Art(s) et littérature >> Fomorii - Wallbreaker's novel
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Jeudi 26 Septembre 2013 - 16:50:45
Pour celles et ceux qui veulent de la lecture...
En voilà :




Fomoirés




La vue que j’ai depuis cette fenêtre m’obsède et me glace. Pourtant quand j’ai fait l’acquisition de cette belle demeure bretonne, en bord de mer, la vue que j’avais de cette fenêtre était la plus belle qui soit.
En été, lorsque la mer était calme et le soleil chaud, elle m’apportait le doux parfum de l’iode et le chant caractéristique et mélodieux des goélands accompagné par le son feutré du ressac sur les rochers en contrebas. Le passage de grands voiliers silencieux et solennels dans leur gréement de nacre et d’argent faisait naître en moi l’âme d’un aventurier partant à la découverte du vaste monde et de ses mystères.
Lors des tempêtes hivernales, je pouvais rester des heures entières à contempler les vagues furieuses se briser sur les digues, projetant de formidables et majestueuses explosions d’écume immaculée. J’aimais à ce moment là le bruit que font le crachin et les embruns qui s’écrasent sur les vitres au rythme saccadé des rafales de vent marin.
Mais c’était avant.
Avant cette terrible nuit du 3 au 4 novembre.
Déjà dès le début de la soirée les cieux s’étaient constitué de sombres, monstrueux et menaçants nuages ténébreux. Le vent s’était mit à répandre son cri plaintif et lancinant. Ça et là des éclairs déchiraient l’obscurité pour illuminer de leur brève lumière les vagues colériques. Les bourrasques d’une rare violence semblait vouloir balayer ma maison comme l’aurait fait le loup dans ce fameux conte pour enfant. Et c’est au milieu de ce Maelström que je l’aperçu.
Papillon blanc bousculé, chahuté sans répit et sans relâche par l’ire des flots et des airs.
Balloté.
Secoué.
Cet imposant trois mâts paraissait bien frêle et fragile au milieu des montagnes liquides sur les quelles il dansait comme un être dément agité de spasmes frénétiques et désordonnés. Illuminé par intermittence par la foudre, prit dans des forces colossales employées à sa perte, le navire faisait embardée sur embardée, se cabrant tel un étalon furieux puis replongeant aussitôt comme le font les mammifères marins. Et c’est à la faveur d’une série d’éclairs que je le vit littéralement décoller de l’eau comme soulevé par une main gigantesque et se briser sur un bloc de rocher aiguisés tel les crocs de quelque fauve affamé. Au même instant le vent me porta un son comme je n’en avais jamais entendu. Une espèce de grognement sourd mêlé d’un chuintement improbable à vous glacer le sang. Je me demande encore si cette nuit là j’ai réellement ouï ce bruit ou si ce ne fut que le vent. J’ai aussi cru entendre en écho à ce son une multitude de petits cris perçants et horrifiés, fussent le cris des pauvres marins ? Ou là encore le vent et mon imagination ?
Dans la minute qui suivit, la tempête se calma brusquement pour ne laisser qu’un vide angoissant et surnaturel. Je cru tout de même discerner un long souffle, comme un chuchotement caverneux émis par la respiration de quelque être géant et impossible à imaginer. Je me précipitais hors de ma maison pour prévenir les marins, mais au moment où je franchissais le pas de la porte je vis sur le chemin un cavalier passer en trombe. Il me cria qu’il allait prévenir les secours. Je fit alors demi tour et remontais me coucher.

Je ne pu trouver le sommeil cette nuit là et ce n’est qu’à l’aurore que je m’écroulais de fatigue. Je fut réveillé quelques temps plus tard par un violent frisson d'appréhension. J’écarquillais les yeux et ma vue se fit plus nette. De ma fenêtre je pouvais apercevoir plusieurs petites embarcations tenter d’approcher le lieux du dramatique naufrage. Je me hâtais de prendre une rapide collation, de me vêtir et de seller ma monture et partais précipitamment en ville m’enquérir des dernières nouvelles.
En début d’après-midi les premiers sauveteurs accostèrent, la mine sombre. Le regard amer. Il n’y avait aucun survivant. Pas un seul des trente sept marins n’avait survécu à la violence qui s’était abattue sur ce fier vaisseau. Pis ! D’après ce que je pu saisir les corps des malheureux étaient tous mutilés d’atroce façon et portaient des blessures barbares d’une forme inconnue et sauvage. D’après leurs dires aucune créature et aucun outil connu n’avait pu pratiquer de tels entailles. Certains corps étaient même littéralement épluchés, totalement débarrassés de leur épiderme, les chairs exposées à la voracité des charognards aquatiques.

