Pour celles et ceux qui veulent de la lecture...
En voilà :
Fomoirés La vue que j’ai depuis cette fenêtre m’obsède et me glace. Pourtant quand j’ai fait l’acquisition de cette belle demeure bretonne, en bord de mer, la vue que j’avais de cette fenêtre était la plus belle qui soit.
En été, lorsque la mer était calme et le soleil chaud, elle m’apportait le doux parfum de l’iode et le chant caractéristique et mélodieux des goélands accompagné par le son feutré du ressac sur les rochers en contrebas. Le passage de grands voiliers silencieux et solennels dans leur gréement de nacre et d’argent faisait naître en moi l’âme d’un aventurier partant à la découverte du vaste monde et de ses mystères.
Lors des tempêtes hivernales, je pouvais rester des heures entières à contempler les vagues furieuses se briser sur les digues, projetant de formidables et majestueuses explosions d’écume immaculée. J’aimais à ce moment là le bruit que font le crachin et les embruns qui s’écrasent sur les vitres au rythme saccadé des rafales de vent marin.
Mais c’était avant.
Avant cette terrible nuit du 3 au 4 novembre.
Déjà dès le début de la soirée les cieux s’étaient constitué de sombres, monstrueux et menaçants nuages ténébreux. Le vent s’était mit à répandre son cri plaintif et lancinant. Ça et là des éclairs déchiraient l’obscurité pour illuminer de leur brève lumière les vagues colériques. Les bourrasques d’une rare violence semblait vouloir balayer ma maison comme l’aurait fait le loup dans ce fameux conte pour enfant. Et c’est au milieu de ce
Maelström que je l’aperçu.
Papillon blanc bousculé, chahuté sans répit et sans relâche par l’ire des flots et des airs.
Balloté.
Secoué.
Cet imposant trois mâts paraissait bien frêle et fragile au milieu des montagnes liquides sur les quelles il dansait comme un être dément agité de spasmes frénétiques et désordonnés. Illuminé par intermittence par la foudre, prit dans des forces colossales employées à sa perte, le navire faisait embardée sur embardée, se cabrant tel un étalon furieux puis replongeant aussitôt comme le font les mammifères marins. Et c’est à la faveur d’une série d’éclairs que je le vit littéralement décoller de l’eau comme soulevé par une main gigantesque et se briser sur un bloc de rocher aiguisés tel les crocs de quelque fauve affamé. Au même instant le vent me porta un son comme je n’en avais jamais entendu. Une espèce de grognement sourd mêlé d’un chuintement improbable à vous glacer le sang. Je me demande encore si cette nuit là j’ai réellement ouï ce bruit ou si ce ne fut que le vent. J’ai aussi cru entendre en écho à ce son une multitude de petits cris perçants et horrifiés, fussent le cris des pauvres marins ? Ou là encore le vent et mon imagination ?
Dans la minute qui suivit, la tempête se calma brusquement pour ne laisser qu’un vide angoissant et surnaturel. Je cru tout de même discerner un long souffle, comme un chuchotement caverneux émis par la respiration de quelque être géant et impossible à imaginer. Je me précipitais hors de ma maison pour prévenir les marins, mais au moment où je franchissais le pas de la porte je vis sur le chemin un cavalier passer en trombe. Il me cria qu’il allait prévenir les secours. Je fit alors demi tour et remontais me coucher.
Je ne pu trouver le sommeil cette nuit là et ce n’est qu’à l’aurore que je m’écroulais de fatigue. Je fut réveillé quelques temps plus tard par un violent frisson d'appréhension. J’écarquillais les yeux et ma vue se fit plus nette. De ma fenêtre je pouvais apercevoir plusieurs petites embarcations tenter d’approcher le lieux du dramatique naufrage. Je me hâtais de prendre une rapide collation, de me vêtir et de seller ma monture et partais précipitamment en ville m’enquérir des dernières nouvelles.
En début d’après-midi les premiers sauveteurs accostèrent, la mine sombre. Le regard amer. Il n’y avait aucun survivant. Pas un seul des trente sept marins n’avait survécu à la violence qui s’était abattue sur ce fier vaisseau. Pis ! D’après ce que je pu saisir les corps des malheureux étaient tous mutilés d’atroce façon et portaient des blessures barbares d’une forme inconnue et sauvage. D’après leurs dires aucune créature et aucun outil connu n’avait pu pratiquer de tels entailles. Certains corps étaient même littéralement épluchés, totalement débarrassés de leur épiderme, les chairs exposées à la voracité des charognards aquatiques.
Les marins sont un peuple fier et brave mais aussi terriblement superstitieux et le soir venu, lorsque tous les secouristes furent rentrés au port accompagné d’une angoisse palpable et tenace, je restais au bar de la capitainerie.
