la perversité de la chose. Chacun croyant être maître de ses actes alors qu'ils leurs étaient dictés par une pulsion tapis au plus profond d'eux même.

 
Après maints tâtonnements et détours, le « hasard » finit par les réunir à l'occasion de la fête de Samhain. Cette fête célébrait l'entrée dans la saison «sombre». Elle revêtait un caractère particulier, symbolisant à la fois la transition entre deux saisons et la rencontre entre deux mondes, celui des vivants et celui des esprits. C'était également une période de rupture, abolissant l'ordre et la structure du monde. Une nuit hors du temps, hors normes. Ils s'y rendraient tout deux. Elle de par ses prérogatives sociales, lui parce qu'il aimait cette fête. C'était le Seul moment de l'année où il se sentait à sa place car plus rien n'avait de place.

 
Le cérémonial était toujours le même. Les habitants se retrouvaient sur la place centrale autour du feu sacré. A la nuit tombée, tous les foyers seraient plongés dans le noir. Les maîtres de maison se rendraient sur la place afin de prélever de nouvelles braises. Munis de ce feu nouveau, ils retourneraient chez eux rallumer l'âtre des maisons. Lorsque le noir absolu se fit, il sentit le groupe se resserrer. La foule se regroupa autour du feu, la peur ancestrale de la nuit les chassant vers la lumière et le réconfort du nombre. Venant de tous les coins de la ville, les maîtres de maison s'approchèrent. L'un après l'autre, ils enflammèrent un morceau de bois. Tel de petits démiurges, ils ramenaient symboliquement la vie en leur demeure.


A la seule lueur des flammes, la scène prenait un aspect fantasmagorique. Il observa la foule pendant le cérémonial. La cohésion sociale était palpable. Les visages étaient à la fois tendus et réjouis. Une fois, les foyers rallumés, les festivités commencèrent. Il allait se fondre dans la foule lorsque quelque chose attira son attention. Un peu à l'écart, un groupe de quelques personnes discutaient. Scène des plus banales et sans aucun intérêt. Il allait repartir lorsqu'un des membres prit congé des autres et s'éloigna. Il la reconnu tout de suite. L'envie …
 

Il s'accrocha à ses pas tout le reste de la soirée. Il la regarda rire, boire, manger, danser avec les siens. Il voyait le feu de ses joues augmenté sous l'effet de la boisson et des pas de danse. Elle tournoyait dans une bulle de chaleur, passant de bras en bras, de rire en rire. Il ne l'approcha pas, se tenant à une distance suffisante pour pouvoir la voir sans être vue. La tache était difficile. La foule était dense, dans un mouvement, elle pouvait le jeter à ses pieds et dans un autre l'éloigner dangereusement. Plusieurs fois il faillit se retrouver face à elle. Plusieurs fois il faillit la perdre.

 
Au milieu de la nuit, elle quitta la fête un tonnelet dans une main et une torchère dans l'autre. Elle se dirigea vers un des feux allumés autour de la cité. Elle tendit le tonnelet à une femme et resta un moment à discuter avec le groupe avant de redescendre vers le bourg.
 
Assit sur un monticule de roche, il attendit son retour. Quand elle s'approcha de lui, il sauta à terre et s'avança vers elle. Elle n'eut pas l'air surprise.
 
« Vous avez mis du temps à vous décider »

« Je ne savais pas comment vous aborder et quoi vous dire »

« Maintenant vous le savez? »

« Non »
 

Sa réponse la fit rire. Un rire vif auquel donnait plus d'éclat et de chaleur une bouche non dissimulée par une main. Comme la première fois, il scruta son visage, s'attardant sur ces deux rangées de dents qui se montraient fièrement dans un éclat de rire, sur les rides que formaient la gaîté, sur le bleu de la veine temporale ressortant sur sa peau dont le hâle avait été remplacé par sa couleur hivernale. Il distinguait les battements de son coeur à travers les pulsations de son cou. Lorsqu'il s'approcha un peu plus, il les vit s'accélérer. Dans l'air glacé de la nuit, la chaleur de leur souffle se mélangea en un chaste baiser. Plus rien d'analytique et de froid.


Perdu au milieu d'un chemin de campagne, un petit rien venait de se transformer en gros quelque chose.


Le monde des vivants se mélangea à celui des esprits et des dieux. Le chaos engendré par cette rencontre régnerait le temps nécessaire aux rites sacrés. Pendant quelques heures le temps n'existerait plus. Suspendu entre ces deux mondes, ils étaient le symbole vivant de cette fusion.

Jeudi 18 Juillet 2013 - 11:35:40
Chap  5 - Doloris


Un baiser.
Sa main se posa sur sur sa joue et elle se mit sur la pointe des pieds afin de rapprocher leurs visages. Sous cette impulsion, il resserra ses bras autour de sa taille afin de l'accompagner dans son mouvement.

Le froid.
Ses lèvres la brûlait mais son corps... le froid, un frisson, la glace, l'hiver, la mort ... Troublée, elle toucha sa joue, son cou. Froids. Elle entrouvrit son manteau et glissa ses mains sous sa chemise. Froid.
 
Un signal d'alarme se déclencha dans la partie la plus primaire de son cerveau. Sa petite voix intérieur se fit entendre:

"Personne n'est aussi froid. Ce n'est pas normal. Il n'est pas normal."  

Son cerveau formula le mot "normal" mais au plus profond d'elle même elle pensa vivant. Son désarroi remplit la nuit.

Il lui sembla que l'espace s'était dilaté les éloignant l'un de l'autre. Un instant plus tôt il goûtait la chaleur de ses lèvres et maintenant elle se tenait devant lui, distante de quelques centimètres mais inaccessible. Il chercha une brèche sur son visage fermé. Un battement de cil, les prémices d'une expression, quelque chose auquel se raccrocher mais elle ne disait rien, ne faisait rien.  Le sang avaient reflué de ses joues la transformant en une poupée de cire. A la voir si pâle, il aurait pu croire qu'elle était l'une des siennes.   Un point positif: elle ne s'était pas sauver en hurlant.    