Les marins sont un peuple fier et brave mais aussi terriblement superstitieux et le soir venu, lorsque tous les secouristes furent rentrés au port accompagné d’une angoisse palpable et tenace, je restais au bar de la capitainerie.
Un silence de plomb régnait dans la brasserie d’ordinaire si vivante et agitée. Chacun perdu dans ses propres pensées sinistres et incertaines. L’heure avançant et le whisky aidant certains se mirent à parler à voix basse de créatures et de monstres marins citant Léviathan ou le Kraken d’autres parlant de démons venus des profondeurs. Je pu même discerner un mot que je ne connaissais point : Fomorii. C’était le vieil Angus, originaire d’Irlande, qui évoqua ce peuple monstrueux issu de contes et légendes celtes. Certes la tempête avait eu quelque chose de surnaturel dans sa soudaineté et sa violence de même l’état dans lequel les victimes avaient été retrouvées était assez extraordinaire mais de là à croire aux histoires de bonnes femmes issues des siècles d’ignorances scientifiques et irrationnelles c’était peut-être pousser l’extravagance un peu loin.
Pour ma part, n’ayant pas vu les corps, je mettais ça sur le compte des mouettes et des crabes, même si, je le conçois, le délai semblait étonnement court pour que leur œuvre macabre puisse être avancée au point d’impressionner de solides gaillards comme ceux-ci. Dans les autres discussions discrètes je pu saisir une allusion à une substance noirâtre, gluante et fétide retrouvée dans les cales du navire. Substance qui s’emblait sortie du bois de la coque comme l’aurait fait la sueur qui s’écoule des pores de notre peau.
Là encore je me doutais qu’il devait plutôt s’agir d’eau chargée de vase qui avait pu pénétrer dans le bateau à la faveur d’une ou plusieurs petites brèches dans ses œuvres vives. Quoi qu’il en soit les marins et sauveteurs semblaient terrorisés et surtout extrêmement angoissés à l’idée de reprendre la mer dans les prochains jours.
Je rentrais fort tard chez moi et allais me coucher sans traîner, la nuit précédente n’ayant pas été reposante et la journée fort longue. Vers vingt trois heures trente je soufflait ma chandelle plongeant ainsi ma chambre dans le noir. Dehors la marée montait, la lune jouait à cache-cache avec les nuages, le vent soufflais légèrement. J’étais sur le point de m’assoupir lorsque je cru de nouveau entendre ce son rauque et diffus pareil au râle d’agonie d’un mourant, une expiration d’outre tombe chargée de rancœur et d’amertume. Je prêtais l’oreille mais n’entendis rien de plus. Je me levais et allais à ma fenêtre. Mon regard se perdait au loin dans le vague quand à la faveur d’une trouée dans les nuages la lune darda ses rayons blafards sur les eaux sombres et révéla une immense masse encore plus noire et plus foncée que les flots aux quels j’étais habitué. Un nuage passa et lorsqu’il fut parti la lune n’éclairait plus que la mer totalement vide et calme.
Cette nuit là encore le sommeil me bouda et je ne pu fermer l’œil qu’aux premières lueurs de l’aube et ne me réveillais que fort tard, en début d’après midi. Je me rendis rapidement en ville pour tenter de glaner quelque information. En arrivant au port je vis qu’aucune embarcation n’avait quitté celui-ci depuis la veille hormis le petit cotre de pêche du Père Gustave, parti relever ses casiers plongés très près de la côte. Lorsqu’il revint en début de soirée il ne ramenait pas que le fruit de sa pêche. Il apportait avec lui l’effroi et le malaise, le sordide et l’abject. Il narra comment il avait trouvé au milieu des crabes et des langoustines de ses casiers des morceaux de chair dont l’origine ne faisait aucun doute étant donné qu’il avait retrouvé un œil humain ainsi qu’un lambeau de peau sur lequel un tatouage était présent. Son récit stupéfia l’ensemble des auditeurs rassemblés sur le quai. Pendant quelques instants il n’y eut plus le moindre bruit à part le faible clapotis sur la coque de son bateau.
Ce soir là tout le monde rentra tôt chez soi, moi y compris. En chevauchant à travers la lande entre la ville et ma demeure j’eus l’étrange sensation d’être épié. Il régnait un calme sinistre. Pas un son, pas un souffle de vent. Et à part le bruit des sabots de mon cheval sur le chemin sinueux qui menait jusqu’à ma résidence, il n’y avait que le silence immobile et figé de la mort. Après avoir frugalement dîné j’allais me coucher, exténué et fourbu. Le silence cotonneux qui régnait dehors semblait passer les murs et étouffer les quelques sons qu’il y aurait dû avoir. Ce mutisme de toute chose m’oppressait. Puis, alors que je me levais pour descendre dans le salon écouter le clic-cloc rassurant de mon horloge comtoise, j’entendis un bruit sec à ma fenêtre. Le même bruit que ferait un gravillon jeté sur la vitre. Attiré par je ne sais quelle force je me dirigeais vers les carreaux et me mis à regarder à travers ceux-ci. Là, sur la clôture qui sépare mon jardin de la mer, se trouvait un grand nombre de goélands qui regardaient tous, sans exception, dans ma direction. Il y avait un je ne sais quoi de malsain et d’étrangement intelligent dans leur regard. Puis, en parfaite synchronisation, ils se mirent à hurler d’un seul et unique cri à mon égard, proférant quelque menace incompréhensible mais néanmoins virulente. Il me semble que c’est à partir de cet instant que les choses empirèrent de façon fulgurante.
