KALISIA
CYBION (Album)
2009, Auto-Production


DISC 1 - CYBION

1. Introduction / Domination 01:48
2. Aspiration Above 02:28
3. Arken Bringer 03:24
4. Alien Choice 02:39
5. Awkward Decision 04:20
6. Blinded Addicts 05:35
7. Beyond Betrayal 03:34
8. Blessed Circle 05:14
9. Black Despair 03:28
10. Blurred Exile 03:10
11. Cast Away 05:04
12. Crisis Bleeding 02:05
13. Cinfined Contender 04:07
14. Circuits Distortion 02:03
15. Contact Experience 03:24
16. Devices Awakening 02:52
17. Down Below 03:08
18. Distant Chronicles 03:51
19. Digital Disclosure 05:28
20. Deserved Eternity 03:19

DISC 2 - ORIGINS (LIMITED DELUXE EDITION)

1. Tower of Vanities 10:00
2. Chimera 09:20
3. Lost Soul 07:03
4. The Mental Frames Pt. I 05:41
5. How Could I (Cynic Cover) 05:51
6. A Fortune in Lies (Dream Theater Cover) 06:02
7. I Am the Black Wizzards (Emperor Cover) 06:08
8. This Dazzling Abyss (Loudblast Cover) 05:22

Total playing time 2:06:43


Eternalis : 20/20
Dans le royaume de l’expérimentation musicale et de l’avant-gardisme, Meshuggah, Devin Townsend, Neurosis ou encore Beyond Twilight sont devenus avec le temps monarque de leur propre empire dictatorial.
Kalisia avait tenté, il y a de cela quatorze ans, de franchir les portes de ce vaste univers avec une première demo intitulée "Skies" ayant déployé un monument de louanges et un impact sur le metal français très important avant de retomber dans un anonymat aussi étrange que pesant. 2009 sera l’année de Kalisia ou ne sera pas, mais la qualité quasiment indescriptible de "Cybion" nous permet d’y croire.

Le premier détail qui surprend est que le retour des français est effectué avec une prise de risque maximale, avec un concept musical extrêmement ambitieux et complexe. Le groupe s’attarde sur les sentiers escarpés et sinueux de la chanson unique. Meshuggah, Dream Theater, Devin Townsend, Fates Warning ou encore Beyond Twilight ont déjà tenté l’aventure et peu on réellement réussi.
Meshuggah péchait par une approche trop linéaire de son "Catch 33", Dream Theater, Fates Warning et Devin Townsend ne proposèrent pas véritablement de chanson unique mais un panel de morceaux plus ou moins raccrochés à un thème initial (c’est flagrant sur "A Pleasant Shade Of Grey" et "Synchestra" !). Beyond Twilight, avec son inestimable "For The Love of Art and the Making" (sans doute un des plus grands albums progressif de tous les temps) arrivait cet exploit en jouant sur la multiplicité des compréhensions et approches possibles.
Mais Kalisia pourra se targuer d’être un des premiers à aller jusqu’au bout de son concept, à savoir ne proposer qu’un seul et unique titre sans structure interne individuel, avec un concept complet possédant un début et une fin.

Bande originale d’un film déjà écrit, celui de "Cybion", l’album est un long défilé d’images et d’atmosphères distillées en une heure, onze minutes, onze secondes (c’est également le plus long dans sa catégorie) divisé en quatre grandes parties conceptuelles : "Revelation / Elevation / Regression / Extinction".
Décrire la musique de "Cybion" ? Pari presque irréalisable tant sa richesse dépasse probablement les pensées initiales de leurs créateur, Brett Caldas-Lima et Laurent Pouget en tête, respectivement chanteur / producteur / guitariste et claviériste, de par son ambition et sa démesure.
Les premières écoutes sont obscures, pas désagréables mais difficiles car les points de repères sont absents, mis à part un thème musical revenant plusieurs fois dans l’album, mais toujours joué d’une façon différente. Décrire Kalisia comme du death progressif serait réducteur. Cette musique-ci semble descendre des cieux, elle est frappée par la grâce et la beauté sans jamais perdre de vue une certaine brutalité artistique. Parfois violent, "Cybion" préserve une beauté quasi-surnaturelle tout au long du périple initiatique de ses personnages découvrant des formes de vie nouvelles sur Jupiter.

Lors des premières plongées dans ce monde, beaucoup de noms viennent à notre esprit, occultant sans doute trop vite la personnalité des montpelliérains. Cynic, Emperor, Dimmu Borgir, Division Alpha, Samael, Vader, SUP et évidemment Ayreon traversent notre subconscient lors de passage souvent infimes et trop éphémères pour que l’on s’en souvienne la seconde d’après. Probablement dû à sa richesse de prime désarmante, l’auditeur recherche inconsciemment des points de repères avec l’extérieur afin de ne pas être totalement seul…point de repère s’effaçant au fur et à mesure des découvertes.
Si la production peut rappeler irrésistiblement le "Puritanical Euphoric Misanthropia" de Dimmu Borgir en raison de sa puissance démentielle mais doté d’une clarté hallucinante, la musique devient de plus en plus personnelle avec le temps, dépassant de loin le simple patchwork d’influences.
"Cybion" est un album qui respire, vivant à la mesure de ses personnages, et ainsi allant à l’inverse de l’aspect monolithique d’un Meshuggah. Il conviendra également de saluer comme il se doit la performance exceptionnelle de Laurent Bendahan derrière les futs, véritable poulpe tentaculaire réalisant des prouesses techniques ahurissantes.