Il lui fallut quelques minutes pour assimiler cette réalité. Quoi faire, quoi dire. Elle était totalement démunie ne sachant comment réagir. Elle écarta les pans de sa chemise et posa à nouveau ses mains sur son torse.  Doucement elle colla son oreille contre sa poitrine. Et si elle n'entendait rien...  

Au début, elle n'entendit que les battements de son propre coeur. il lui fallut quelques secondes pour se calmer et percevoir une deuxième pulsation. Son coeur battait. Elle l'entendait aspirer et Expulser son sang. VIVANT. Froid mais vivant. Merci seigneur.  

Dans un élan de soulagement tous ses muscles se relâchèrent. Elle s'abandonna contre lui, se laissant bercer par la régularité et la douceur de cette pulsation. Leurs rythmes cardiaques finirent par ne faire plus qu'un. Deux coeur battant à l'unisson. Cette idée la fit sourire. La mièvrerie ne s'applique qu'aux autres quand cela nous concerne, nous appelons ça romantisme.  

Son visage sur sa Poitrine lui brûlait la peau. Il la serra un peu plus contre lui.  Il se reput de sa chaleur. Toute cette vie, impétueuse, inconsciente de sa préciosité et de son caractère sacré. Il en connaissait la mécanique parfaite, le flux et le reflux interne, sa subtilité, sa fragilité ... son goût. A cette évocation, sa bouche devint sèche. L'envie monta d'un coup. Son pouls s'affola martelant ses tempes. Un voile rouge s'abattit sur lui. 

Ses doigts se resserrèrent autour de ses bras. Elle poussa un gémissement de douleur. Mais qu'est ce qui lui prenait. Il lui faisait mal. Elle tenta de le repousser mais il serra encore plus fort, l'obligeant à rapprocher son visage du sien. Mi affolée mi en colère, elle le mordit sauvagement. Par réflexe il la repoussa. Libérée de son étreinte, ses jambes lui hurlèrent de courir mais elle savait que ça ne servirait à rien. Trop près. Elle fit face. 

Faire face, quelle connerie, elle n'avait pas envie de faire face, elle avait envie de fuir. Envie de lui dire d'arrêter que ce n'était pas drôle. Envie de dire pouce, de crier cette petite formule magique qui arrêtait instantanément le jeu, vous ramenant dans le monde réel où les méchants redevenaient des enfants inoffensifs dans un éclat de rire. Par pitié, éclate de rire,
Dis moi "je t'ai bien eu". Promis-juré, je te pardonnerais de m'avoir effrayé mais s'il te plaît chasse le monstre dans tes yeux, le jeu va trop loin, j'ai peur, tu me fais peur.
 
Mais il ne dit rien. Le jeu ne s'arrêta pas. Le croque mitaine existait et il allait la dévorer toute crue.  
   
Elle resta immobile. Non par courage mais parce qu'elle était trop terrifiée pour faire quoi que ce soit. Impassible et prête au combat extérieurement. Paralysée par la peur et au bord des larmes intérieurement. Il se jeta sur elle.
Ses doigts se refermèrent à nouveau sur ses bras la clouant sur place. Ses mains étaient deux étaux qui la broyaient. Il la maintenait prisonnière sans effort. Seuls ses avant-bras et ses mains pouvaient encore se mouvoir. Elle leva les yeux vers lui, cherchant son regard, espérant y déceler celui qui l'avait embrassé et pouvoir le ramener à la surface mais ses yeux n'étaient plus que deux billes de verre noires et abyssales. Plus rien d'humain n'existait en lui. Elle ne l'entendait même pas respirer. C'était la mort qui la tenait dans ses bras. La mort qui se penchait vers elle. Aucune pitié à attendre, aucun espoir. Le froid et le silence.
   
Une douleur effroyable lui déchira le flanc. Son corps meurtri se recroquevilla sur lui même l'entraînant vers le sol. Le feu de sa blessure se rependait de cellule en cellule, l'enfermant dans une douleur sans fin. Quand son torse vint percuter le sol, la puissance de son propre cri lui vrilla les tympans. Inerte, incapable du moindre mouvement, la fraîcheur de la neige sur sa blessure était son
Seul point d'attache au monde extérieur. Un fil ténu l'empêchant de sombrer dans l'inconscience. Allongé dans la neige, face contre terre, ce n'était plus qu'une silhouette inanimée.   

Revenir à la réalité. Secouer la torpeur. L'abandonner sur place et partir loin d'ici. Ses réflexes
Animal prirent le relais. L'adrénaline se répandit dans ses veines. Un pas puis un autre. Vite, de plus en plus vite. S'éloigner du corps. Le
vent qui siffle, les paysages qui défilent. L'ivresse de la vitesse. Plus vite toujours plus vite. L'acide lui brûlait les muscles. Son cerveau prit le relais sur la mécanique. Plus rien ne comptait. Le monde n'était plus qu'un trou noir béant. Toutes ses ressources s'étaient mobilisées dans un
Seul but: courir.
 
Une grille puis une autre. Un escalier. Un couloir. Une porte. Son refuge.
A bout de nerf, à bout de souffle, elle s'effondra sur le sol. Les larmes se mirent à couler. Elle pleura comme jamais elle n'avait pleuré.





