ELEND
A WORLD IN THEIR SCREAMS (Album)
2007, Prophecy Productions / Holy Records




Corwin : 19/20
Ca y est, le Elend nouveau est arrivé. Dites donc, il s'en est passé, des choses, en trois ans. Après avoir enregistré une première version de l'album dans la suite logique de Sunwar the Dead, et déçus par un mixage qui ne satisfaisait pas leurs attentes, Renaud Tschirner et Alexandre Iskandar ont reporté la sortie de l'album pour travailler encore. Leurs dates et celles du studio ne correspondant plus, le projet va traîner encore deux ans... Et subir une remise en forme totale. Iskandar ayant décidé d'utiliser les morceaux de son projet parallèle, l'Ensemble Orphique, qui semblent ne jamais devoir sortir. Inspiration fortement issue de la musique contemporaine, donc. Le résultat?

Une oeuvre noire (mais noire... The Umbersun c'est plein été à côté). Un oeuvre chaotique, une oeuvre violente, une oeuvre tortueuse, nauséeuse, dissonante... Je m'arrête là, je pourrais trouver cent termes qui la définiraient plus ou moins. Précisons.

L'orchestre est réduit, passant de 50 membres à 20. Ne croyez pas que l'album soit moins puissant que Sunwar, bien au contraire. C'est le son le plus énorme qu'Elend ait jamais affiché. Accrochez vous, ça remue sévèrement. Des cordes de plus en plus abstraites, qui forment des nappes de sons dérangeantes, parsemées de lapsus volontaires qui rajoutent une dimension malsaine que n'avait pas les précédents albums, même The Umbersun. Des cuivres qui déchirent le son des cordes en de grandes envolées lyriques et déchirantes, des samples industriels venant soutenir les ambiances ou les pics musicaux. Un chant féminin qui fait son grand retour, pas ou peu de texte mais des choeurs omniprésents et des hurlements déments (Estéri Rémond fait carrément peur, écoutez Borée pour voir). Pas de chant masculin, mais une narration sombre (et tout en français cette fois, s'il vous plaît), qui brise même les mélodies que les voix chantantes pourraient amener. Ici, tout est chaos et abstraction.

Là ou Sunwar the Dead jouait la clé d'un grand nombre d'ambiances abordées et ratait un peu son coup à cause de cela, AWITS joue la carte de l'intégrité monolithique, gardant le même style tout le long et se permettant à peine une montée en puissance au début (l'habituel titre ambiant ouvrant un disque d'Elend est ici réduit à la première minute de la première chanson, qui rentre déjà bien dans le lard) et une descente chromatique sur la fin (l'album se calme un peu après le pic sonore ultime de la Carrière d'Ombre).

Et ça marche bien. Extrêmement bien. Ici, Elend ne cherche plus le beau dans les ténèbres comme dans The Umbersun (oui, je cite souvent cet album, il faut dire que c'est lui aussi la conclusion d'un cycle mais que c'est aussi celui qui a le plus d'impact sur moi, et qui est le plus recherché de tous avec A World In Their Screams), mais une brutalité noire et torturée. Si comme moi, vous aimez qu'une musique prenne au tripes, vous mette l'esprit en surchauffe, si vous aimez plus que tout l'esthétique de la noirceur, alors cet album est pour vous. Une fois, cent fois. Amateurs de classique, essayez donc. Amateurs de contemporain, jetez vous dessus les yeux fermés. Amateurs de dark ambiant, d'industriel, de néoclassique, foncez. Black métalleux, si vous êtes ouverts à d'autres mondes musicaux, achetez le. Et pour tout le monde en général: essayez quand même, on ne sait jamais.

Donc voilà, Elend a bien rattrapé la légère baisse de régime que constituait Sunwar the Dead, et nous livre son oeuvre la plus remuante de toute sa discographie, et sans doute la meilleure (enfin, non, plutôt aussi bonne que The Umbersun, dans un genre moins mélodique). Sans doute la plus dure à comprendre aussi, mais ça en vaut la peine.

Notez au passage quelques titres particulièrement bons: l'éponyme A World In Their Screams, Le Dévoreur, Borée et La Carrière d'Ombre.

Grandiose.

2007-04-30 00:00:00


Asefy
Elend est de retour, plus puissant, plus violent et plus extrême jamais !

