largod : 19/20 | Trouver un nom de groupe qui marque les esprits n’est pas chose facile. Il faut surtout que le nom se démarque des autres : il est parfois simple comme « bonjour » (Triumph, Saxon, Rush…), il donne parfois une indication du style de musique (Slayer, Black Sabbath, Death…), il sort aussi du délire personnel ou collectif de ses membres (Motley Crüe, WASP, Iron Maiden) mais ne manque jamais d’originalité. L’imagination est bien souvent au pouvoir. La notoriété tant espérée passe avant tout par cet emblème que le nom du combo sait véhiculer dans l’inconscient collectif, au même titre que la musique, les paroles, le charisme des membres et leur histoire. Les musiciens de Queensryche n’auront pas fait dans la simplicité. La première prononciation s’avère effectivement des plus problématique et l’on se demande si les artistes ont d’ores et déjà renoncé à faire toute carrière auprès de la branche latino et asiatique des « headbangers ». Ce nom fait aussi immédiatement penser à un groupe d’origine Allemande et, si l’on y ajoute ce sceptre planté sur un globe, on entre de plain-pied dans l’imagerie classique du Heavy-Metal pur et dur, de cuir et d’acier trempé. Tout faux ! Queensryche ne piétine pas les platebandes d’Accept ou Judas Priest. Ou, s’il s’y aventure, c’est avec une approche bien personnelle et différentiante. D’ailleurs, comment bien définir le style de ce groupe ?
Lorsque l’on se réfère à leur site Internet, Geoff Tate, vocaliste-chanteur du groupe, explique que Queensryche « essaye de créer quelque chose qui n’appartient qu’à nous ». Il ajoute que le style est fait « d’expérimentations de combinaisons de sons, de contrastes de tonalités et de thèmes de paroles moins orthodoxes ». En synthèse, Queensryche se caractérise par « une sorte de chaos cherchant sa direction ». On connaissait, à l’époque, le rock progressif que Pink Floyd avait si largement hissé au panthéon du rock. Le mélange de heavy-metal traditionnel et de rock progressif devient avec ce « Rage for Order » la marque de fabrique de Queensryche. Tous les ingrédients donc d’un heavy-metal progressif, à savoir que ce groupe n’hésite pas à franchir les limites que les metallos de l’époque refusaient de voir transgressées. Pas question en effet à l’époque d’être trop imaginatif ou de sortir du tryptique sexe-drogue-rock’n’roll au risque d’être catalogué de groupe commercial ou d’être exclu de la communauté. Je n’exagère qu’à peine, tant les éternels débats sur le hard-rock et son côté bourrin, violent ou satanique confinaient ses aficionados à se renfermer parfois dans un genre, un discours et une attitude qui ne répondaient qu’à ses lois et à ses codes.
Après un EP autoproduit puis un premier album financé par EMI sur la foi d’une notoriété grandissante, notamment aux alentours de Seattle et du Canada proche, Queensryche propose ce magnifique album à la pochette épurée. La presse de l’époque était déjà unanime : ce groupe apportait une originalité et un renouvellement du paysage du hard-rock en général, ce groupe était la nouvelle sensation du moment. Bénéficiant d’une grosse production, les différents titres de l’album dégagent une puissante majesté ainsi qu’une forte créativité mélodique. Le travail est bien léché, on tient là une première « masterpiece » qu’il faut savoir aborder avec un esprit ouvert pour en déguster la substantifique moelle. Le heavy-metal progressif, puisque c’est de cela qu’il s’agit, se caractérise donc par une dose de metal classique associée à une grosse bouffée d’ambiances diverses et d’expérimentations musicales parfois acrobatiques mais dispensées fort à propos et sur lesquelles le chant et les chœurs se greffent avec délicatesse. Au chapitre du heavy-metal, on trouve un « Walk in the Shadows », très racé avec un son de batterie qui claque et un riff chaloupé. Aussi efficace mais dans un registre plus lourd et lent, « I Dream in Infrared » vaut par sa mélodie accrocheuse et une belle harmonie entre le jeu de guitares, le chant et la basse, qui pulse le rythme. Bien emmené par une ligne de batterie lourde et sèche, « Surgical Strike » est un titre pêchu et envoyé avec beaucoup de classe, agrémenté d’un riff assez simple et d’un bon refrain. On retrouve avec « Chemical Youth » un titre proche des critères Priestiens, avec un son parfois aux confins du larsen, des effets de guitare en distorsion et des riffs acérés. Une accélération en milieu de morceau fait place ensuite à un solo en toucher de Chris de Garmo d’excellente facture. Au rang des hymnes intemporels figure sans nul doute un « Screaming in Digital » complexe et incisif, porté par une frappe de batterie et des chœurs monstrueux. Quelques apports de synthé à la Deep Purple pour donner encore plus d’emprise et de majesté à une véritable pépite de technicité en tous genres.