Lundi 22 Juillet 2013 - 11:23:31
Chap 6 - Delirium

Il rampa dans la neige comme un pénitent vers son salut. Son esprit tendu vers un Seul objectif: rejoindre l'entrée d'une tanière abandonnée afin de se soustraire à la convoitise des charognards. Y laissant peau et ongles, il gratta le sol avec lenteur et acharnement afin d'en agrandir l'ouverture.
Une fois le trou suffisamment grand, il se laissa glisser au fond. Une odeur pestilentielle lui agressa la gorge. Il n'arrivait pas à déterminer si elle venait de lui ou si elle était inhérente au lieu. Il regarda sa blessure. Son flanc n'était plus qu'un champ de cloques. Par transparence il pouvait voir tout un réseau de petits vaisseaux sanguin à vif. Là où les cloques avaient percé un liquide translucide suintait. Il se renifla. L'odeur de chair brûlée se mêlait à celle plus acre de son corps fiévreux. Il puait la mort.

Il se renversa sur le dos. La douleur ne diminuait pas, ne s'amplifiait pas, elle ETAIT. A chaque respiration, il avait l'impression de sentir encore et encore sa Torche le brûler. Lors de son attaque, elle avait réussi à saisir sa torchère plantée dans le sol et à la lui enfoncer dans les côtes. Seul l'épaisseur de ses vêtements avait empêché qu'il ne s'enflamme comme un fétu de paille. La douleur avait été atroce même maintenant il avait l'impression de continuer à se consumer.  
 
Depuis cet instant le feu était devenu le maître mot de son existence: feu des flammes, de la douleur, de la fièvre, de son baiser. Tout se mélangeait dans sa tête dans un délire incandescent. Il ne restait plus rien du grand prédateur, de sa force et de son arrogance. Ce n'était plus qu'un corps débile tapis dans les entrailles de la terre. Un monceau de souffrance.   

A plusieurs lieues de son linceul de douleur, sa proie entretenait un dialogue intérieur avec la folie. Prostrée dans un coin de sa chambre,elle ressemblait à une poupée de chiffon jetée à même le sol. Incapable de se mouvoir et de penser, le visage défait, les yeux hagards, elle était redevenue une petite fille terrifiée par le noir. Elle cherchait dans ses souvenirs la voix douce et rassurante de sa mère mais n'entendait que celle de la femme qu'elle était devenue lui répéter sans relâche que les monstres existaient.
 
Elle aurait voulu tout effacer de sa mémoire mais plus elle refoulait la vérité, plus les eaux noires de ses terreurs d'enfance la submergeaient. Elle, qui détestait les dogmes et les carcans, aurait aimé qu'on lui rende ses œillères. Elle avait envie de rationalisme obtus et de conformisme. Elle essayait de se raccrocher à Sa réalité mais elle n'y voyait plus que mensonge et mystification. Sa perception du monde s'effritait par pans entiers sans qu'elle puisse rien n'y faire. De guerre lasse, elle cessa de lutter contre l'évidence. Elle laissa les deux réalités fusionner entre elles pour n'en former plus qu'une. Elle renonça à toutes ses certitudes.  
Cette abdication lui fut salutaire. La Tension retomba suffisamment pour qu'elle puisse rassembler les morceaux épars de son esprit.  Le calme revint en elle. Elle regarda autour d'elle. Son lit, ses livres, sa chambre. La familiarité et la quiétude du lieu agirent comme un baume. Doucement elle se releva et se dirigea vers son lit. Elle s'enfonça dans le sommeil en même temps qu'elle s'enfonçait dans son édredon. Sa dernière pensée fut pour Lui et contre toute attente elle fut douce. Les rayons de lune vinrent caresser sa joue, Samhain berça sa fille.  

Ils s'endormirent chacun de leur côté. Que ce soit dans la chaleur douillette des plumes ou l'humidité d'un lit de terre, leur nuit fut semblable. Ils tourbillonnèrent dans des cercles de contradictions irrationnelles, rejouant maintes et maintes fois la même scène déformée par le filtre de leur inconscient. Pour autant la noirceur de leur errance n'amoindrissait en rien l'intensité de leur étreinte. Au contraire, par contraste, elle n'en semblait que plus éclatante. 
 
Ce fut le froid qui la réveilla. Le feu dans la cheminée était presque éteint et le pâle soleil de novembre n'était pas suffisant pour réchauffer la pièce. Elle se leva péniblement. Ses cuisses la faisaient souffrir. Son cerveau était brumeux. Lorsqu'elle se baissa pour relancer la cheminée elle grimaça de douleur. Elle s'assit devant les flammes.
 
La dernière fois qu'elle s'était sentie aussi mal au réveil remontait à plusieurs années et à une cuite mémorable. Au chaud, à l'abri, elle se laissa bercer par cette idée rassurante. Elle avait juste trop bu et fait un horrible cauchemar. Elle aurait pu s'adonner à cette petite supercherie intellectuelle de manière permanente si elle n'avait pas aperçu son reflet dans la psyché. Le choc fut tel qu'elle mit quelques secondes à reconnaître la femme qui la regardait. Elle n'était pas pâle mais livide. Ses cheveux étaient plaqués contre ses tempes. Ses yeux semblaient trop grands pour son visage. La seule pointe de couleur dans ce masque funèbre était la traînée de sang qui avait coagulé sur ses lèvres. Son esprit se crispa. Elle l'empêcha de partir à la dérive en se concentrant sur un détail. Elle lut et relut la marque de fabrique du miroir: Lewis et Caroll, Lewis et Caroll, jusqu'à ce que le danger s'éloigna. Elle devait se rendre à l'évidence. Elle était passé de l'autre coté et ne pas l'accepter c'était ouvrir la porte à la folie.
 
Elle devait vérifier une dernière chose. Les doigts tremblants, elle dégrafa sa robe et en fit glisser les manches le long de ses bras. Les marques de doigts ressortaient sur sa peau de manière ostentatoire et agressive. Ses derniers doutes furent balayés par cette image de chair tuméfiée. De nouveau elle posa son regard sur l'inconnue qui la fixait dans le miroir. Cette femme avait l'air si fragile si perdue.  Elle aurait voulu la prendre dans ses bras et faire disparaître d'un baiser les vestiges de cette ignominie. Dans un geste de réconfort elle caressa le reflet.




