DEVIN TOWNSEND
PHYSICIST (Album)
2000, InsideOut Music / Hevydevy Records


1. Namaste 03:43
2. Victim 03:15
3. Material 02:48
4. Kingdom 05:55
5. Death 02:26
6. Devoid 01:29
7. The Complex 03:30
8. Irish Maiden 02:45
9. Jupiter 03:37
10. Planet Rain 11:09

Total playing time 46:35


Eternalis : 14/20
« L’histoire de la folie débute par un long silence »
Michel Foucault



La démence. Tout au long d’une carrière artistique que l’on pourra juger d’exemplaire, et d’unique, Devin Townsend est parvenu à toucher de très près la démence musicale, la folie artistique la plus pure, la schizophrénie harmonique qui renvoyait loin derrière musiciens ou autres scènes. Townsend fut et restera un alien, un génie fou, savant et amalgame de multiples personnalités, alimentées par le biais de drogues et d’hallucinogènes, afin de constamment correspondre à une personnalité certes corrompue mais infiniment artistique.
Suivant un "City" ayant ravagé le monde musical et un "Ocean Machine" à la dimension stellaire, "Infinity" avait scellé le sort du jeune canadien, l’avait définitivement enfermé dans ses gonds, ceux de sa propre aliénation.
« Ma musique me fait peur…je n’ai jamais rien entendu d’aussi intense » disait-il, affolé par les déchirements vocaux d’un "War" à la portée universelle, d’un "Bad Devil" profondément débridé ou d’un "Ants" terrorisant de cynisme.

Interné, puis drogué plus que de raison, Devin Townsend, quatre mois plus tard, s’enfermera complètement dans son studio, seul tout d’abord, puis s’entourera des membres de Strapping Young Lad afin de donner naissance au troublant "Physicist".
Une nouvelle fois, le décrire de façon exhaustive se voudra réellement dangereux, mais déterminer la façon dont son auteur l’a créé lui offre une lecture différente.

Enfant batard d’une âme en perdition, "Physicist" dévoile un homme fatigué, à bout de nerf, littéralement épuisé, ne hurlant une colère que pour se prouver qu’il existe encore, d’où la sensation de vide qui émane parfois de ce disque. "Physicist" est le cri d’alarme, la voix dépressive d’un être en proie à une profonde crise existentielle. La brutalité, de prime choquante, de l’album, ne fait que renforcer un sentiment de roue libre, parfois de néant spirituel, d’un Devin semblant complètement perdu, cherchant en vain une issue de secours face à une musique semblant de plus en plus le dépasser.
"Death" se résume, par exemple, à une innommable masse sonore que seule lui parvient à créer, une violence paroxysmique finalement stérile, car ici inexpressive, ne prônant qu’une volonté expiatoire de hurler, d’exister, de se lâcher purement et simplement, de vider un esprit en trop plein de négativité. Une catharsis indispensable à l’artiste, qui deviendra un avant-gout de l’aspect bordélique et chaotique (maitrisé ?) du Strapping Young Lad éponyme.

A l’inverse de cette violence inutile à l’auditeur, se dresse des morceaux magiques de puissance. "Namaste", ouvrant l’opus, partage une rage s’armant d’une beauté miraculeuse, céleste. Les claviers enchanteurs, légers, mettent en valeur un mur de guitare d’une épaisseur indescriptible, tandis que le chant arraché et hurlé de Devin, parvient à trouver des mélodies d’une limpidité extraordinaire, sur un mur de double pédale livré par un Gene Hoglan toujours aussi impressionnant techniquement. L’aspect aérien d’un "And Hail the New Flesh" se fait entendre, les antipodes émotionnels s’ouvrent à nous, les effets sonores typiques de Devin nous faisant plonger dans un monde de songes et de force. Le démentiel "Irish Maiden", terrifiant dans son fond, écartera définitivement une quelconque quiétude d’esprit. Ce riff, ponctué d’effet, se traduit comme le propre rire de sa folie qui, « d’en haut », l’observe, la scrute et l’anéantie chaque seconde un peu plus. Cette mélodie vocale si belle et viscérale, crue, c’est un homme qui tente de s’en sortir, sa mélancolie contrastant avec la relative gaieté d’un riff cachant une souffrance éternelle.
Une souffrance qui se ressent mais ne se conclue pas musicalement sur "Victim" pour ne citer que lui, peu inspiré, hérité d’un "Detox" moins belliqueux, où Devin ne semble même plus savoir où il veut en venir, la qualité de la musique étant bien réelle, mais le ressenti proche du zéro.
On retrouve un symptôme similaire sur un "Material" où le canadien parait perdu face à l’immensité et l’infini des possibilités que l’art s’offre à lui, comme dépassé par l’entité Création. Malgré un refrain magnifique et atmosphérique de toute beauté ("Townsendien" dira-t-on), un riff tordu purement jouissif, une impression de malaise persiste, durablement, et s’empreigne presque tout le long de l’album, particulièrement dans cette violence paraissant parfois déplacée, oxymore d’une émotion d’emblée positive.

"Physicist" s’apparente au monstre que Devin ne contrôle définitivement plus, littéralement dévoré par sa propre création ("Devoid" et sa minute trente le démontre relativement aisément). La maitrise d’"Infinity" n’est plus, le monstre est sorti de sa cage, et a affaibli Devin, l’ascendant et le cynisme de l’artiste s’est mué en un épuisement et une volonté de se prouver sa propre existence.
Néanmoins, dans ce tableau, se dresse un splendide "Planet Rain", laboratoire de ce qui deviendra l’année suivante le phénoménal "Earth Day". A travers un océan de beauté et de féérie, manifesté par un rythme solennel, des claviers éthérés, et un riff pesant mais mélodique ; le chant, apaisé, mature et adulte de Devin se pose magistralement. Malgré de sporadiques interventions extrêmes (qui s’apparenteront aux déchainements furieux d’"Earth Day"), l’auditeur, pour le dernier voyage de l’opus, s’envole, pendant plus de dix minutes.

"Physicist" restera un album charnière de la discographie du canadien, qui, tout en paraissant loin derrière ses principaux chef d’œuvres, ne sera à aucun moments fondamentalement mauvais, sinon troublant. Après avoir tutoyé les anges, et avoir osé narguer ouvertement les dieux, Devin Townsend ne pouvait que redescendre, ce troisième album solo symbolisant cette inexorable chute vers la Terre, cette lente agonie avant la rédemption, avant l’âge adulte. Avant un certain renouveau, qui, moins d’un an plus tard, prendra la forme d’une œuvre extrêmement aboutie…une œuvre dont les stigmates sont encore présents dans la carrière de son créateur…une œuvre répondant au doux nom, réaliste et fédérateur, de "Terria".

2009-11-06 00:00:00