1994, année d’effervescence. En Europe, l’agitation vient surtout de Scandinavie, depuis qu’une poignée de combos norvégiens a enfin réussi à faire décoller le black metal, qui végétait dans son antre obscure depuis dix ans, abandonné par ses leaders d’un temps,
Bathory et
Hellhammer/
Celtic Frost.
Ces derniers sont d’ailleurs érigés en diaboliques inspirateurs par les vikings eux-mêmes ; pourtant, l’héritier légitime de
Celtic Frost est bien suisse, et se nomme
Samael. Renouant avec le fil que Tom Gabriel
Warrior avait perdu quelque part dans les méandres de Into The
Pandemonium,
Samael a d’ailleurs devancé les Norvégiens dans la reconquête du black metal avec le remarquable
Worship Him, enfonçant le clou par la suite sur
Blood Ritual. Leur rôle déclencheur dans le renouveau du black metal, bien que trop souvent négligé, leur assure néanmoins une crédibilité et un statut à part dans ce microcosme.
Le troisième album de
Samael,
Ceremony of Opposites, déboule dans un contexte fondamentalement nouveau. Les standards du black metal sont désormais dictés par la Norvège. Mais les Suisses font preuve d’une indépendance artistique à toute épreuve, qui ne sera d’ailleurs jamais démentie au cours de leur carrière. Plutôt que de se raccrocher à cette nouvelle vague toute-puissante,
Samael poursuit sa maturation musicale avec une cohérence bluffante. Toujours dans la lignée spirituelle de
Celtic Frost, le groupe produit là une oeuvre marquante et décisive.
Le premier élément fondamental de
Ceremony of Opposites est son aspect très aéré.
Plus directe, plus épurée, la teneur musicale des compositions rompt assez nettement avec le black plus primitif de ses débuts. Continuellement joué sur un tempo lancinant, appuyé par de longues périodes de double pédale, le metal de
Samael n’a rien perdu de son caractère solennel. Cependant, c’est au niveau des guitares que la transition est plus marquée. Au travers d’un son sous-accordé, très froid, les riffs ciselés et purs de Vorph contribuent au caractère plus étheré du disque. Il serait exagéré d’aller jusqu’à évoquer une teneur industrielle, mais dans la forme,
Samael s’en rapproche fortement. Rajoutez à cela l’apport des claviers de Xy, qui oscillent au fil des titres entre des esquisses discrètes et parfois une présence de premier plan, ce qui permet à
Samael d’accoucher de quelques morceaux imparables, au caractère monumental (
Baphomet’s Throne et sa théâtralité impressionnante par exemple).
Malgré son évolution indéniable, l’oeuvre de
Samael ne perd pas son identité. A ce niveau, la filiation avec
Celtic Frost reste toujours aussi évidente. Les thématiques obscures, l’ambiance mêlant ésotérisme et incantation, incarnés dans les vocaux saisissants de Vorph, tout cet ensemble concourt au fait que
Ceremony of Opposites ne fait pas d’infidélité notoire aux valeurs du black metal, du moins dans l’esprit.
La synthèse de
Ceremony of Opposites est donc cet amalgame novateur, entre l’innovation musicale d’un metal dark/black/indus, froid, sombre et dépouillé, l’atmosphère solennelle et majestueuse qui se dégage des compositions, et la haine glaciale et détachée héritée de son passé black metal. Dix morceaux cohérents et compacts, superbement encadrés par les monumentaux
Black Trip et
Ceremony of Opposites. Une oeuvre unique dans le parcours des Suisses, qui est bien plus qu’un simple album de transition entre son black metal primitif des débuts et l’innovation électro assumée à partir de
Passage. Il s’agit d’un coup de maître, redoutablement immersif derrière ses allures épurées, une forme d’équilibre idéal entre grandiloquence et austérité, puissance massive et inspirations aériennes.
D’ailleurs, c’est grâce à cet album que
Samael prend l’envergure d’un groupe majeur. En effet, à l’époque le groupe reste associé au mouvement black en plein essor, et
Ceremony of Opposites reste indiscutablement un des albums clés de cette année 94. On peut d’ailleurs s’amuser de cela, car il a fallu que ce soit au moment où les Suisses se démarquent notablement des standards black metal qu’ils en tirent vraiment bénéfice, tandis que l’apport de
Worship Him reste encore à ce jour trop négligé. Néanmoins, le fait de profiter de cet élan ne fait pas tout.
Si la stature de
Samael prend corps avec cet album, c’est aussi parce qu’il incarne une rupture et que sa puissance –dans tous les sens du terme – puise sa source dans un talent artistique immense, qui force le respect de nombre de metalheads depuis des années.
J'ai tant aimé ta chronique que tu m'as donné envie d'en faire une pour "Reign of light" (qui n'en avait pas réellement)!
Merci!
Merci pour cette belle chronique mettant en lumiere la filiation Celtic Frostienne qu'entretient Samael sur cet album.
De prime à bord ca ne m'avait pas sauter à l esprit. Mais 1 reecoute attentive des 2 premiers CF permet effectivement de faire le lien.
Cet album m'impressionne tjrs autant à chaque ecoute au meme titre que " to the megatherion".
La noirceur degagé ainsi que son ambiance glaciale sont prenante, le chant rugueux est excellent.
Je me suis tjrs demandé comment la Suisse avait pu enfanter de tels groupes: CORONER -CELTIC FROST- SAMAEL....
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