Queensryche n’oublie pas de s’essayer au titre lourd avec son refrain entêtant et chantant sur « London », qui flirte sur son entame avec Saga pour retrouver une construction plus heavy ensuite. Grosse partie de guitares entre Chris de Garmo et Michael Wilton. La trame heavy-metal la plus marquée est finalement sur « The Whisper ». D’entrée, on identifie un riff à la Maiden avec ensuite une attaque de batterie martelant un tempo bref et rectiligne. Les arabesques de guitares et le plomb de la section rythmique sont accompagnés d’un chant à la Bruce Dickinson. Le jeu de batterie de Scott Rockenfield est saisissant avec un appui sur les cymbales contrastant avec le contretemps du couple grosse-caisse et caisse claire. Quant à penser qu’Iron Maiden aurait pu écrire ce morceau, pourquoi pas. Néanmoins, ils ne l’auraient pas exécuté de la même manière car Queensryche innove avec une atmosphère aux confins de l’Orient et du metal à tendance industrielle, très en vogue du côté de Seattle. La connotation heavy est toujours présente en filigrane principal certes, mais elle est exploitée avec beaucoup de classe et sans tomber dans le binaire. Les membres de Queensryche mettent un point d’honneur à sublimer la mélodie tout en gardant suffisamment de puissance. Ils n’hésitent pas à faire aussi appel à des instruments à cordes ou a des synthétiseurs, crime de lèse-majesté pour les heavy-metal kids purs et durs. Sonorités et ambiances sont au service d’un style qui s’affirme au fil des titres.
Au rang des expérimentations, Queensryche nous offre une reprise d’un titre de Dalbello, artiste de la scène rock alternative Canadienne, « Gonna Get Close to You » et son ambiance proche de l’univers de David Lynch. Le son massif de la batterie et les guitares forment un ensemble architectural décalé et angoissant par moment, pour alterner avec une partie plus traditionnelle d’un titre rock sur lequel la voix de Geoff module les effets. « Killing Words », quant à lui, repose sur des nappes de synthé en introduction pour se laisser emporter par des chœurs magnifiques et un solo aérien de Chris de Garmo à l’image d’un véritable titre atmosphérique. « Neue Regel » flirte aussi à nouveau vers le metal industriel, avec un chant passé au vocodeur qui lui donne un côté Buggles et son fameux « Video Killed the Radio Stars » de 1979. La batterie est assez swinguante avec quelques passages sur les cymbales puis redevient lourde et claquante pour donner écho au riff assez métallique des guitares, au chant ainsi qu’aux chœurs.
Cet album interpelle par sa cohésion d’ensemble et la qualité de ses compositions. Les différents morceaux ont leur propre originalité et se retiennent ainsi dès la première écoute. Saluons la performance d’ensemble des cinq musiciens, sachant combien l’organe de Geoff Tate est utilisé comme instrument à part entière. Il apporte une signature unique à la musique de Queensryche, comme un code génétique, à chacune de ses magistrales interventions. Un grand chanteur qui offre une palette de couleurs au son du groupe et autorise de nombreuses digressions de styles, mais à la coupe de cheveux de nombreuses fois raillée par la presse spécialisée de l’époque : disons que personne n’est parfait. Queensryche a le très grand mérite d’exister au travers de l’intelligence de ses membres et de la combinaison de leurs talents musicaux respectifs, Signalons pour témoigner de l’alchimie du groupe le très Zeppelinien voire Scorpionnesque « I Will Remember », lent et doux, qui clôture en beauté un disque référence. Un disque aux mêmes vertus qu’une boussole indiquant clairement le chemin à suivre à un chaos ayant désormais trouvé sa voie… 2012-04-06 16:40:07
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