Je me réveille seul. L'impression d'avoir la tête à l'envers. Les murs de mon appart couverts d'écritures que je reconnais malheureusement trop bien. Pas de trace de la fille de cette nuit. J'essaie difficilement de remettre en place les pièces du puzzle qu'est devenu l'amas de neurones ivres et déconcertées qu'est mon cerveau. En vain.
Le téléphone sonne.
C'est mon pote d'hier soir qui m'appelle. Il me dit que la copine de la nana qui était avec moi cette nuit lui a dit que cette dernière l'avait appelé en pleine nuit, affolée d'être tombée avec un psychopathe... Bref je sais pas c'qui s'est passé mais elle a eu la peur de sa vie. Donc elle était là quand s'est arrivé. Bordel ! Non seulement ça m'fout les jetons mais en plus je vais passer pour un cinglé. Je remercie mon pote et prétexte qu'on avait trop bu et que j'ai dû dire ou faire un truc pas cool dont je ne me souviens pas. Il me répond qu'apparemment la fille est bouleversée. Je remercie encore mon ami et raccroche. Bon première chose. Effacer toutes ces merdes de mon mur. Deuxième : tenter d'entrer en contact avec ma conquête d'hier pour qu'elle me dise ce qui s'est passé parce que moi je ne me souvient de que dalle.
Malgré la peur que je lui ai causé, la fille accepte de me voir dans un endroit public, avec deux amis à elle. De mon côté j'appelle Seb, c'est mon meilleur pote. Je lui explique par texto de quoi il retourne. Il me répond que je suis un enfoiré de le tirer du lit en ce début d'après midi mais qu'il sera là. Par contre il me demande de prendre une photo du mur. Je prend cette foutue photo et m'attèle à effacer ces horreurs. A peine ai-je effleuré un des signes avec mon éponge qu'une soudaine envie de vomir me prend. J'éclabousse le mur à deux reprises. Bonjour l'ambiance. Bref je nettoie les écritures et ma gerbe. Ça m'a prit une bonne heure et déclenché de nombreuses nausées. Je me sent comateux, vaseux, crasseux bref je me sent vraiment nase. Une bonne douche devrait me faire le plus grand bien. J'entre dans ma salle de bain et me prend une douche bien tiède. Après avoir vidé les soixante quinze litres d'eau chaude de mon chauffe eau, je me sens ragaillardi. Je sort de la douche et m'essuie. Je chope un slip propre. Et je me regarde dans le miroir, non sans appréhension. Rien. J'ai juste la tête de quelqu'un qui a passé une très mauvaise nuit. Je commence à me raser. Je me regarde dans la glace pour attaquer le côté gauche du visage quand la vision que j'ai déjà eue se manifeste. Je sursaute et me coupe avec le rasoir, qui m'échappe des mains. La vision reste la collée, non calquée, à mon reflet. Terrorisé j'expédie un violent coup de poing dans le miroir qui se brise en une mosaïque sanglante me renvoyant divers reflets de moi épouvanté.
Après avoir soigné ma main tailladée et la coupure au visage j’entreprends de finir de me raser, sans miroir. Je me sape rapidement et cours à mon rendez-vous. J'arrive à l'heure. Je m'approche honteusement vers la demoiselle qui me scrute avec un regard dur et accusateur. Je balbutie un bonjour foireux. Et puis je me jette dans le vif du sujet.
- Peux-tu me dire ce qui s'est passé ? Car je ne me souvient de rien du tout et quand je me suis réveillé c'était le matin...
- Quoi !? Tu vas me faire croire que tu ne te souviens pas d'avoir hurlé comme un malade. Et de t'être mis à gesticuler dans tous les sens en en proférant des menaces ?! T'es barge ! Va t'faire soigner !
Et elle se sauve. Avec ses deux gardes du corps. Je la regarde s'éloigner. Pourquoi ? Pourquoi ça m'arrive ce truc ? Pourquoi avec une aussi jolie fille ?
Seb arrive après les hostilités. Je lui raconte le peu de chose qu'il y a à dire.
- Elle a p'têt pas tort. Enfin j'veux dire que tu devrais sans doute voir un médecin, je sais pas moi t'as pas l'air bien ces derniers temps.
- Ouais c'est ça : bonjour docteur j'suis fou ? Tu veux pas que j'aille voir un exorciste pendant que t'y es ?
