

(Les paragraphes sont issus de ma chronique parue dans l'encyclo)
Cemetery fait parti de ces groupes malchanceux dans l'histoire du Death Metal et il aura fallu deux bonnes décennies d'obscurité avant d'être finalement mis en lumière en 2014 par la sortie d'une superbe compilation distribuée par Memento Mori. En effet, lorsqu'en 93 Cemetery enregistre au Mainstreet studios de Falk Gruber les huit titres qui composent "Enter the Gate", leur supposé premier album, ses membres sont loin de se douter que West Virginia Records avec qui ils viennent de signer un contrat est en train de péricliter, privant ainsi le groupe de son label. Suite à la banqueroute de ce dernier, Cemetery, dépité, se retrouve plongé dans une situation légalement compliquée, et faute d'un nouveau distributeur, se voit alors contraint de faire de leur premier album une simple démo tirée à moins d'une trentaines de K7.

A priori, fin de l'histoire, jusqu'à ce que vingt ans plus tard Roland Weihmayer, second gratteux, héberge pour le fun Enter the Gate sur le net en plus de créer une page Facebook pour le groupe. Initiative judicieuse qui ne manquera pas d'attirer quelques deathsters curieux de découvrir une perle oubliée de 93 et de favoriser un bouche à oreille positif parmi d'éminents membres de Spirit of Metal. La machine s'enclenche alors lorsque l'un d'entre eux, flairant l'énorme potentiel de l'album, contacte Raul, boss de Memento Mori...
Enter the Gate, c'est avant toute chose l'oeuvre de Dani Zizek, leader et guitariste compositeur du groupe, fan de Bathory, Death et Possessed, aussi bien que de rock progressif et de swedeath. Lorsque ce dernier rencontre le batteur Michael Bolz en 90, s'ensuivent des jam sessions dans lesquelles se greffent Robert Mayer à la basse et Frank Heimrath à la guitare. Cemetery voit ainsi le jour et une démo éponyme auto produite sort durant l'été 91 (Disc 2). L'inspiration est flagrante, Scream Bloody Gore & Leprosy, les compos sont frontales et directes et la production bien raw quoique lisible. Toutefois, on voit déjà poindre un goût immodéré pour les breaks de toute nature, et pour une basse grondante très présente, bien qu'aucun morceau ne se détache vraiment.

Puis, sous l'influence grandissante du techno death early 90's ainsi que des groupes de metal prog tels que Watchtower ou Psychotic Waltz, Dani Zizek enjolive son style de leads et soli vertueux, d'arpèges et de riffs variés dans des productions à tiroirs bien plus longues, et rende son growl plus râpeux, proche de celui de Schuldiner. Pour exemple, le EP de 92, lui aussi avorté et jamais sorti en son temps, proposé également sur cette compil, et dont les deux morceaux, l'entrainant "At Dark Places" et le thrashisant "Dungeon of Dreams" (futur Beyond the Wall of Sleep), qu'on retrouve d'ailleurs tous deux sur Enter the Gate, témoignent d'une plus grande maitrise technique et d'une volonté d'aller vers plus de mélodies.
Mais c'est bien Enter the Gate la star de ce double CD, qui voit d'ailleurs Roland Weihmayer succéder à Frank Heimarth. Fort de ses 62 minutes pour huit morceaux, on est soufflé par tant de maitrise et de feeling, les soli mélancoliques s'enchainant constamment et les breaks de batterie, de basse et de guitare découpant intelligemment les morceaux comme sur le très progressif "Cremation" qui semble divisé en plusieurs actes tout au long de ses dix minutes. L'apport parcimonieux de claviers est aussi bénéfique au groupe en lui conférant une dimension plus mélodique sublimant ainsi certains morceaux déjà bien costauds : "At Dark Places", dans une version moins raw que sur le EP, doté de fabuleux leads et dont le riff central super entrainant n'est pas sans évoquer les débuts de la vague melo death suédoise, ou encore "Trapped in the Out" dont le passage acoustique qu'accompagne un magnifique solo rappelle presque les Mets' de Fade To Black tandis que le final voit s'enchainer des soli vertueux à n'en plus finir. Que dire aussi de "The Different", excellent morceau d'ouverture, diablement prenant, où les guitares du tandem Zizek / Weihmayer font des merveilles, et de "Pits of hell" muni d'un passage au clavier quasi symphonique, sans doute le titre le plus mélancolique de l'album, à la saveur suédoise indéniable.
On pourrait trouver le temps long étant donné la durée des morceaux qui atteignent huit minutes en moyenne, mais Enter the Gate ne souffre pourtant d'aucune longueur tant Zizek s'attache à varier son riffing, pour éviter toute répétition, et à aérer ses compos par de nombreux changements de rythme. De plus la prod de Gruber est très déliée et chaque instrument trouve idéalement sa place, de la basse ronde ultra présente jusqu'à la batterie, le plus souvent en up tempo (point de blasts), en passant par les claviers subtils de Markus Ziegler et bien sur le jeu de guitare sublime de la paire Zizek / Weihmayer. Finalement, le seul bémol, car il en faut bien un, ce sont ces breaks de batterie numériques qui parsèment la galette et qui donnent un aspect quelque peu daté aux passages qu'ils sont censés dynamiser.

Entre les influences majestueusement disséminées, allant du techno death façon Pestilence, Atheist et Death (période Testimony / Unquestionnable / Human) à ce petit goût de melo death suédois alors naissant en ce début des années 90 (Edge of Sanity, At The Gates), et cette technicité doublée d'un sacré feeling, Cemetery aurait pu frapper très fort et se positionner comme le fleuron du death melo tendance progressive en Allemagne si le sort en avait décidé autrement. Zizek, écoeuré par le business, mit fin à l'aventure dès 93 et mua Cemetery en Aeons End, davantage orienté heavy prog, mais à la durée tout aussi éphémère. ll n'est donc pas trop tard pour découvrir ce double album aussi varié qu'inspiré, perle oubliée de l'histoire du death européen, d'une beauté et d'un feeling remarquables.