Après avoir proféré leur imprécation tous les volatiles s’en furent, là encore dans une synchronisation parfaite, en direction du récif sur lequel gisait l’épave maudite du bateau et se mirent à tourner joyeusement autour décrivant des cercles chaotiques chargés d’une monstrueuse signification que je n’osais pas imaginer ou tenter de percer. Ils continuèrent leur abominable ballet aérien jusqu’à ce qu’une forte bourrasque accompagnée d’une monstrueuse vague m’amène ce râle que j’avais déjà entendu. Ils se dispersèrent alors dans toutes les directions de manière affolée et désordonnée contrastant affreusement avec la coordination dont ils avaient fait preuve jusque là. L’un d’eux fondit à une vitesse ahurissante vers moi. Je le vit crier hideusement à mon intention et se faisant je le vit prit de convulsions affreuses qui le firent crier encore plus fort à tel point que je le vit littéralement se retourner comme un gant. Ses organes jaillirent par sa gorge déployée et ce sont ses intestins sanguinolents qui s’écrasèrent les premiers sur la vitre de ma chambre avec un bruit mouillé immonde et répugnant suivit par un ignoble bruit de sucion lorsque le reste de son corps déchiqueté percuta à son tour la fenêtre la faisant se fissurer par la même occasion. Je remercie encore aujourd’hui les concepteurs de cette maison d’avoir choisi des carreaux de petite taille résistants et non une grande surface de verre qui aurait, à coup sur, volé en éclat et m’aurait couvert d’immondices et de bris de verre.
Au travers des vitres souillées par l’abject bouillie sanglante de ce volatile j’aperçu une masse sombre émerger fugacement dans les flots ténébreux et replonger aussi vite. Je restais figé pendant un temps incertain. Quelques minutes ou plusieurs heures, je ne sais. Mais je revoyais en boucle l’horrible image de ce pauvre oiseau de mer mutilé, cette boule de chairs informes, ce boulet de viande encore vivante  s’écrasant sur la paroi transparente. L’horloge sonnait deux heures du matin lorsque je sortais de ma léthargie apathique, les membres ankylosés de n’avoir pas bougé pendant longtemps en restants tendus come des filins de hauban. Cette nuit là encore je ne pu dormir. Je vis l’aube arriver, puis le petit matin et c’est fatigué et hagard que je me résolu à sortir de chez moi. Je fit le tour de ma demeure et allais jusqu’à la clôture et ce que je découvris étalé le long des planches de bois blanches me fit défaillir. Un énorme et visqueux tentacule de plusieurs mètres de long qui était assailli de spasmes et convulsions bien que coupé du corps du monstre marin qui l’avait engendré, palpitait au milieu d’un liquide épais et noirâtre exhalant une odeur pestilentielle comme seul le mélange de vase et de chairs pourrissantes auraient pu dégager. Il était d’une couleur incertaine, une espèce de vert vaseux avec des reflets rouges sang et blancs laiteux, parsemé de pustules kaki purulents dont un liquide violacé suintait comme une béchamel pleine d’infects grumeaux. Mon cœur se souleva et je vomi un flot gastrique bien moins écœurant que cette chose mort vivante venue de profondeurs abyssales cachées des hommes, niées par le créateur.
Je rebroussais chemin et parti sans tarder en ville chercher quelques marins pour qu’ils puissent me dire s’ils avaient déjà rencontrer pareille chose.
Lorsque nous arrivâmes quarante minutes plus tard le membre affreux n’était plus là. Il ne restait qu’une flaque dégoûtante où pullulaient des centaines de petits crabes verts qui s’égaillèrent vers la mer à notre approche. L’on me regardait comme si j’avais raconté quelque histoire puérile de mauvais goût. Je leur assurais que j’avais vu ce tentacule à cet endroit précis. L’un des marins me regarda avec un œil mauvais, cracha par terre et tourna les talons suivit par ses collègues. Seul resta le responsable de la capitainerie. Il me dévisagea puis me fit signe de le suivre. J’obtempérais non sans une certaine appréhension. En chemin j’étais perturbé et obsédé par l’étendue liquide qui m’oppressait sur ma droite, là en contrebas de la grève sableuse et déserte.
Arrivés au port il me somma de le suivre dans son bureau. Là, il me présenta à un homme d’une soixantaine d’année à la barbe blanche impeccablement taillée, portant un riche veston de velours. Son chapeau et sa canne, posés près de lui m’indiquèrent qu’il devait s’agir d’un notable. Qui, je l’appris rapidement, venais expressément de Vannes. C’était un scientifique, docteur ès science naturelle. Il tenait dans ses mains un livre. Le livre de bord du navire échoué. Il me demanda ce que j’avais vu ou entendu à propos du naufrage et je lui racontais également ma trouvaille de ce matin là. Je ne lui fis pas du tout part de l’incident de l’oiseau ni même des sons étranges que je pensais avoir entendu pendant mes tribulations nocturnes. Ensuite, après un long silence de réflexion, il me lu certaines pages du livre de bord. Les dernières, relatant les faits depuis la nuit du 31 octobre.