- C'est pas ça. Mais j'sais pas, tu t'es peut-être blessé à la tête un soir de biture et tu t'es flingué un truc dans le cerveau... Ou alors tu couves quelque chose de grave. Sérieux : consulte.
- J'veux pas finir chez les dingues... Ni shooté aux anxiolytiques. Ca va aller. Faut juste que je me repose.
Je rentre chez moi. C'est vrai quoi, voir un médecin ? Et puis quoi encore ? Faut juste que je me repose. C'est tout. D'ailleurs je vais me faire une sieste.
Je me réveille vers dix neuf heures. Le jour commence à décliner et le ciel embrase les toits de la capitale. Je commence à me faire chauffer de l'eau pour cuisiner des pâtes. Je suis en train de fixer bêtement l'eau qui commence à frémir lorsqu'un frisson glacial me traverse le dos. Je me retourne vivement. Rien. J'inspecte mes fenêtres. Elles sont bien fermées. Bon bah j'dois être vraiment crevé. C'est un signe de fatigue les frissons. Non ? Je retourne devant ma casserole pour y verser une portion de farfale, lorsque mon genou gauche se dérobe sous moi. Je tente de me retenir au meuble. Las ! En faisant ça j'accroche la poignée de la casserole qui se renverse et m'ébouillante le bras droit et le torse. J'hurle de douleur au contact du liquide brûlant. Et puis lâche une série de jurons biens senti... Et je jure que j'ai entendu un rire. Vous savez un rire de sadique... Un rire obscène... Je me relève et crie :
- Ca vous amuse ? Espèce d'enflure ?!
Holà !!!! Du calme tu vas pas te mettre à parler tout seul, non ? Y a personne. T'es seul dans ton appart...
Vraiment ?
Bon quitte à me faire jeter j'appelle Seb à nouveau pour lui demander de passer.
J'ai du bol il accepte. A condition de regarder le match de foot.
OK.
Il rapplique sur les coups de vingt heures et s'installe direct devant la télé. Je lui sers une bière. Moi je me prends un verre de soda.
- Bon alors ? Pourquoi tu m'as fait venir ?
- Pour avoir ton avis sur ce qui se passe.
- Par rapport à hier soir ?
- Et les autres soirs. Celui où j'ai écrit ces lettres bizarres. Les visions que j'ai en me regardant dans un miroir. Le fait que je me suis subitement effondré lorsque j'ai brûlé la feuille. Et là ce soir où j'ai cru entendre un rire comme l'autre soir dans l'ascenseur.
- Tiens ? Qu'est-ce que tu t'es fait au bras ?
- Je me suis pété la tronche par terre et en me rattrapant j'ai renversé ma casserole d'eau.... Dis tu m'écoutes ?
- Oui. Bah franchement je sais pas. Soit t'es surmené et t'es entrain de péter les plombs. Soit...
- Soit quoi ?
- Bah... C'est pas que j'y croie mais si ça se trouve on t'a jeté un sort ou un truc du genre.
- Arrêtes un peu, ça n'existe que dans les films.
- Bah tu m'a pas dit que t'avais parfois l'impression de sentir une présence ? Ca se trouve les fantômes, ça existe pour de vrai.
- Merci de me remonter le moral.
- Quelle autre explication tu veux que je te donne ?
- Donc pour toi je suis soit schizo, soit possédé ? En gros j'suis foutu.
- Ou alors tu t'es tapé de bons gros Delirium Tremens. Parce qu'apparemment à chaque fois t'étais pas à jeun.
C'est con mais il a p'têt pas tort. Et si j'étais simplement devenu... Comment dire... Allergique à l'alcool et que ça me fais faire des trucs bizarres. Ce serait idiot mais pourquoi pas. En tout cas ça m'a l'air plus plausible que d'être envouté ou une connerie dans le genre. Non mais quoi ? Et puis qui m'aurait marabouté ? Hein ? D'abord. Non va falloir que je me fasse violence et que j'essaie d'arrêter un peu la tise pour voir si ça s'améliore. Putain ça va être dur. Et merde, j'suis une vielle poivrasse en fait. J'me rend compte que depuis quelques temps j'ai quasiment pas passer une journée sans prendre au moins une bière ou un p'tit apéro. Sans compter une à trois cuite par semaine. La vache ! J'ai rien vu venir.
- Hey !
- Hein ?! Quoi ?!