Mardi 23 Juillet 2013 - 13:12:42
Chap - 7 - Fantasia

Les volutes de vapeurs avaient envahi les lieux engloutissant tout ce qui l'entourait. La silhouette d'imposants candélabres se découpait au quatre coin de la pièce. Le fer forgé s'entrelaçait dans une étreinte effilée dispensant une lumière vacillante.

Même nue et immobile au milieu de la pièce, sa peau se recouvrit de gouttelettes de sueurs. La chaleur l'enveloppait appuyant de toute son inconsistance sur sa Poitrine rendant sa respiration plus difficile. L'air était épais presque étouffant. A chaque inspiration, elle le sentait descendre lentement jusqu'à ses poumons lui donnant l’impression de l’avaler plus que de le respirer.

Elle délaissa la coiffeuse pour se diriger vers la baignoire. Le sol était recouvert d'une fine pellicule de condensation mais il avait gardé sa fraicheur. Ses pieds glissaient douloureusement sur les pierres froides.

A chaque fois que ses orteils touchaient le sol et que le poids de son corps se déplaçait d'une jambe sur l'autre, elle émettait un petit grognement de souffrance. Ses muscles criaient misère à chaque sollicitation de sa part aussi infime était-elle. La douleur lui faisait redécouvrir la mécanique d'un corps en mouvement. A travers elle, elle pouvait suivre chaque étape de cet acte si simple et irréfléchi qu'était la marche. Cette pleine Conscience de son corps lui donnait un sentiment, presque jouissif, de maîtrise absolue. Il ne demandait qu'à s'arrêter et s'effondrer et elle parvenait à l'obliger à se mouvoir malgré ses cris de protestation qui lui perforaient les jambes.

Parvenu au centre de la pièce, elle enjamba le rebord de la baignoire et se laissa glisser avec lenteur à l'intérieur. Des milliers d'aiguilles vinrent transpercer ses membres froids et endoloris qui accueillirent avec plaisir et douleur la morsure brûlante de l'eau. Elle tendit la main vers un fauteuil sur lequel était pliée une petite serviette et la glissa sous sa nuque afin de compenser l'inconfort du rebord en métal. 

Elle savoura de longue minute ce moment de calme avant de saisir éponge et bloc de savon. La mousse était douce et agréable au toucher. Elle se lava avec une méticulosité excessive, décomposant et amplifiant chacun de ses gestes, frottant chaque parcelle de peau avec une lenteur calculée. Elle se concentra sur cette tache simple et concrète jusqu'à total abstraction de toutes autres pensées. A la fin de ce petit cérémonial, l'esprit libéré de ses angoisses, elle se laissa porter par le silence. Elle n’était plus qu’une enveloppe vide flottant dans un univers ouaté. 

A travers ses paupières mi-clauses, elle devinait le Halo vacillant des bougies. Au milieu de ce monde d’ombre et de brume, elle avait  l’impression d’avoir embarqué sur un vaisseau fantôme. Elle s’attendait presque à voir se dessiner, sur le miroir embué, le visage d’un démon grimaçant. Cette peur enfantine la fit sourire, elle savait où était le corps agonisant du démon et elle savait également où se trouvaient les autres. Tout près, on ne peut peu plus près, prisonniers envahissants et mortifères de son cerveau fiévreux. Elle commença à sonder ses souvenirs. D'abord les moins délétères jusqu'à laisser remonter les plus anxiogènes. L'opération était délicate et risquée mais nécessaire. Elle ne chercha pas à les analyser. Elle les laissa dériver sans essayer de leur donner sens. Elle les accepta pour ce qu'ils étaient: les éléments d'un tout certes hors norme et terrifiant mais cohérent et faisant partie de sa réalité.

Ils flottèrent en elle comme des bulles de savons, chacun contenant une parcelle de son histoire. Peu à peu ils se replacèrent d'eux même, s'imbriquant les uns dans les autres jusqu'à retracer le fil des événements. Elle les observa, les soupesa, les examina. Cette analyse la conduisit à une constatation simple et indéniable: dès leur 1ere rencontre elle avait perçue le danger et elle en avait fait fi.

Sa manière d'humer l'air, la convoitise dans ses yeux, la satisfaction perverse de son rictus, la contraction de ses doigts. Il ne l'avait pas examiné comme un homme ordinaire appréhende une femme: sein, fesse, visage, intérêt sexuel, indifférence, dégoût mais comme un gourmet se délectant par avance. Lorsqu'il s'était approché d'elle, elle s'était presque attendue à ce qu'il lui lèche la joue pour la goûter.  

La dureté et la cruauté se dégageant de lui auraient dû l'inquiéter mais quelque chose avait fait écho en elle. Même maintenant elle ne pouvait définir l'origine de son trouble mais il était bien réel et suffisamment puissant pour annihiler son instinct de survie.

Elle avait aimé sentir le poids de son regard sur son visage. Son inquisition froide et minutieuse ne l'avait pas dérangé. Elle n'avait rien fait pour se rendre acceptable. Elle lui avait soumis un visage de marbre, sans fard. Dans une sorte de plaisir pervers, elle avait eu envie qu'il voit chaque rides, chaque imperfections, qu'il ait conscience de ce qu'elle était et surtout de ce qu'elle n'était pas. La vérité brute dans toute sa splendeur et dans toute sa laideur.

Paradoxalement l'intensité de cette rencontre, au lieu de s'imprimer dans sa mémoire, s'était vue refoulé au plus profond de son inconscient. L'incongruité et la dangerosité de cette attirance lui avait valu cette fin de non recevoir. Cependant elle avait toujours été là, suffisamment présente pour lui faire changer ses habitudes dans l'espoir de recroiser sa route.