Jeudi 26 Septembre 2013 - 16:51:51

Nuit du 31 octobre : Avons aperçu une étrange lueur à tribord à quelques encablures. Vents forcissant à mesure que la lueur s'intensifie. L'équipage est très inquiet.
Plus tard : La lueur est désormais en poupe et faibli. Mais le vent a changé de direction, nous empêchant de nous éloigner de la zone.

1er Novembre : Avons percuté quelque chose tôt ce matin. Avons perçu un son étrange et strident au moment de l'impact. L'eau qui nous entoure semble s'épaissir et devient sombre. La minute d'après Jean Kerbec m'annonce qu'il a vu une masse sombre dans notre sillage. Cette chose est immobile et de taille imposante. Avons stoppé. Mis trois chaloupes à la mer pour voir ce que c'est. Sans doute une baleine.
Dix minutes plus tard : Avons en fait capturé étrange créature marine. Avons vérifié qu'elle est bien trépassée. Ai donné instructions pour attacher cette chose par bâbord. Cela devrait intéresser les naturalistes. Nous avons dû déplacer de nombreuses choses en cale à tribord afin de rééquilibrer le navire. Cette créature est colossale et très lourde. Elle mesure à peu près 35 mètres de long et ne ressemble à rien que je connaisse.
Avons reprit la navigation en début d'après midi. Vent faible. Mer assez houleuse.
Entendons des sons étranges venant d'arrière. Espèce de grognements graves et sourds. Tous l'équipage est sur le qui vive. Une atmosphère pesante s'est installée parmi nous.

2 Novembre : La houle à forcie malgré un vent toujours très faible. La vigie à cru apercevoir quelque chose dans notre sillage à plusieurs reprises. Entendons toujours sons lugubres de la veille. Personne n'a dormi cette nuit. Plusieurs marins m'ont demandé d'abandonner l'étrange créature. Je leur ai répondu qu'il s'agissait d'une découverte scientifique importante et qu'il fallait la ramener à terre pour qu'elle puisse être étudiée.
Cet après midi le vent nous a porté un son que je n'avais encore jamais entendu de ma vie. J'ai du mal à croire que ce ne soit que le vent dans la mâture. On aurait dit un cri plaintif et colérique. Mes hommes sont de plus en plus nerveux. Ils accusent cette chose d'apporter le mauvais œil sur nous.
Je me demande s'ils n'ont pas raison...
Cette nuit le bateau a eu un comportement anormal. Il a, à plusieurs reprises, semblé s'arrêter puis repartir comme s'il était retenu par quelque chose qui le relâchait aussitôt.

