Eternalis : 19/20 | Dans les profondeurs d’un minimalisme embrassant parfois le domaine de l’ambiant, Porcupine Tree est devenu avec le temps le seul véritable détenteur de la tristesse la plus pure et la plus viscérale, réussissant à toucher comme peu sont encore capable de le faire dans cet univers aseptisé qu’est devenu la musique, métal ou non.
Steven Wilson et sa troupe apparaissent sans doute avec ce que l’on peut nommer un aboutissement avec ce "Fear of a Blank Planet", d’une noirceur aussi terrible que la beauté en émanant.
Si l’art des britanniques peut paraître d’une opacité hermétique lors des premières écoutes, il bouleversera au fur et à mesure que l’on pénétrera et sera pénétré par les atmosphères obscures, classieuses et intimes de ces six longs morceaux.
La voix lointaine, comme étouffée de ce visionnaire torturé et pessimiste qu’est Steven Wilson, se voudra comme un des rares points de repères des titres, majoritairement très lents et atmosphériques. Dire que Porcupine Tree défini une nouvelle notion de la musique atmosphérique ne serait pas forcément usurpé, tant leur musique dégage des sensations que je n’avais personnellement jamais entendu autre part.
Il n’y a qu’à écouter le fantastique "Anesthetize", long de plus de dix huit minutes, pour s’en convaincre. La batterie, ici mixée d’une manière extrêmement synthétique, apporte une ambiance glaciale et incroyablement tranchante au rendu sonore, tranchant notre âme dans ses plus profondes crevasses. Les nappes de claviers, parfois expérimentales parfois prenant la forme d’un épais brouillard grésillant et malsain tissent une toile de fond ne laissant passer aucune forme ni d’espoir ni de réconfort. L’obscurité est totale…mais nous n’avons pas peur, au contraire. Les guitares narratives et répétitives agissent comme une berceuse qui hypnotise pour mieux nous surprendre lors de cette attaque vicieuse et relativement agressive (l’épaisseur de ce riff inhabituel n’étant pas sans nous coller une grande baffe lors de l’écoute !) à l’orée de la onzième minute n’étant pas sans rappeler le génie canadien Devin Townsend (dans le fond !).
Un titre qui ne connaitra ni introduction ni conclusion, mais simplement un déroulement presque logique, à l’instar d’une vie synthétisée le temps d’une piste robotiquement numérique, et se terminant d’une manière aussi brutale que peut l’être la mort, une mort prenant la forme d’une renaissance lors du splendide "Sentimental", démarrant sans aucune coupure préalable.
On remarque également que, sur la totalité de l’album, "Anesthetize" est le seul à être mixé de manière si particulière, comme une expérimentation à l’intérieur d’un album définitivement unique.
Le chant désespéré de Steven, emplit de souffrance mais avant tout de mélancolie et d’un certain désintérêt, quasiment désabusé, contant la nouvelle vie d’une humanité vouée à l’échec, grave dans nos esprits un message d’une grande profondeur. Cette jeunesse pervertie par les médias, annihilée par les jeux vidéos, détruite par la télévision, cette jeunesse effrayant autant que fascinant le créateur de cette œuvre…
Le vide que l’on peut ressentir à l’écoute de la mélodie centrale de "Sentimental" ou de l’atmosphère funèbre de "My Ashes" et "Sleep Together" dépasse de loin tous les clichés et autres tentatives ayant déjà été faites dans le genre.
La mélodie de piano proprement limpide et sublime de Sentimental couplée au chant infiniment sensible et suave de Wilson créer une alchimie que personne n’avait encore fondée par le passé, cette sensation désagréable et gênante de plonger dans un grand trou noir, de ne plus rien apercevoir dans une vie qui nous apparait tout d’un coup comme un échec. Une perception encore accentuée par le rythme constamment en mouvement des guitares et particulièrement d’une batterie quittant son rôle unique d’assise rythmique pour une place bien plus prépondérante dans le corps de la musique.
Quand au phénoménale "My Ashes" (de loin mon titre préféré de ce disque), le minimalisme ambiant de cette chanson prendra autant aux tripes qu’elle fera couler en vous une infinité de larmes. Le refrain, si l’on peut oser appeler cela ainsi (dans le sens où il s’agit d’une structure se répétant dans le temps), restera comme un des plus beaux jamais entendu, sans oublier les interventions étranges, lointaines et terrifiantes de claviers hurlants et sifflants, sonorités tranchantes et inconnus résonnant comme des couperets imminents. Quand aux envolées vocales, déchirantes, elles se caractérisent comme le cri intérieur d’un homme blessé par sa vision du monde.
Si le premier titre éponyme sonnait plutôt comme le témoignage d’une attitude plus métallique et agressive, le dernier morceau de l’album, le bien nommé "Sleep Together" se voudra terriblement éprouvant, ainsi qu’étonnamment composé dans une optique de fin, tant l’on ne peut espérer continuer à écouter le disque après une telle chanson.
Les violons, dévoilant une mélodie macabre et tournoyante, rehaussés par des claviers presque électroniques et une basse remplissant de son empreinte le spectre sonore, apporte une ambiance suffocante à cette grandiose et magnifique conclusion.
Les vocaux remplis d’effets, contribuant à paraître encore plus lointains et inaccessibles, semblent se perdre dans le temps, à l’instar d’une pensée définitivement perdu dans les abimes de la non connaissance et de l’inculture.
Un disque difficile d’accès, ne dévoilant ses richesses et ses secrets qu’après y avoir fournis une grande attention. Un album avant tout contemplatif d’une société en mal de devenir mais également d’une scène musicale manquant grandement d’individus de la trempe de ce multi-musicien. Un disque qui se vit avant de s’écouter, qui transcende la moindre de nos émotions et qui met à vif le moindre de nos tourments et blessures…un disque qui traverse chaque homme, femme et conscience, pour le frapper au plus profond de son être…
2009-03-15 00:00:00
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