Là, dans ce monde fantasmagorique qu’elle avait créé comme un écrin pour ses réminiscences  morbides, elle retraça le déroulement de leur seconde rencontre. Ses pensées s’arrêtèrent sur la sensation bestiale et viscérale qui l'avait envahi quand sa langue avait franchi ses lèvres. A ce rappel une bouffée de chaleur l'irradia. Même la terreur extrême de cette nuit ne parvenait pas à amoindrir se souvenir et cela l'effrayait bien plus que la noirceur de son âme.



Samedi 23 Novembre 2013 - 17:21:28
[B][SIZE="4"] Chap 8 Lorem -[/SIZE][/B]


Ses doigts glissaient le long du mur nu et crayeux. Pas à pas, elle suivait ce fil d’Ariane évitant ici et là un objet oublié par le temps. La pierre était douce, parfaitement taillée. Nulles aspérités ne venaient perturber le cheminement de sa main. Elle avait l’impression de caresser le dos froid et humide d’un Animal endormi. La semelle de cuir de ses bottes effleuraient le parquet gorgé d’eau sans un bruit, même son souffle était retenu dans les mailles de l’étole qu’elle avait remonté jusqu’à son nez. Seul le bruit feutré de l’étoffe de son manteau contre le mur trouvait écho dans l’immense pièce. Silencieuse, elle n’était qu’un jeu de lumière sur un mur. Ombre chinoise d’un rêve sans joie d’une petite fille aux yeux trop grands pour un monde trop petit.

Au fond de la salle, l’aura de la cheminée délimitait un espace aux contours diffus et graciles. Elle se ressentait comme un personnage de Rembrandt, sortant de la noirceur profonde pour pénétrer dans la volupté et l’onirisme d’un de ses clairs obscurs créant, par un jeu de lumière, une pièce dans la pièce. Seul un lit, plus proche de la paillasse que d’un objet de repos confortable, occupait cet espace. Ni tablette, ni siège, ni même assiette ou carafe. Rien, en dehors de ce lit au ras du sol. Sur les murs, la condensation avaient laissé libre court à sa créativité en dessinant des guirlandes de moisissures qui s’entrelaçaient avec des fleurs de salpêtres. Ce mariage incertain donnait vie à une fresque Baroque et duveteuse, seule excentricité d’un lieu minimaliste et austère. Même la cheminée avait un air sévère. Surdimensionnée, taillée dans un marbre noir rendu mat par l’accumulation de la poussière, sans ornement, elle ressemblait à une stèle au travers de laquelle on pouvait voir brûler les flammes de l’enfer. Trois chenets à tête de chien étaient posés au fond de l’âtre et supportaient le bucher. Petit Cerbère de métal, ils veillaient sur les lieux, gueules ouvertes et regards fous. Sa place aurait été moins incongru dans un crématorium plutôt que dans cette demeure. Quel genre d’endroit pouvait avoir un coeur aussi terrible? Comment un symbole de vie pouvait à ce point sentir la mort?

Elle ne s’attarda pas sur ces tristes pensées et se dirigea vers le lit. Elle se déshabilla, laissant ses vêtements s’accumuler à ses pieds sans prendre la peine de les ranger. Pour les mettre où de toute façon? L’édredon d’un vert profond miroitait à la lueur du feu. On l’aurait dit fait du plus doux satin cependant ce chatoiement n’était pas dû à la qualité de l’étoffe mais à l’usure et la pellicule de crasse qui l’imprégnait. Nullement stoppée par cette constatation, elle posa son pied sur le couvre-lit et se hissa sur le matelas de paille qui se creusa sous son poids. Enfonçant ses pieds dans le gros édredon, elle remonta jusqu’à la tête de lit. Là, elle s’assit sur les oreillers et se glissa sous les draps. Malgré l’odeur douceâtre et quelque peu écœurante de vieux linge, elle éprouva un réel plaisir à sentir sur sa peau la caresse du coton usé. Une fois ensevelie sous un monceau de tissus et de plume, le matelas l’englobant de toute part, elle se mit en chien de fusil, les yeux tournés vers la cheminée. La couverture remonté jusqu’au menton, elle se laissa bercer par le flot dolent du Styx de flamme. Elle s’endormit d’un sommeil doux et chaud. Au milieu de son sommeil, un soupir chercha ses lèvres et les embrassa. Sous l’effet de ce Baiser sa bouche s’engourdit comme prit par la glace tendit que son sang bouillonnait. Les yeux clos, elle savourait cet instant étrange et intense.

Au fin fond de son cerveau, elle entendit un bruit de déchirure sans pouvoir comprendre d’où il provenait lorsque soudain elle senti un liquide envahir sa gorge et déborder de ses lèvres pour se répandre sur son cou. La sensation d’étouffement lui fit ouvrir les yeux. Dresser face à elle, deux billes noires la regardaient fixement, un morceau de sa langue pendouillant entre les dents d’un visage grimaçant. Ses mains s’agitèrent, brassant l’air de manière désordonnées. Ses doigts finirent par se refermer sur un rebord en métal. D’un coup de rein, elle se releva et pencha la tête dans le vide. Elle toussa et cracha comme une damnée. La panique passée, elle reconnu le dallage de sa salle de bain et le contact froid de l’étain. Epuisée, elle s’était endormie dans son bain et avait fini par glisser au fond de la baignoire.

Transie de froid, elle sorti de l’eau glacée et attrapa une serviette. Elle se frictionna avec force puis pencha la tête en avant et enroula ses cheveux. Une fois son dos préservé du goutte à goutte de sa chevelure mouillée, elle traversa la salle de bain et sa chambre à grande enjambée, attrapa une énorme couverture et s’enroula dedans. Emmitouflée jusqu’aux yeux, elle s’installa devant la cheminée. Ici rien de macabre dans la structure de l’édifice. C’était une cheminée typique des vieilles demeures bourgeoises rurales. De la pierre de taille blanche sans fioritures excessives, massive et de toute beauté dans sa simplicité.