3 novembre : Une brume très épaisse s'est levée soudainement. La houle a cessé étrangement. Le vent est toujours faible. D'étranges sons nous parviennent toujours de l'arrière.
A midi le vent s'est remit à souffler. Malgré cela la brume ne se lève point.
A mesure que le jour avance le vent prend de plus en plus de force mais la brume reste collée à la mer.
16 h : La brume se lève enfin. Et nous découvrons sur tribord un ciel chargé qui n'augure rien de bon. Avec un peu de chance nous éviterons la tempête. Nous ne sommes plus très loin de la côte.
17 h 30 : Finalement la tempête nous a rejoint. Le vent devient très violent. Nous avons dû réduire la voilure pour éviter les avaries dans le gréement. La mer grossie de façon très prononcée. Ai regardé par dessus le bastingage la chose. Grâce au creux de plus de trois mètres des vagues j'en ai aperçu plusieurs bouts.
Elle est monstrueusement laide et repoussante. Comment la nature a-t-elle pu créer pareille horreur ? Elle n'est pourvu semble-t-il que d'un seul et unique œil monstrueux qui doit bien mesurer plus de deux mètres de diamètre et d’une couleur jaunâtre malsaine. Le corps est paraît-il visqueux et répugnant. Il me semble que ce dernier se termine non pas part une queue de poisson mais par d'énormes tentacules flasques. J'ai bien l'impression que ce monstre possède d'autres membres mous caoutchouteux sur ces flancs.
19 h : Le navire est durement secoué par la mer déchaînée. Le pont est régulièrement balayé par d'énormes paquets de mer. Le bateau n'est désormais plus manœuvrable.
20 h : Le bateau tangue et craque dangereusement. Je suis monté sur le pont pour avoir une idée de la tourmente. Ai mesuré des creux de plus de six ou sept mètres.
20 h 15 : Sous l'assaut des éléments une vergue du grand mât s'est brisée et a endommagé le pavois sur bâbord avant.
22 h 08 : Suis monté sur le pont pour tenter de faire un point de la situation. Le vent souffle avec une férocité inouïe. Les vagues dépassent les dix mètres. Le ciel est parsemé d'éclairs aveuglants. J'ai failli être précipité à l'eau à deux reprises. En redescendant dans le bateau j'ai entendu un grognement si puissant qu'il en a couvert le bruit de la tempête environnante. C'était phénoménal et menaçant.
22 h 30 : Je n'ose plus monter sur le pont de peur d'être emporté. J'espère que le navire va tenir car les craquements du bois se font de plus en plus sinistres. Le bateau est toujours secoué dans tous les sens.
23 h 20 : Nous entendons tous des bruits inquiétants en sus du bruit de la tempête. Nous avons aussi tous perçus comme une série de chocs et de grattements contre la coque.
23 h 35 : Un de mes hommes d'équipage a hurlé dans sa cabine. Avons péniblement rejoint sa cabine. Le hublot est brisé et un liquide noirâtre semble suinter à travers les lattes de la coque. Une odeur putride règne dans la pièce. Le matelot gît sur sa couchette face contre le matelas dans une auréole sanglante. Nous l'avons alors retourné. Son visage est figé dans une expression d'épouvante totale. Son pull est lacéré de même que ses chairs. Ses intestins et sa rate répandus à l'air libre. Qu'est-ce qui a bien pu lui faire ça ?
Mon second et moi-même étions en pleine réflexion lorsqu'un autre cri parvint d'une autre cabine suivit de deux autres hurlements.
23 h 45 : 4 marins sont mort dans des conditions aussi mystérieuses qu'atroces. Le bateau fait des embardées que je qualifierais de pas normales.
Minuit et quart : Ai entendu crier. Couru dans les coursives et vu 2 de mes gars fuir sur le pont et se jeter à la mer avec un rire dément. Dans leur cabine j'ai retrouvé la même substance poisseuse et odorante.
Minuit quarante : Je crois que j'écris mes derniers mots. Tout l'équipage se fait éliminer au fur et à mesure sans qu'il soit possible de contrer le sort. Je reviens juste du pont. Et ce que j'ai vu ne devrait pas exister. Un monstrueux Léviathan surnaturel à surgit des flots avec des membres incompréhensibles puis ce qui lui sert de tête à émergé à son tour pour darder son regard vitreux sur moi. De ce regard unique se déversait un maléfice indescriptible à la fois bestial et "humain". Je me suis cloîtré au fond de la cale. Et j'entends les hurlements de mes hommes lorsque l'horreur les frappe.
Nous aurions dû abandonner cette hideuse créature. C'est de ma faute. Maudit soit la soif de connaissance qui anime les hommes. Certaines choses doivent rester à jamais oubliées.
J'espère que le livre de bord nous survivra pour mettre en garde l'humanité des périls sans nom cachés dans les limbes abyssaux des océans.
Je suis maintenant sûr d'une chose : mon bateau n'est plus secoué par la mer en furie mais par la "main" de ce monstre épouvantable.
Un choc sourd. C'est la fin...