Un silence de plomb régnait dans la brasserie d’ordinaire si vivante et agitée. Chacun perdu dans ses propres pensées sinistres et incertaines. L’heure avançant et le whisky aidant certains se mirent à parler à voix basse de créatures et de monstres marins citant Léviathan ou le Kraken d’autres parlant de démons venus des profondeurs. Je pu même discerner un mot que je ne connaissais point : Fomorii. C’était le vieil Angus, originaire d’Irlande, qui évoqua ce peuple monstrueux issu de contes et légendes celtes. Certes la tempête avait eu quelque chose de surnaturel dans sa soudaineté et sa violence de même l’état dans lequel les victimes avaient été retrouvées était assez extraordinaire mais de là à croire aux histoires de bonnes femmes issues des siècles d’ignorances scientifiques et irrationnelles c’était peut-être pousser l’extravagance un peu loin.
Pour ma part, n’ayant pas vu les corps, je mettais ça sur le compte des mouettes et des crabes, même si, je le conçois, le délai semblait étonnement court pour que leur œuvre macabre puisse être avancée au point d’impressionner de solides gaillards comme ceux-ci. Dans les autres discussions discrètes je pu saisir une allusion à une substance noirâtre, gluante et fétide retrouvée dans les cales du navire. Substance qui s’emblait sortie du bois de la coque comme l’aurait fait la sueur qui s’écoule des pores de notre peau.
Là encore je me doutais qu’il devait plutôt s’agir d’eau chargée de vase qui avait pu pénétrer dans le bateau à la faveur d’une ou plusieurs petites brèches dans ses œuvres vives. Quoi qu’il en soit les marins et sauveteurs semblaient terrorisés et surtout extrêmement angoissés à l’idée de reprendre la mer dans les prochains jours.
Je rentrais fort tard chez moi et allais me coucher sans traîner, la nuit précédente n’ayant pas été reposante et la journée fort longue. Vers vingt trois heures trente je soufflait ma chandelle plongeant ainsi ma chambre dans le noir. Dehors la marée montait, la lune jouait à cache-cache avec les nuages, le vent soufflais légèrement. J’étais sur le point de m’assoupir lorsque je cru de nouveau entendre ce son rauque et diffus pareil au râle d’agonie d’un mourant, une expiration d’outre tombe chargée de rancœur et d’amertume. Je prêtais l’oreille mais n’entendis rien de plus. Je me levais et allais à ma fenêtre. Mon regard se perdait au loin dans le vague quand à la faveur d’une trouée dans les nuages la lune darda ses rayons blafards sur les eaux sombres et révéla une immense masse encore plus noire et plus foncée que les flots aux quels j’étais habitué. Un nuage passa et lorsqu’il fut parti la lune n’éclairait plus que la mer totalement vide et calme.
Cette nuit là encore le sommeil me bouda et je ne pu fermer l’œil qu’aux premières lueurs de l’aube et ne me réveillais que fort tard, en début d’après midi. Je me rendis rapidement en ville pour tenter de glaner quelque information. En arrivant au port je vis qu’aucune embarcation n’avait quitté celui-ci depuis la veille hormis le petit cotre de pêche du Père Gustave, parti relever ses casiers plongés très près de la côte. Lorsqu’il revint en début de soirée il ne ramenait pas que le fruit de sa pêche. Il apportait avec lui l’effroi et le malaise, le sordide et l’abject. Il narra comment il avait trouvé au milieu des crabes et des langoustines de ses casiers des morceaux de chair dont l’origine ne faisait aucun doute étant donné qu’il avait retrouvé un œil humain ainsi qu’un lambeau de peau sur lequel un tatouage était présent. Son récit stupéfia l’ensemble des auditeurs rassemblés sur le quai. Pendant quelques instants il n’y eut plus le moindre bruit à part le faible clapotis sur la coque de son bateau.
Ce soir là tout le monde rentra tôt chez soi, moi y compris. En chevauchant à travers la lande entre la ville et ma demeure j’eus l’étrange sensation d’être épié. Il régnait un calme sinistre. Pas un son, pas un souffle de vent. Et à part le bruit des sabots de mon cheval sur le chemin sinueux qui menait jusqu’à ma résidence, il n’y avait que le silence immobile et figé de la mort. Après avoir frugalement dîné j’allais me coucher, exténué et fourbu. Le silence cotonneux qui régnait dehors semblait passer les murs et étouffer les quelques sons qu’il y aurait dû avoir. Ce mutisme de toute chose m’oppressait. Puis, alors que je me levais pour descendre dans le salon écouter le clic-cloc rassurant de mon horloge comtoise, j’entendis un bruit sec à ma fenêtre. Le même bruit que ferait un gravillon jeté sur la vitre. Attiré par je ne sais quelle force je me dirigeais vers les carreaux et me mis à regarder à travers ceux-ci. Là, sur la clôture qui sépare mon jardin de la mer, se trouvait un grand nombre de goélands qui regardaient tous, sans exception, dans ma direction. Il y avait un je ne sais quoi de malsain et d’étrangement intelligent dans leur regard. Puis, en parfaite synchronisation, ils se mirent à hurler d’un seul et unique cri à mon égard, proférant quelque menace incompréhensible mais néanmoins virulente. Il me semble que c’est à partir de cet instant que les choses empirèrent de façon fulgurante.