S’ouvrant sur quelques voix robotiques, l’atmosphère moderne nous renvoie immanquablement à un "Chaos" de Ayreon ou un "Be Careful It’s My Head Too" de Beyond Twilight. Mais Kalisia subjugue dès les premiers instants car, loin, très loin de "Skies", Cybion dévoile un monde symphonique superbement beau et grandiloquent, presque paisible avant de nous plonger dans un univers sombre avec l’intrusion de chants dark dans la langue du Kal, langage totalement inventé par le génie créatif de Brett.

Décrire de façon exhaustive Cybion serait sans doute trop long, le fait d’en faire le tour une prétention dont je n’oserais prétendre jouir, tant il semble inépuisable artistiquement.
Pour un "Black Despair" incroyablement technique, doté de solos de guitare innommables dans un genre typiquement progressif, tandis que la batterie nous martèle le crâne (combien de bras possède-t-il ?), Comment ne pas évoquer la diversité de cette œuvre?
Car la grande réussite de ce disque sera de proposer des ambiances singulièrement différentes sans pour autant quitter ne serais-ce qu’un instant un univers typiquement métallique. Un space opera ("Blurred Exile" notamment, avec son atmosphère spatiale et ses samples évoquant le passage de vaisseaux spatiaux me donnant envie de qualifier la musique de "Star Wars metal" !) puisant sa richesse autant dans le death, le heavy, l’expérimental que dans l’heavenly. La présence continuelle de la chanteuse d’Auspex apportera un aspect encore plus cinématographique, en plus du chant proprement incroyable de Brett, passant du grunt le plus sauvage et schizophrénique (le très violent avec blast "Confined Contender"), au clair torturé ("Crisis Bleedings") en passant par les vocaux trafiqués et industriels à la SUP sur "Contact Experience".

Mais outre ces références métal, Kalisia n’hésite pas à passer dans des univers electro ou encore dans des ambiances éthérées et spirituelles sur "Beyond Betrayal" que l’on pourrait rapprocher d’un Era ayant croisé lors d’une étreinte charnelle Division Alpha. Splendide. Et comment passer sous silence le magnifique "Blinded Addict", à l’ambiance gypsy couplée à des cuivres jazzy renvoyant au madman. Les nombreuses interventions au piano, virtuoses et touchantes évoqueront les symphonies inégalables d’un Finn Zierler, pleine de sensibilité et de poésie (Laurent Pouget réalise un travail colossal !).
Il y a également ce "Blessed Circle", divinement funk. Les batteurs admettent volontiers que le funk est le genre musical le plus difficile à jouer en raison de ses contretemps fréquents et ce passage fini de dévoiler un talent définitivement unique.
Un potentiel technique semblant infini mais étant utilisé avec beaucoup de parcimonie (bien que les solos de Loïc Tézénas soient des pièces harmoniques ultimes !), sans aucune démonstration inutile. Il en ressort une grande intelligence d’écriture, ainsi qu’une maturité peu commune, où l’individualité semble s’effacer au profit de l’art musical.

De plus, le concept et la musique forme un bloc incroyablement lié. La première et la dernière partie renvoyant à des sentiments communs (alpha-omega d’une œuvre) tandis qu’"Elevation" semble être une quête spirituelle de la sagesse et de la culture.
La découverte et l’apprentissage des personnages passent par les passages les plus expérimentaux de l’album, allant du funk à l’electro en passant par les cuivres et le progressif. Une ouverture d’esprit se radicalisant sur "Regression", dévoilant les paysages musicaux les plus brutaux de Cybion, comme si la régression passait inéluctablement par la violence organique. Un bien sombre constat.

Un album unique, incroyable, où la musicalité se joue la puissance et l’ouverture d’esprit progressive. "Cybion" semble être la matérialisation d’un absolu métallique attendu depuis toujours, sa difficulté d’accès demandant une concentration malheureusement trop souvent absentes des produits (c’est pourtant le terme !) musicaux actuels. C’est sans doute pour cette raison que cet album aussi exceptionnel qu’unique n’aura pas trouvé de label pour le distribuer.
Ce qui ne l’empêche pas de se présenter sous la forme d’un luxueux et magnifique digipack d’une blancheur éclatante et au livret de trente-six pages prenant la forme d’une mine d’or conceptuelle, retraçant toute l’histoire tel un synopsis littéraire.

"Cybion" est au metal ce que Les Fleurs du Mal sont à la poésie, possédant l'envie intrinsèque de l'exploit et du dépassement personnel. Une œuvre dérangeante et avant-gardiste, peut-être un peu trop en avance sur son temps pour être comprise mais qui fera immanquablement parler d’elle dans les années à venir. Car il est assez impressionnant pour trôner seul dans une discographie mais permettre à son géniteur d’accéder à un statut d’artiste culte.
"Mourriez-vous plutôt que de vivre seul ?" La réponse se trouve là, tout près, dans l’absolue et infinie grandeur d’un mythe qui deviendra avec le temps fondateur…

2009-02-05 00:00:00