Ainsi s’achevait le récit du capitaine du Princesse de Nacre. Tout ce manuscrit me mit mal à l’aise. Je m’asseyais les jambes ne me soutenant plus. Remarquant le trouble causé par l’histoire, l’homme me reposa quelques questions. Je tu encore une fois ce que je prenais pour des divagations hallucinatoires nocturnes. Alors il se mit à raconter son histoire et ce qu’il pensait de cette créature. Pendant plus de deux heures il discourut de naufrages, notamment de ceux qui se produisaient lors de cette période de l’année, de folie, de peur, de la furie de la mer, puis il parla de légendes d’origine celtes. Et c’est quand il prononça le mot Fomorii que je devins blême. Devant les descriptions qu’il apporta de ces créatures une sueur froide et pénétrante m’assailli le dos. Et si ces êtres existaient ? Hors de ce monde, tapis sous des océans de noirceur, empruntant des passages secrets et depuis longtemps oubliés des hommes lors de la fameuse nuit de la Toussaint, ou devrais-je dire de Samain. Avais-je vu et entendu une de ces entités sous marines ? Toutes mes certitudes sur le monde rationnel et les sciences s’effondrèrent comme un château de carte. Je défailli.

Lorsque je rouvris les yeux. Les deux hommes me regardaient comme si j’étais un revenant. Et quand je pu enfin faire un mouvement ce fut pour me rendre compte que je n’entendais pas leurs paroles. Elles semblaient se perdre dans des courants abyssaux d’une profondeur ahurissante. J’avais l’impression qu’ils me parlaient en étant à des lieues de distance de moi et que j’étais sous l’eau. Puis, alors que leurs paroles commençaient à devenir plus distinctes j’entendis cet horrible renâclement d’outre-tombe comme si il avait été murmuré directement dans mon conduit auditif. Je sursautais. Et tout redevint « normal ». Je fut assailli de questions de la part de mes deux interlocuteurs mais je balbutiais une excuse peu convaincante pretextant une grande fatigue due à plusieurs nuits sans sommeil.
L’on me raccompagna chez moi. Dès lors je fus en proie à une angoisse inexplicable lorsque je me trouvais seul dans ma demeure, surtout la nuit. Je ne dormais pour ainsi dire plus. J’étais assailli d’impressions auditives et visuelles lugubres et irrationnelles. Les sons graves et soupirants que je croyais entendre devinrent plus insistants et semblaient se transformer en phrases construites mais dans un dialecte totalement hermétiques et incompréhensibles. Je me mis à dépérir et à décliner rapidement. Je ne dormais plus du tout. J’avais perdu le goût de toute chose. Le cri des oiseaux autrefois si agréables m’agressait quotidiennement. Les vagues sur la plage avaient un son semblable à une entité rampante insidieuse. L’odeur des algues pourrissantes m’était devenue insupportable et intolérable. Mes fenêtres étaient closes en permanence. Je vivais reclu.
Mon absence finie par se remarquer car le 12 novembre l’homme que j’avais rencontré à la capitainerie frappa à l’huis. Quand j’ouvris la porte, la réaction qu’il eût me fit peur. Il sursauta, recula puis me dévisagea avec insistance comme pour s’assurer que j’étais bien moi. Bien que dans une forme totalement apathique et amorphe, je le fis entrer. Je m’écroulais sur mon fauteuil. Il prit un siège et s’installa en face de moi, dos à la fenêtre du salon qui donne sur la mer. Il me dit qu’il ne voulait pas trop insister mais qu’il avait besoin de savoir si il y avait des détails que j’aurais omis lors de notre rencontre la semaine passée. Je lui assurais que…  Je me renfrogni et lui racontais tout. Dans les moindres détails. Il prit de nombreuses notes dans un carnet à la couverture de cuir ouvragée. Pendant que je lui parlais le ciel se couvrit et la pluie se mit à tomber lourdement. Je dû hausser le ton pour finir de raconter ce qui me minait l’esprit pour couvrir le vacarme de la trombe. Mon récit fini je m’affaissais dans mon fauteuil, à bout de force. Le savant se leva pour trouver de quoi me revigorer. Mais je l’attrapais par la manche le suppliant d’une voix plaintive de ne pas me laisser seul dans la pénombre du jour déclinant. Il tenta en vain de me rassurer et me fit lâcher prise. Il s’éloigna dans la cuisine pour chercher de l’eau et du pain. Pendant ce temps j’étais complétement tétanisé en proie à une angoisse incommensurable. Je me mis à suer abondamment. Mon cœur se mit à battre à tout rompre. Ma gorge s’assécha tout à coup. Des frissons glacés me parcoururent le corps entier par vagues continues. Puis les voix m’assaillirent. Et je perdis connaissance.