- Tu rêves ou quoi, je te parle et je te vois l'air ahuri comme si tu étais tout défait et que j'étais pas là. Tu prends des trucs ou quoi ?
- Non, non... C'est juste que je réfléchissais à un truc. J'me disais que t'as p'têt raison. Faudrait que j’arrête ou au moins que je diminue ma conso de bibine... Parce que c'est vrai que les deux grosses "crises" que j'ai eu j'étais plutôt chargé, en fait. Va falloir que je teste.
Tiens ça me donne une idée, c'est impossible que j'arrive à rien boire avec le bar que je traine. Donc le mieux à faire c'est de se programmer une bonne grosse teuf avec pour objectif de vider jusqu'à la dernière goutte ma réserve. J'invite un max et je dis à tout le monde de ne rien apporter en boisson, juste de la bouffe.
- T'es sûr ?
- Bah oui. J'vais pas jeter tout ça, non.
- Et toi ? Tu vas rester sobre ?
- J'vais essayer. De toute façon tu seras là ? Tu pourras me surveiller...
- Mmmmouais... Why not ? Enfin pas toute la soirée non plus...
- Bah jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'alcool...
De la semaine qui précède ma grosse teuf j'ai réussi à ne pas (trop) boire. Juste une bière ou deux. Et rien à signaler.
Le samedi je suis sur le pied de guerre dès dix-neuf heures. Ce soir j'ai réussi à dealer avec mon chef la possibilité de partir plus tôt. A dix-neuf heures dix Seb débarque chez moi avec Vince, un de ses meilleurs potes. A trois on fini de préparer la soirée : finir le ménage, sortir toutes les boutanches du bar, préparer une bonne set list de musique pour tenir plusieurs heures sans se faire chier. A vingt heures pétantes arrivent Serge et sa copine, Isabelle. Suivit quelques minutes plus tard par Nico.
J'ai beau avoir dis et répéter que personne ne devait amener de boisson, ce con est venu avec une bouteille de vin. Je dis trop rien, on en avait pas.
Je lance la play list et commence à servir les invités.
- Whaou ! T'as un putain de bar !!! S'exclame Nico lorsque je dévoile l'arsenal : whisky, vodka, gin, mezcal et absinthe quelques bières, une vieille bouteille de cognac, deux porto à peine entamés qui côtoient un pineau des Charentes, du pastis et un autre whisky lui même accolé à deux rhums arrangés et du Get 27. Sans oublier le bordeaux de Nico et la bouteille de champagne qu'on m'a offert y a deux mois à la suite d'un pari à la con.
A vingt et une heure quinze nous sommes au complet avec la présence de Marie et Jean, de Nono et son frère Gilles.
L'ambiance est bonne, chacun profitant de l'occaz pour "goûter" les breuvages qu'il ne connait pas. Vers vingt deux heures les esprits s'embrument et se lâchent, nous jetons nos premières victimes à la poubelle : le J&B et un des deux porto. Et à chaque fois qu'on vide un cadavre nous saluons l'événement par un "Olé !" digne d'une véritable corrida. Puis régulièrement le cimetière de se remplir. Vers minuit tout le monde est fortement chargé, on parle fort, on rit de tout et de rien. Bref on s'marre ben. Jusque là je suis sobre. Je n'ai bu que les deux bières brunes qui traînaient. Par contre mes potes ont bien enquillé. Il ne reste plus que la moitié du gin, un fond de mezcal (je sens que personne n'osera la finir, rapport au vers dans la bouteille), un porto à peine entamé, un gros tiers du pastis et de vodka et encore un peu de whisky et une bouteille de rhum intacte. Je désespère d'arriver à faire vider tout ça quand sonne l'interphone : Claude, Matt et Aurélien débarquent, chauds bouillants et assoiffés.
Yes ! On va y arriver. J'en profite pour envoyer un SMS à Pierre et à Brice, on n'sait jamais, des fois qu'ils n'aient rien d'autre à foutre. Les trois "Stooges" attaquent direct, sans préambule, et en quelques minutes ils achèvent le whisky et mettent une bonne claque au rhum. Pierre rapplique vingt minutes plus tard et drague la bouteille de pastis. Vers une heure et demie l'ambiance retombe un peu. Tout le monde est un peu "stone". Seb a déjà "quiché" deux fois. Pierre a payé sa déchire en renversant la moitié du porto que Marie avait attaqué direct au goulot. Pour ma part j'ai pas résisté à me prendre un p'tit rhum et deux absinthe. C'est chiant, personne ne veut y toucher, ni au mezcal. Tant pis. Au pire j'en boit un peu ce soir et puis s'il ne reste que ça je les finirais tranquillement dans la semaine. Je ne risque plus grand chose maintenant.