Elle repensa à son rêve, à ce qu’avait été sa vie jusqu’à présent et ce qu’elle était devenu depuis ces derniers jours. La tranquillité et la quiétude avaient fait place aux cauchemars, à la prostration et à la peur. Elle n’était pas sorti de chez elle et quasiment pas de sa chambre depuis l’incident de Samhäel. Elle se laissa transporté par sa réflexion pour aboutir à une interrogation qui la saisie: à bien y réfléchir, était-elle un jour réellement sorti de chez elle? Au vu de sa vie, pouvait-elle affirmer cela ? Si physiquement c’était un fait indéniable qu’en était-il si on remettait cette affirmation dans une vision plus conceptuelle ? Elle vivait depuis sa naissance au même endroit, entouré des mêmes gens, pérennisant une certaine façon de vivre et même si elle s’intéressait à nombre de choses, pouvait elle affirmer qu’elle était un jour sorti de chez elle? Son monde n’était-il pas rien d’autre que l’extension de sa chambre ? Un univers parfaitement familier, connu et maîtrisé. Si elle basait sa réflexion sur ce postulat alors sa peur de ces derniers jours, était-elle liée à la peur de mourir ou à celle de vivre ? Qu’est ce qui l’effrayait vraiment? Son agression qui toute violente fut elle avait eu peu pour ne pas dire aucune incidence physique ou de voir son univers vacillé sous ses pieds et d’être dans l’obligation de plonger dans l’inconnu? Cet incident lui permettait de porter un autre regard sur les choses mais pour cela il lui fallait tourner le dos à la facilité, si lourde parfois mais si confortable.
Tout cela tournait dans les flammes, poussé en avant puis en arrière, tourbillonnant devant ses yeux comme dans son cerveau. Les images, les concepts, les sensations se mélangeaient apparaissant sous des angles divers et novateurs. Les minutes et les heures passèrent. Elle avait l’impression de se noyer une deuxième fois, non plus avec de l’eau mais avec ses propres pensés. A bout de réflexions à mâchonner et triturer, elle convint d’une chose. Elle ne voulait pas rester ainsi, une victime pétrifiée d’effroi, et ce simple constat appelait une seule réaction : l’affrontement.

Une fois le mot posé, tout devint plus simple. Elle se leva,s’habilla et prit la direction du pavillon de chasse. Une fois à l’intérieur, elle entreprit d’inspecter les râteliers : pistolets, carabine longue portée, couteau, cartouches, tranquillement elle s’équipa. La constitution de son arsenal ne se limita pas aux armes usuelles. Au vu de sa réaction au feu, elle prépara quelques mini cocktails Molotov et prit en plus de la poudre, de l’amadou, des allumettes et un briquet. Malgré tout son attirail, un détail la chiffonnait. Elle monta jusqu’à la chambre de sa mère et prit dans son coffre à bijou un collier d’argent qui lui couvrait entièrement le cou. Si l’envie saugrenu lui prenait de venir à nouveau lui mordiller la jugulaire, il en serait pour ses frais.

Fin prête, elle se dirigea vers le chenil. Trois énormes chiens l’y attendaient. Parfaitement hideux, ils étaient aussi laids qu’ils étaient puissants. Leur pelage gris et épais était constamment ébouriffé. Une sorte de frange hirsute couvrait en parti des yeux jaunes orangés. Perdu au milieu d’un amas de poils dur et rêche leur gueule carrée laissait entrevoir une mâchoire d’acier. Massifs, ils gardaient néanmoins un corps relativement élancé propre à la course. Ils seraient de précieux alliés pour son entreprise. Les trois molosses derrières elle, elle monta à cheval.

Le creux qu’elle ressentait à l’estomac, ne faisait que grandir au fur et à mesure qu’elle se rapprochait du dénouement de sa dramaturgie personnelle. Elle avait l’impression d’un grand vide ou d’un trop plein, elle n’aurait su le dire. Elle aurait donné n’importe quoi pour être ailleurs et priait avec force pour qu’un événement quelconque se mette en travers de sa route et l’oblige à faire demi-tour. Mais le destin n’eut aucune pitié pour le petit rien qu’elle était, et occupé ailleurs par de plus grands dessins, il la laissa aller au devant d’elle-même.

Les derniers mètres furent douloureux. Elle releva la tête au dernier moment pour constater que rien ne jonchait le sol. Ni cadavre, ni ossements dépouillés par des prédateurs, ni petit tas de centre avérant de sa mort par combustion. Elle mit pieds à terre afin de pouvoir observer de plus près le sol. Elle cherchait des indices lui permettant de reconstituer les évènements après qu’elle eut fuit et surtout qui lui permettraient de savoir s’il était mort ou non.

A force de persévérance et grâce au fait qu’un coup de froid avait pétrifier le sol humide de cette nuit là, elle remarqua des traînées parallèles qui se dirigeaient vers un monticule de terre retenu par les racines d’un énorme chêne. Elles la conduisirent jusqu’à l’entrée d’une tanière qui était suffisamment large pour laisser passer le corps d’un homme. Prudente, elle alluma une torche et explora les alentours et l’entrée du terrier. Des traces de doigts sur le sol était encore visible. Elle siffla les chiens et leur désigna l’entrée.
“Tue”, pas “attaque”, pas “attrape” mais “tue” car à cet instant précis, là et maintenant, elle le voulait mort. Mort pour l’avoir attaqué, Mort pour avoir détruit son univers, Mort pour avoir réussi pendant quelques jours à la réduire à l’état de victime, Mort pour avoir levé le voile de sa naïveté, Mort pour l’avoir fait vibrer.