Après avoir proféré leur imprécation tous les volatiles s’en furent, là encore dans une synchronisation parfaite, en direction du récif sur lequel gisait l’épave maudite du bateau et se mirent à tourner joyeusement autour décrivant des cercles chaotiques chargés d’une monstrueuse signification que je n’osais pas imaginer ou tenter de percer. Ils continuèrent leur abominable ballet aérien jusqu’à ce qu’une forte bourrasque accompagnée d’une monstrueuse vague m’amène ce râle que j’avais déjà entendu. Ils se dispersèrent alors dans toutes les directions de manière affolée et désordonnée contrastant affreusement avec la coordination dont ils avaient fait preuve jusque là. L’un d’eux fondit à une vitesse ahurissante vers moi. Je le vit crier hideusement à mon intention et se faisant je le vit prit de convulsions affreuses qui le firent crier encore plus fort à tel point que je le vit littéralement se retourner comme un gant. Ses organes jaillirent par sa gorge déployée et ce sont ses intestins sanguinolents qui s’écrasèrent les premiers sur la vitre de ma chambre avec un bruit mouillé immonde et répugnant suivit par un ignoble bruit de sucion lorsque le reste de son corps déchiqueté percuta à son tour la fenêtre la faisant se fissurer par la même occasion. Je remercie encore aujourd’hui les concepteurs de cette maison d’avoir choisi des carreaux de petite taille résistants et non une grande surface de verre qui aurait, à coup sur, volé en éclat et m’aurait couvert d’immondices et de bris de verre.
Au travers des vitres souillées par l’abject bouillie sanglante de ce volatile j’aperçu une masse sombre émerger fugacement dans les flots ténébreux et replonger aussi vite. Je restais figé pendant un temps incertain. Quelques minutes ou plusieurs heures, je ne sais. Mais je revoyais en boucle l’horrible image de ce pauvre oiseau de mer mutilé, cette boule de chairs informes, ce boulet de viande encore vivante s’écrasant sur la paroi transparente. L’horloge sonnait deux heures du matin lorsque je sortais de ma léthargie apathique, les membres ankylosés de n’avoir pas bougé pendant longtemps en restants tendus come des filins de hauban. Cette nuit là encore je ne pu dormir. Je vis l’aube arriver, puis le petit matin et c’est fatigué et hagard que je me résolu à sortir de chez moi. Je fit le tour de ma demeure et allais jusqu’à la clôture et ce que je découvris étalé le long des planches de bois blanches me fit défaillir. Un énorme et visqueux tentacule de plusieurs mètres de long qui était assailli de spasmes et convulsions bien que coupé du corps du monstre marin qui l’avait engendré, palpitait au milieu d’un liquide épais et noirâtre exhalant une odeur pestilentielle comme seul le mélange de vase et de chairs pourrissantes auraient pu dégager. Il était d’une couleur incertaine, une espèce de vert vaseux avec des reflets rouges sang et blancs laiteux, parsemé de pustules kaki purulents dont un liquide violacé suintait comme une béchamel pleine d’infects grumeaux. Mon cœur se souleva et je vomi un flot gastrique bien moins écœurant que cette chose mort vivante venue de profondeurs abyssales cachées des hommes, niées par le créateur.
Je rebroussais chemin et parti sans tarder en ville chercher quelques marins pour qu’ils puissent me dire s’ils avaient déjà rencontrer pareille chose.
Lorsque nous arrivâmes quarante minutes plus tard le membre affreux n’était plus là. Il ne restait qu’une flaque dégoûtante où pullulaient des centaines de petits crabes verts qui s’égaillèrent vers la mer à notre approche. L’on me regardait comme si j’avais raconté quelque histoire puérile de mauvais goût. Je leur assurais que j’avais vu ce tentacule à cet endroit précis. L’un des marins me regarda avec un œil mauvais, cracha par terre et tourna les talons suivit par ses collègues. Seul resta le responsable de la capitainerie. Il me dévisagea puis me fit signe de le suivre. J’obtempérais non sans une certaine appréhension. En chemin j’étais perturbé et obsédé par l’étendue liquide qui m’oppressait sur ma droite, là en contrebas de la grève sableuse et déserte.
Arrivés au port il me somma de le suivre dans son bureau. Là, il me présenta à un homme d’une soixantaine d’année à la barbe blanche impeccablement taillée, portant un riche veston de velours. Son chapeau et sa canne, posés près de lui m’indiquèrent qu’il devait s’agir d’un notable. Qui, je l’appris rapidement, venais expressément de Vannes. C’était un scientifique, docteur ès science naturelle. Il tenait dans ses mains un livre. Le livre de bord du navire échoué. Il me demanda ce que j’avais vu ou entendu à propos du naufrage et je lui racontais également ma trouvaille de ce matin là. Je ne lui fis pas du tout part de l’incident de l’oiseau ni même des sons étranges que je pensais avoir entendu pendant mes tribulations nocturnes. Ensuite, après un long silence de réflexion, il me lu certaines pages du livre de bord. Les dernières, relatant les faits depuis la nuit du 31 octobre.
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