SEPTICFLESH
ESOPTRON (Album)
1995, Holy Records




eulmatt : 16/20
Commençons par enfoncer une porte ouverte: Holy Records n'a pas dû mettre bien longtemps pour prendre conscience qu'avec la signature de Septic Flesh, il avait fait une sacrée recrue. Cela sans doute même avant que le remarquable chant des sirènes de Mystic Places of Dawn ne vienne séduire les oreilles de bon nombre de metalheads adeptes de metal extrême.
Bref, voilà Septic Flesh (réduit désormais au duo Spiros / Sotiris) encouragé à se remettre à sa tâche créatrice, pour un second album non moins ambitieux que son illustre aîné. Enregistré au printemps 95, dans les mêmes conditions que l'année précédente (enregistrement aux Storm Studio sous la houlette du fameux Magus Wampyr Daoloth), le disque est baptisé ????????, à prononcer Esoptron. Le titre peut apparaître anecdotique, mais rien n'est moins sûr. Esoptron, c'est le « miroir » en grec ancien, cité dans le nouveau testament (Corinthiens 13:12): « Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face; aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j'ai été connu ». On peut y voir la volonté de Septic Flesh de donner un relief conceptuel à son nouvel album. Esoptron revêt un caractère spirituel assez marqué, même si les thèmes chers au groupe restent toujours la trame de fond (civilisations méditerranéennes antiques, mythologie, poésie et onirisme). Preuve de l'ambition autour d'un projet artistique global, la pochette et le livret de l'album sont des peintures de Spiros, figurant des dizaines de visages de créatures mi-humaines mi-divines, sur fond de temple grec.
Ceci dit, pour autant qu'il soit ambitieux, le projet du groupe doit d'abord l'être musicalement.

La première évolution musicale notable réside dans la durée du disque: en déduisant les quelques intermèdes instrumentaux, l'album est amputé d'un quart d'heure par rapport à Mystic Places of Dawn, (particulièrement long avec ses 55 minutes). Intermèdes musicaux, nouveauté qui, soit dit en passant, donnent une aération intéressante à l'ensemble, et met plus en valeur les vraies huit compositions qui constituent le cœur de l'album. Compositions qui, à l'exception de l'atypique Narcissism, ont également tendances à se compacter, avec une durée moyenne plutôt proche des cinq minutes.
Cette volonté de concentrer sa créativité artistique, et sans doute de moins se disperser dans des constructions trop complexes, se confirme à l'échelle unitaire des morceaux. Pas de panique à la lecture de ce constat: Sotiris n'a ni perdu son sens exacerbé de la mélodie, ni sa maîtrise orchestrale, et encore moins ce coup de patte de génie qui sait peindre à coup de notes des univers de mythologie et de civilisations ancestrales à l'atmosphère magique et onirique.

En ralentissant le tempo, en exploitant avec plus de patience les motifs musicaux où le jeu lyrique de la guitare prend une place encore plus primordiale, Septic Flesh gagne en majesté et en maîtrise ce qu'il perd en exubérance démonstrative. Sans aller jusqu'à la lourdeur plombé du doom, le metal des Grecs va parfois flirter avec les effluves gothiques d'un Katatonia ou d'un vieux Paradise Lost, tout en restant ancré dans un death metal robuste et racé. La seule présence du growl d'outretombe de Spiros donne un caractère monumental et divin au death de Septic Flesh, que ses cousins gothiques n'ont pas forcément. Enfin troisième ingrédient qui peaufine définitivement la singularité du duo, l'orchestration symphonique, même utilisée avec parcimonie (pas de nappes de claviers omniprésente ici, mais plutôt quelques touches discrètes qui donnent une profondeur étonnante). Ces trois composantes principales permettent de comprendre que l'approche musicale de Septic Flesh reste somme toute unique et ne se rattache à aucun style défriché jusque là.

Concrètement, l'album s'enchaîne entre longues tirades mélodiques (où se côtoient la nostalgie, l'onirisme, la poésie, la tristesse), où seul le chant implacable de Spiros impose une composante solennelle, et quelques passages éruptifs surpuissants, où les blasts ne sont pas en reste. Il est difficile d'établir une hiérarchie des meilleurs morceaux, tant le rendu est homogène. On retiendra tout de même la force mystique du titre éponyme, dense et équilibré, avec son final époustouflant; les choeurs judicieux de Burning Phoenix; la beauté minérale de Ice Castle, à l'architecture musicale audacieuse; le cérémoniel paroxystique de Succubus Priestess; sans oublier Narcissism, long morceau progressif qui résume à lui seul le miroir à multiples facettes que constitue cet album.
Et même si à titre personnel, je reste plus sensible à l'architecture à la fois plus exubérante et plus brute de Mystic Places of Dawn, qui malgré sa longueur conserve peut être un surplus de spontanéité, il faut finir par préciser que pour beaucoup de fans, Esoptron reste le sommet de Septic Flesh, et hormis mon propre feeling, j'avoue avoir peu d'arguments à leur exposer pour les contredire.
En gagnant en efficacité et en maîtrise, tout en construisant un art global autour du concept de son second album, Septic Flesh conquiert définitivement le respect unanime de l'underground européen. Il devient l'un des rares, avec Opeth, à donner au death metal une envergure artistique jusque là inexplorée. Comme le groupe suédois, il construit pierre après pierre l'édifice de sa légende, qui ne va pas s'arrêter au remarquable Esoptron.

2010-05-04 00:00:00