Lorsque je revins à moi j’étais dans une carriole en route pour l’hospice. On me diagnostiqua une grande fatigue et l’on me prescrit beaucoup de repos et un régime alimentaire adapté pour que je retrouve une santé meilleure. Je fus transféré à Rennes, loin de la mer et de ses lourdes menaces. Je me rétablis assez vite et fut en état de quitter l’hôpital pour Noël. Je quittais donc le dispensaire un beau matin d’hiver par une journée qui s’annonçait radieuse et sereine. Le voyage de deux jours me porta à travers champs et forêts m’offrant de beaux paysages sous le soleil rasant. J’étais perdu dans mes pensées lorsque mon regard aperçu au détour d’un virage le lointain miroitement scintillant de l’océan. Ce simple éclat me mina le moral. Il faisait pourtant très beau ce jour là. Les autres voyageurs de la voiture étaient enjoués de revenir près des leurs pour fêter le Christ et se félicitaient de la clémence des cieux. La diligence arriva en début de soirée à Lorient. Je descendis avec une certaine appréhension et je décidais de dormir à l’hôtel pour cette nuit. Je pris soin d’éviter toutes les rues d’où l’on pouvait apercevoir la mer. Je pris une légère collation et parti me coucher tôt. Le voyage m’ayant relativement éprouvé, je pu dormir cette nuit là. Mais au matin, en me réveillant, je me senti dans une forme et une humeur bien étrange. J’étais à la fois pressé de retourner chez moi et anxieux d’y aller. Une sorte d’appel hypnotique s’emparait de mon être alors qu’une part de moi était préoccupée par de sombres prémonitions. Je restais plusieurs minutes debout dans ma chambre d’hôtel, tiraillé entre deux forces obscures. Je finis par quitter ma chambre et partis en quête d’un transport pour retourner dans ma demeure.
Sur le chemin menant à mon logis, j’entendais la mer et son obsédant va et vient sur la grève semblable à une bête rampante prête à s’immiscer dans la moindre faille et à venir saper la moindre parcelle de matière possible. Les goélands me huaient. Et plusieurs d’entre eux firent montre d’une agressivité hors du commun à l’encontre de la voiture, fonçant et menaçant le cheval et le cocher. J’hélais ce dernier pour lui demander s’il avait une idée de ce qui pouvait agiter ces maudits volatiles. Il me répondit qu’ils étaient comme ça depuis plusieurs jours, depuis que l’épave s’était mystérieusement décrochée de son récif rocheux par marée basse et temps calme et avait lentement dérivé vers le large avant de couler d’un seul coup. Les rares témoins de l’événement s’accordaient à dire que quelque chose avait prit le navire et l’avait trainé hors de ce monde et qu’il avait disparu dans une gerbe d’écume inexplicable.