Les chiens s’engouffrèrent à l'intérieur. Elle attendit de toute son impatience, tendant l’oreille mais seul le bruit des chiens lui parvenait. Ils ressortirent n’ayant rien trouvé à dévorer. Cependant le dernier tenait entre sa gueule un morceau de tissu calciné.

Elle fut à la fois dépitée et soulagée. Dépitée de ne pas l’avoir trouvé mais soulagée qu’il ne soit pas mort. Elle prit alors conscience qu’elle voulait et avait besoin de l’affronter. Seule la confrontation serait salutaire et nécessaire pour qu’elle puisse entamer un nouveau cycle.
Elle prit le morceau de tissu entre ses doigts et le fit renifler aux chiens.
“Cherche”.

Dimanche 08 Décembre 2013 - 00:22:52
Chap 9 - Lunae -

Truffes au sol, les chiens couraient en avant. Elle les suivait de près, ne lâchant rien, poussant son cheval à travers ronces et broussailles, dans des passages à peine suffisamment large pour ses épaules. Ils abandonnèrent la forêt derrière eux et atteignirent les premiers alpages. Sur le versant d’en face, elle distingua la forme trapue d’une bergerie. Sa main se crispa sur les rênes. Il l’attendait là bas. Elle le savait, elle le sentait dans ses tripes.

Il les renifla avant de les voir ou de les entendre. Trois chiens, un cheval et une quatrième odeur. Une odeur humaine, une odeur de femme, chaude, sensuelle à laquelle se mêlait celle du cuir et de la sueur. Une odeur ambrée et florale tout à la fois. Son odeur. Instantanément l’envie le prit au ventre. Ses narines palpitèrent, avides. Plonger sa tête dans ses cheveux et s’imprégner de leur odeur. Suivre la ligne de sa nuque jusqu’à son épaule. Puis descendre dans le creux de son bras et à l’intérieur du poignet là où la peau est si fine qu’on peut voir les veines par transparence et sentir son pouls palpiter. S’arrêter et s'enivrer. Faire ainsi tous les points du corps où le parfum s’exhale avec le plus de force. Dessiner et redessiner la cartographie olfactive de sa peau. La respirer jusqu’à s’étourdir.

Il sortie de la bergerie et la regarda s’approcher. L'odeur était encore plus forte maintenant qu’il était à l’extérieur. Immobile, il Huma l’air comme un drogué cajole son obsession. Il n’arrivait pas à s’en défaire pourtant il ne pouvait rester ainsi à attendre que les chiens lui sautent à la gorge. Il n’avait pas réussi à survivre à sa blessure pour finir en amuse gueule pour molosses. Il réussi à prendre sur lui et se mit à courir.


Elle le vit sortir. Il restait immobile à la regarder venir. Durant quelques instants, elle cru qu’il restera là à l’attendre mais soudain il pivota sur lui même et s'enfuit.

Les rênes montées court, le corps plaqué à celui de sa monture, elle s’efforçait par sa position d’augmenter la fluidité et la rapidité de la course de l’animal en donnant le moins de prise possible aux éléments. Ses cheveux et ses doigts mêlés à la crinière, elle ne faisait plus qu’un avec lui. Sous l’effort et la concentration la sueur dégoulinait le long de sa nuque et se répandait dans son dos.

Les chiens couraient sans bruit, la langue pendante, les yeux exorbités, ils ne lâchaient plus l’odeur de leur proie. Dans leur sillage, son souffle suspendu aux foulées de son cheval, elle le talonnait sans relâche. L'animal ahanait sous l'effort. Les boucles en métal du mors commençait à entamer sa chair et des bulles rougeâtres s’immisçaient au milieu de l’écume qui se formait aux commissures de sa bouche. Sa crinière claquait au vent et à chaque fois que ses postérieurs touchaient le sol pierreux, une gerbe d’étincelle naissait sous l’impact du fer contre le quartz. Les volutes blanches qui se dégageaient de ses naseaux et de son corps luisant de transpiration, son souffle rauque et puissant, les égratignures sanglantes qui zébraient son poitrail noir le rendaient terrible à voir. Dans le Silence de la plaine, cette masse sombre fumante, précédée par trois molosses silencieux comme la mort, semblait sortir tout droit de l’enfer tel un cavalier de l’apocalypse.

Personne n’aurait douté de la nature de la scène et, le cœur serré, aurait lancé une prière pour la sauvegarde de l’âme de ce pauvre quidam poursuivit par le diable. Disparue la victime à la poursuite de son bourreau. Leur équipage n’avait rien de vertueux aux yeux du monde. La course avait inversée la perception du monde à leur égard. Le cerveau humain dans sa préhension simpliste et normative, n’aurait vu qu’un homme poursuit par le démon. Rares auraient été ceux à se demander comment un simple être humain pouvait maintenir la distance entre lui et un cheval lancé à plein galop et seraient arrivés à la conclusion qu’il n’était pas le gibier mais bien au contraire, qu’il entrainait la cavalière dans une course sans retour.

La poursuivante elle-même ne s’étonnait pas de cette singularité. A aucun moment cette information ne fut sélectionnée comme pertinente par son cerveau fiévreux. Il filait devant elle sans ralentir et elle, les yeux fixés sur son dos, elle le pistait sans trêve, s’enfonçant de plus en plus dans la montagne. Au-delà de la vengeance, le goût de la traque la poussait en avant courcircuitant toutes autres pensées.

Le jour poursuivait sa course et elle la sienne. Au bout d’une langue de granit, le sol se fissura afin de laisser le passage à une rivière. D’un bond fantastique l’homme franchi l’obstacle. Les chiens s’arrêtèrent n’osant pas s’élancer dans le vide. Sans ordre, leur animalité privilégia l’instinct de survie à celui de la chasse ce qui ne fut pas le cas de leur maîtresse. Trop humaine, elle poussa son cheval d’un coup de talon à franchir le précipice. Pris dans la course, dressé et obéissant jusqu’à l’abandon de soi, l’animal se détendit et sauta dans le vide.

