October File n’est pas encore ce que l’on pourrait appeler un groupe extrêmement reconnu malgré plus de dix ans d’existence et la sortie de quatre albums au fil des années dont le très bon
Our Souls to You en 2010. Il faut dire qu’en évoluant dans un style aussi galvaudé que le post hardcore, les Anglais n’ont a priori que peu de chances de se distinguer de la masse metallique, néanmoins, il conviendrait de faire attention aux étiquettes et de se pencher attentivement sur cette formation à la musique réellement originale et qui n’a rien à envier à personne.
Car oui, c’est un fait,
October File est loin de la pléthore de groupes core sans âme ni originalité qui sévissent dans la scène post hardcore depuis plus d’une décennie et s’acharnent à se singer les uns les autres : oubliez les clichés émos geignards, les voix claires et sirupeuses en carton, les arpèges mélancoliques et larmoyants pour midinettes en mal d’émotions et les mélodies trop léchées, les Anglais ne mangent pas de ce pain là. Ceci dit, ne vous attendez pas non plus à une batterie qui tabasse, de gros breakdowns hardcore à briser les nuques, des riffs syncopés et techniques typés metalcore et des hurlements furieux à la rage destructrice. Non, les quatre Londoniens évoluent dans un créneau sensiblement différent et semblent s’inspirer directement des grands que sont
Killing Joke et
Neurosis, en proposant un son extrêmement lourd, massif, urbain, froid et presque tribal où violence, mélodie et puissance coexistent en un mélange parfaitement dosé.
The Application of Loneliness, Ignorance, Misery, Love and Despair : an Introspective of the
Human Condition (ouf, quel titre, merci le copier coller !) envoie d’emblée un mur de son tétanisant, impressionnant de compacité et de maîtrise avec l’assourdissant Fuck The Day, au titre plus qu’explicite, qui commence sur des chuchotements en allemand et une guitare bourdonnante et larvée, avant d’exploser sur un riff dantesque au son proprement hallucinant de puissance : les guitares, la basse, à vous remuer les tripes, et la batterie, à la frappe lourde, mécanique et froide, fusionnent en un magma metallique parfaitement carré et redoutablement puissant à la lourdeur imparable. La voix de Ben Hollyer, idéalement écorchée et hargneuse sans être totalement hurlée, apporte une épaisseur incroyable à la musique, lui conférant une agressivité gorgée d’émotions, et ce premier titre au riff apocalyptique qui se répercute à l’infini et aux vociférations désespérées reste, malgré son court passage central plus aérien, le plus direct et le plus violent de l’album et celui à l’influence hardcore la plus prononcée.
Le ton est donné, et cette première claque incarne parfaitement la musique des Anglais : un tout extrêmement simple sans être simpliste, avec peu de changements de rythmes ou de riffs, les instruments fusionnant en une symbiose parfaite pour aboutir à un ensemble terriblement compact, prenant et efficace, le tout épuré de toutes sonorités superflues, malgré une grande subtilité dans les parties de guitares qui se superposent en plusieurs couches sonores. La musique d’
October File peut sembler presque basique au premier abord, mais elle n’en est que plus directe et envoûtante, s’appuyant sur des rythmes binaires et des boucles de guitare nous plongeant en une transe hypnotique (les 11,33 minutes de The Water).
Car évidemment, les neuf titres de ce nouvel album ne sont pas dénués d’une certaine sensibilité, brute et à fleur de peau, certes, mais qui habille l’ensemble d’une authenticité et d’une âme palpables. Upon
Reflections, plage reposante entièrement acoustique, en est un bon exemple, qui enchaîne admirablement avec Elation, puissant, efficace et gorgé d’émotions, porté par des guitares phénoménales aux riffs qui roulent et se répercutent pendant presque 6 minutes pour former un ensemble imparable. Le refrain est vraiment typique d’
October File, porté par cette voix bourrue, rocailleuse et lointaine qui semble agir en véritable chef d’orchestre sur la symphonie mécanique des instruments, insinuant des mélodies poignantes et mélancoliques dans un coin de notre cerveau miraculeusement épargné par cette avalanche sonore.
C’est ça
October File, des guitares qui ronronnent et crachent des riffs gras et imparables, une basse lourde et tellurique qui gronde furieusement, une batterie métronomique à la frappe pachydermique, une musique inclassable empruntant à la fois la puissance du hardcore, le côté lancinant et émotionnel du postcore, la patte entraînante et groovy du stoner et l’efficacité d’un metal plus traditionnel, mais le tout sans réelle violence.
October File, c’est un mur sonore nous inondant sous une pluie de décibels metallique, capable de nous élever dans des hauteurs insoupçonnées en même temps qu’il nous écrase sous sa puissance innée et phénoménale, un tourbillon d’énergie et d’émotions qui nous entraîne sans effort dans sa spirale ébouriffante.
Ainsi, on ne s’étonnera pas de retrouver au détour de différents riffs, rythmes ou ambiances un peu de
Neurosis en moins noir, de
Killing Joke en moins indus, de
Sepultura en moins violent, de
Metallica en plus gras et stoner ou de
Mastodon en moins complexe, le quatuor anglais étant une sorte d’hydre du metal ayant parfaitement digéré ses influences.
L’album se termine sur les 9,47 minutes de To Be Watched Upon, lent, lourd, poisseux, presque ritualiste dans la répétition étouffante de son riff on ne peut plus basique, et dont les guitares vont petit-à-petit imposer quelques notes plus lumineuses et mélodiques pour un pont central de toute beauté à rapprocher des œuvres les plus tribales de Max Cavalera et notamment de la B.O. de No Coraçao Des Deuses.
October File propose ainsi en cette année 2014 avec
The Application of Loneliness, Ignorance, Misery, Love and Despair un condensé de metal puissant, brut, et onirique, simple dans ses structures mais d’une efficacité à toutes épreuves et à la profondeur insoupçonnée, qui méritera plusieurs écoutes avant de se savourer pleinement et de délivrer toutes ses subtilités. A défaut d’être une véritable introspection sur la condition humaine, il se pourrait bien que la musique des Anglais parvienne à vous séduire à l’heure, où, paradoxalement, la plupart des groupes de post hardcore proposent une musique vite consommée et vite oubliée.
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