Nous arrivâmes peu de temps après et le cocher me déposa avec mes bagages devant ma demeure et parti précipitamment. En levant la tête je me rendit compte qu’une multitude de volatiles marins m’épiait depuis le toit. Je me résolu à rentrer chez moi lentement, sans faire de mouvement brusque qui aurait pu déchaîner ces oiseaux de malheur. Une fois franchi la porte une odeur horrible m’assailli les narines. La même que celle qui m’avait retourné le cœur le jour où j’avais vu ce tentacule immonde. Mais comment faire partir ce relent sans risquer de faire entrer les goélands ? Je ne pouvais ouvrir les fenêtres. D’ailleurs, malgré cette pestilence, je n’en avais pas envie. Je passais la journée à ranger et ordonner mes affaires en évitant le plus possible de regarder dehors, vers l’abîme liquide qui me menaçait. Quand le soir vint je me sentais nauséeux et angoissé. Pourquoi diable étais-je revenu ? J’étais sûr que ces volatiles de malheur n’étaient là que pour m’empêcher de repartir, de me retenir prisonnier en ce lieu maudit. Plus la nuit et le noir approchaient et plus mon inquiétude grandissait. Bientôt ce fut les ténèbres. Je me résolu à ouvrir une fenêtre profitant de l’obscurité qui devait mettre hors d’état de nuire les oiseaux afin d’aérer la pièce. J’aurais pu aussi m’enfuir. Après tout en une petite heure et demi de marche je serais en sécurité en ville. Mais affronter la lande désolée en pleine nuit avec cette présence maléfique au dehors était trop périlleux pour moi. Dehors il faisait un noir impénétrable, la lune était en tout début de quartier et les nuages bas masquaient les étoiles. Je refermais finalement la fenêtre et retournais dans mon salon vers le réconfort de ma lampe à alcool qui diffusait son frêle éclat si apaisant. C’est alors que j’entendis un raclement contre le mur qui fait face à l’océan, puis plusieurs coups. Non pas des coups secs et percutants comme pourraient le faire des objets ou des personnes désireuses d’entrer dans ma demeure. Mais plutôt des impacts pesants et sourds. Des sons étouffés et étouffants dont le but n’était pas de pénétrer ma maison mais ma raison. Ensuite un coup plus fort que les autre ébranla l’édifice et une fenêtre se brisa créant un courant d’air qui souffla ma fragile flamme. Et c’est dans cette absence totale de lumière et d’espoir que l’ignoble chose arriva devant ma fenêtre brisée. Je me retrouvais face à face avec l’impossible horreur. Un œil titanesque et vitreux me fixa et m’envahit, viola mon esprit et fouilla mon âme. Je me perdis totalement dans cette surface luisante, laiteuse et phosphorescente. Et tel un automate je me mis à mettre un pied devant l’autre. Encore. Et encore. Jusqu’à me retrouver dehors. Et là un membre informe et incompréhensible s’agita me frôlant à plusieurs reprises avant de me toucher. Le contact de cet appendice moite et gluant me fit défaillir et je tombais à la renverse me cognant rudement le crâne sur les marches du perron. Suite au choc j’aurais vraiment aimé perdre connaissance car ce que je vis alors fut le point culminant de effroi et de l’épouvante. Le monstre me domina de toute son immense masse. Occultant tout le reste, le ciel comme la mer et la lande. Dans le conglomérat informe de son corps je vis se dessiner puis s’ouvrir un orifice abject qui devait être une bouche. Il s’en suivit l’émission d’un chuintement pénétrant et infiltrant doublé d’un marmonnement si grave qu’il en était presque inaudible. Mais je sentis ces vibrations basses me traverser de part en part. Je sentis aussi son souffle fétide exhaler un relent immonde qui s’accrocha à moi. Puis il se redressa et fut agité de spasmes chaotiques. Il riait. Ma terreur l’amusait. Il s’arrêta soudain. Me perça de nouveau de son œil vitreux. Puis se rétracta vers l’océan dans une succession de bruits d’atroce suscion et autres sons humides et répugnants. Je l’entendis retourner dans l’eau. Je croyais être tiré d’affaire lorsque un tentacule, ou ce qui y ressemblait, vint me haper pour me tirer dans l’abîme noir des flots. La chose voulait me noyer. Mais quelques secondes seulement après m’avoir immergé elle me relâcha et mon corps inerte remonta à la surface.

Je ne me souvient pas quand ni comment je fus retrouvé vivant. Je ne sais même pas si ce que j’ai vu a existé ailleurs que dans ma tête. Mais je ne peux plus rester au bord de la mer. Cette étendue mouvante qui cache en son sein des périls pires que la mort elle même me terrifie. J’ai mis en vente ma demeure et vais partir vivre loin… Très loin de la mer.



Larmor Plage/Paris,
août/septembre 2013