Serge et Isabelle sont partis. Nico roupille dans un coin, un verre encore dans la main. Matt et Claude jouent au "cap's". Aurélien s'est endormi sur les chiottes... Enfin la tête dedans serait plus juste. A deux heures du mat' j'ai la bouteille, vide, de mezcal dans la main et lorsque je lève les yeux je vois que l'absinthe est bien descendue... J'ai des fourmis dans la langue... Et la désagréable impression d'avoir... Trop bu.
Et merde... Finalement j'ai pas réussi à tenir. Oh et puis chiotte ! C'est des conneries. C'est pas un verre ou deux qui vont me foutre en l'air. J'attrape l'absinthe, la verse dans un verre puis je saisi un sucre et une cuillère, puis l'eau. Aller ! Au diable le protocole ! Je jette le sucre dans le verre et verse l'eau à l'arrache. Je prend la cuillère et touille distraitement le breuvage. Je porte le verre et son mélange blanc bleuté verre ma bouche lorsqu'une irrépressible envie de vomir m'assaille. Le verre me glisse des mains et tombe. Rebondi puis s’immobilise. D’un bond je me lève pour aller au chiottes mais à peine ai-je fais un mètre qu’un immonde flot noirâtre et épais jailli de ma gorge et s’écrase par terre dans un bruit mat et étrange. Deux autres soubresauts me font vomir encore une bonne quantité de ce « liquide ». Puis je m’écroule. La masse pâteuse semble bouger et onduler. Un autre spasme me prend et une fois encore une portion de cette substance sort de moi et s’en va rejoindre le reste. Je lève la tête et soudain tout se met à partir en couille. Les murs se tordent et changent de couleur, j’entends des sons bizarres et inquiétants. Devant moi la masse gélatineuse s’est mise à boursouffler et j’ai l’impression d’y discerner deux excroissances se matérialiser pour former une ersatz de « bras » qui tentent de s’agripper. D’abord sur le mur puis d’un commun accord se tournent vers moi. Je les vois s’approcher alors même qu’ils se transforment encore pour ressembler vraiment à deux bras avec des mains à trois et quatre doigts qui tentent de m’attraper pour me tirer vers une espèce de gueule abjecte qui vient juste de se former au milieu de ce gloubiboulga écœurant et puant. Je tente de reculer mais mes forces semblent m’avoir abandonné. Et je suis impuissant à arrêter la progression du monstre vers moi. Je le vois se transformer en un truc vraiment indescriptible. Des yeux éclosent au hasard de la surface pour darder leur regard maléfique sur moi. Je tombe à la renverse. La tête en bas je ne différencie plus rien de normal. Là où se trouvaient des gens (mes invités) je ne distingue que d’étranges formes hostile. J’entends des rires salaces et honteux. Puis il me semble que des dizaines de bras me saisissent vigoureusement pour tenter de déchirer mon corps comme le feraient des zombies dans un film du genre.
Il paraît que j’ai crié comme un dément mais je ne m’en souviens pas. Quand je suis revenu à moi j’étais à l’article de la mort en hypothermie, pris de convulsions et vomissant alcool et sang en quantité dans l’ambulance. Sur moi un liquide pâteux et nauséabond colle à mes fringues et me brûle. L’infirmier à une tête dégénérée et les yeux luisants d’un plaisir malsain. Et j’ai l’impression que ses mains gantées sont pleines de sang.
Aujourd’hui j’ai l’impression que ça va mieux à part la nuit où je fais des cauchemars redoutables et quelques moments la journée où j’ai l’impression de voir des choses bizarres. Enfin, au moins ici les gens ont l’air gentils. Mais complétement « space ». Vraiment. On m’a dit le nom de cet hôpital. Attendez, je l’ai sur le bout de la langue. Ah ! Oui, je me souviens : Sainte-Anne je crois.
www.myspace.com/sinnfrance
https://www.facebook.com/FarFromYourSun
https://soundcloud.com/et-alors
https://soundcloud.com/vinzwallbreaker