Cher lecteur, chère lectrice,

Après leur célèbre « Office Des Ténèbres » (1994-1998), le groupe franco-autrichien Elend entame un nouveau cycle : « Le Ophis Des Vents », introduit par l’album « Winds Devouring Men » sorti en 2003 et suivi par « Sunwar the Dead » l’année suivante. Initialement prévu pour contenir cinq albums, ce cycle s’achèvera prématurément sur « A World In Their Screams », album que je vais vous présenter dans les lignes qui suivent. « A World In Their Screams » est le résultat de 3 années de travail pendant lesquelles les morceaux ont été réorchestrés, retravaillés puis fusionnés aux travaux d’Ensemble Orphique, projet parallèle de musique classique et expérimentale, jusqu’à obtenir le son désiré. De la cinquantaine de musiciens jouant sur le précédent album, Elend n’en a gardé qu’une vingtaine. L’intégralité des parties orchestrales a été enregistrée au Studio des Moines, et les voix, à The Fall, studio créé par le groupe. La trame qui anime « A World In Their Screams » est en continuité directe avec les textes des deux précédents albums, « Winds Devouring Men » et « Sunwar the Dead ».

A l’issue de « Sunwar the Dead », Elend nous a laissé au milieu d’un monde de peur et de désolation, aux frontières des ténèbres, à la limite de l’Apocalypse. Pouvait-il nous mener plus loin encore dans la démence et la violence ? « Ophis Pûthon » ouvre l’album sur une lente complainte grecque, un chant clair, beau et pur qui fend le silence. Puis, quelques expérimentations industrielles retentissent, illustrant les vestiges d’une civilisation ; un désert de cendres s’élève sous nos yeux. Les violons gémissent et leurs pleurs remplissent d’effroi, un chœur masculin soutient l’ensemble et un bourdonnement électronique accroit l’angoisse qui nait … Quand soudain, tout explose dans un tonnerre démesuré, un vacarme assourdissant de cordes qui crissent et se déchirent, les percussions miment l’anéantissement d’un monde ! L’horreur s’empare de nos êtres, nous plongeons sans retenue dans un monde de désolation. Violons et violoncelles hurlent leur rage dans une monstrueuse cacophonie de cordes et, dominant cette tumultueuse dysharmonie, c’est le murmure sombre, monocorde et déshumanisé d’Iskandar Hasnawi qui raconte l’histoire. Une histoire de morts, d’esclaves, de destruction, de pleureuses qui n’en finissent pas de pleurer et de serpents qui jaillissent de toutes parts !

Les titres s’enchaînent mais ne se ressemblent pas, l’un après l’autre, ils tissent l’histoire de ce monde qui sombre, de ces humains qui tombent en esclavage et de ce sang qui éclabousse la terre et la mer, jusqu’au ciel ! Les quelques instants d’accalmies ne sont là que pour amplifier l’intensité des détonations qui les suivent. La musique nous emporte dans l’immensité des abysses, au plus profond du Royaume des Morts, où règnent en maître Perséphone et Hadès. Sur cet album, Elend domine l’espace et s’impose dans toute sa démesure et… sa splendeur ! Le paroxysme de la violence et de la fureur est atteint sur le titre « Borée », qui transcende tout ce que le groupe a pu faire dans le passé. C’est une cacophonie à la limite du désagréable, un enchevêtrement sauvage alliénant. Ici, on ne joue plus, on se déchaîne !

Avec « Urserpens », l’album prend fin sur une ultime explosion électronique, classique et industrielle accompagnée de ces éternels cris de femmes torturées et cède soudainement sa place à un étrange silence… le Néant… En 60 minutes, Elend aura fait sombrer un monde, livré son ultime album, atteint l’apogée de son oeuvre et achevé son Ophis, entamé 4 ans plus tôt. L’un des points positif de l’album est, pour les non anglophones, la réaction entièrement française des textes, exceptés les passages grecs, issus de écrits de Sophocles, Herodotus, Euripides, Plutarchus et Macrobius. Un second point positif est la très bonne qualité de son, elle permet de se rendre compte de l’extrême complexité de la musique et d’apprécier ce désordre organisé. Fracas et hurlements s’entremêlent mais ne s’étouffent pas, murmures et bruits se distinguent aisément. Nous sommes loin du boucan black métal simpliste (je vais m’attirer les foudres de sommiens …), de la musique garage facile et du bruit pour faire du bruit. Ici les influences de musiques savantes se font entendre et renforcent la crédibilité de ce groupe. Les expérimentations électroniques modernisent les orchestrations et nous reconnaîtrons par exemple des influences de Scelsi et de Ligeti dont l’écriture micro-tonale est admirablement apprivoisée. Avec « A World In Their Screams », Elend n’est plus seulement un groupe, il entre dans la légende !

Pour finir cette chronique, je proposerai cet album à ceux qui suivent Elend depuis ses débuts, aux amateurs de musiques violentes, aux férus d’expérimentations, aux passionnés de musiques contemporaines et à tous les curieux et adeptes d’originalité et de bizarrerie. Pour les autres, nul ne vous empêche de tester le voyage, mais un conseil, accrochez-vous !

« Alors viens, viens, car tel est ton royaume. Viens. » [Urserpens]

2011-01-30 01:03:14