L’autre rive était en contrebas et,sous l’effet conjugué de la fatigue et du dénivelé, il s’affaissa sous son propre poids lors de sa réception. Ses antérieurs plièrent et il s’écrasa lourdement en avant. Dans un éclair de lucidité, sa cavalière s’éjecta de la selle évitant ainsi de se retrouver coincée sous le corps de l’animal. Elle roula en boule quelques mètres plus loin. Etourdie, elle resta un instant allongé sur le sol. Ce fut les hennissements hystériques de son cheval qui la ramenèrent à la réalité. Affolée par la note de souffrance qu'elle y percevait, elle se précipita vers lui.

Arrivé à sa hauteur, elle se rendit compte de l’étendu des dégâts. L’os de son antérieur droit ressortait au niveau de l’articulation et avait en parti perforé le poitrail de l’animal. Elle contourna la tête de son cheval et parvint à se saisir des rênes qui cinglaient l’air. Elle resserra son étreinte autour des lanières de cuir et obligea l’animal à se coucher sur le sol. Dans cette position, il cessa de s’agiter en tout sens.

A genoux près de lui, elle passa sa main entre ses oreilles et tout en lui parlant d’une voix douce et calme, lui caressa le cou. Une fois qu'elle eu réussi à le calmer, elle sorti de sous son manteau son pistolet et la posa sur la tempe de l'animal. Le bruit de la détonation couvra ses paroles de réconfort et d’excuse. Après une dernière caresse, elle se remit debout.

La petite fille qui s’était réfugiée pleurante et implorante au tréfonds de son esprit se dressa à son tour et rejoignit la femme debout sur ce morceau de terre nu, le cadavre de son cheval à ses pieds. Elles se confondirent en une seule et même personne reliant ainsi passé et présent pour le dernier acte d'une pièce bancale et pathétique.

Elle regarda autour d'elle dans l'espoir de se raccrocher à quelque chose de connu mais elle ne reconnaissait rien, ni mont, ni col ,ni rivière. Aucuns repères familiers pouvant lui donner une idée de là où elle se trouvait. Même le soleil lui semblait étranger. Il n’avait rien de chaud et de réconfortant. Pâle disque blanc au milieu d’un ciel bas et terne, il donnait une teinte blafarde et cruelle aux paysages et aux êtres qu’il éclairait. A cet instant, il lui faisait penser à une pleine lune livide. Il était minuit à midi en ce désert de pierre, heure bâtarde et parfaite pour un dernier tango avec le diable.

Mardi 03 Juin 2014 - 00:07:52

Un dernier tango avec le diable, jolis mots pleins d’attente et de détermination à ouvrir les coeurs et les esprits à des épopées épiques. Et, il est vrai, que si le ciel avait été étoilé, si la nuit avait été sublimée par une lune rousse aux contours éthérés, peut être alors se serait-elle laissée aller à leur beauté, peut être aurait-elle succombé aux charmes noirs et baroques d’un duel avec le diable. Elle aurait pu pousser jusqu’au bout cette prose délicate, en savourer la poésie et la dramaturgie jusqu’à la lie mais, là, dans cette clarté laiteuse, il n’y avait rien de chevaleresque, ni charme, ni grandeur. Il n’y avait que l’humidité de cet air brumeux et celle, lancinante, de la sueur se refroidissant sur sa peau. Elle s’étirait le long de son échine comme une zébrure glaciale prenant vie dans la moiteur de ses vêtements, lacérant son dos tout comme le voile de romantisme qui obscurcissait son jugement. Dans un frissonnement, elle décida qu’elle ne mourrait pas là et maintenant par excès de lyrisme et d’orgueil.

Une fois sa décision prise, elle ne tint plus compte de l’homme en face d’elle. Si “ce que femme veut, Dieu le veut” pourquoi n’en serait-il pas ainsi avec le diable?

Elle appela ses chiens qui se plièrent à son bon vouloir. D’un bond ils se jetèrent à l’eau et traversèrent la rivière. Une fois sur la rive, ils vinrent se placer derrière leur maîtresse. Grognements sourds et crocs menaçants accompagnèrent leur manœuvre mais aucuns ne s’aventura à s’élancer vers la proie sans ordre.
A chaque secondes qui passaient, l’homme perdait de son poids dans son univers. Le temps, l’espace, les choses, les êtres, chacun semblaient être plus denses, plus présents, plus essentiels tandis que lui s’effaçait. Elle tourna le dos à une ombre immobile, à un souvenir.

Un genou à terre, elle récupéra son fusil et la besace qui était suspendue à la selle. Au moment où elle allait se relever, une spirale l’aspira vers un monde infini à travers une matrice violacée parcourues de vibrations rouges et jaunes. Sa chute était lente comme suspendue aux caprices d’une gravité ouatées.

Elle ne senti pas son corps s'écraser au sol. Pas plus qu’elle ne ressenti de douleur ou le froid de la terre.

Un souffle papillonna sur la lande, il vit vibrer l’univers, se diluer les couleurs et les formes. Tout ce mélangea comme une aquarelle submergée par les eaux. Une bouffé, une respiration. Le crissement du coton sur la soie.

Elle tourna la tête et contempla l’homme dont elle partageait la couche. Il dormait profondément. Froid contre sa peau chaude. Quelle étrange tentation à laquelle elle avait succombé, quelle étrange nuit, quel étrange rêve. Étrangeté comme seule la nuit de Samaël pouvait en engendrer.

Elle se leva doucement et s’habilla sans bruit. Elle partie sans un mot, sans un regard.

Il y a des rêves auxquels prêter une sourde oreille est une erreur et celui-ci en faisait parti.