PRIMORDIAL
A JOURNEY'S END (Album)
1998, Misanthropy Records / Metal Blade Records / Hammerheart Records


Re-Issue in 2001 by Hammerheart Records
Re-Issue in 2009 by Metal Blade Records

DISC 1

1. Graven Idol 08:06
2. Dark Song 05:06
3. Autumn's Ablaze 08:17
4. Journey's End 08:01
5. Solitary Mourner 02:56
6. Bitter Harvest 10:34
7. On Aistear Deirneach 04:28

Bonustrack (Re-Issue 2001)
8. And the Sun Set on Life Forever

Total playing time 47:28

DISC 2 (Re-Issue 2009)

Recorded live at The Ritz, Lisbon, Portugal, 09/12/1999

1. Infernal Summer
2. The Calling
3. A Journey's End
4. Children of the Harvest
5. The Burning Season
6. The Purging Fire (Gods to the Godless)
7. Autumn's Ablaze
8. Let the Sun Set on Life Forever
9. Graven Idol
10. To Enter Pagan


Hibernatus
Début 1998, Primordial a derrière lui une démo autoproduite d'un Black Pagan encore bien raw, et un premier album, « Imrama » (1995), qui l'agrémente d'un prégnant Folk celtique. Très réussi, il est à bien des égards précurseur, le Folk Metal en étant à ses balbutiements et n'ayant pas encore l'audience qu'il acquerra dans les années 2000. Mais l'album se vend mal et la dissension s'installe dans le groupe, où les poings deviennent un mode de discussion plus usité que les mots. L'intégration du batteur Simon O'Laoghaire et la signature de Misanthropy Records vont donner à la jeune formation irlandaise une ultime chance de trouver un nouveau souffle.

Et par Cúchulainn, comme ils vont la saisir dignement ! L'Academy Studio de Dewsbury, dans le Yorkshire, va être le creuset où vont se forger la nouvelle unité du groupe en même temps que sa pleine identité artistique. Après « A Journey's End », on ne discute plus des heures sur la bonne étiquette à accoler à sa musique, c'est du Black-ci, c'est du Folk-ça, non : dès les première mesures, on constate simplement : « c'est du Primordial ».

L'album est sombre, amer, dramatique et bouleversant. Plein de noblesse et de fierté, aussi. Rejetée par le label et remplacée par une autre beaucoup plus anodine, la pochette que l'on trouve sur les rééditions rend bien compte du contenu : sobrement esquissé, un visage d'homme qu'on devine à terre et blessé, se redressant sur un coude, darde un regard plein de souffrance mais chargé d'un inaltérable défi. C'est tout Primordial, guerrier dans l'âme, mais un guerrier des causes perdues d'avance. On se bat à un contre dix, sans espoir de victoire, non pour l'honneur ou la gloire, car il n'y aura personne pour se souvenir de nous ; on se bat parce qu'il le faut, pour mourir en accord avec soi-même.

Pas réellement présente dans les paroles toujours remarquables et poétiques d'Alan Averill « Nemtheanga », la guerre est surtout métaphorique. Mais comment ne pas être frappé par les roulements de tambour martiaux qui ouvrent Graven Idol, cette étrange et contournée chanson d'amour ? Impression confirmée par la rudesse et l'énergie du riff, par les guitares grésillantes et la voix encore très Black de Nemtheanga. Bitter Harvest n'est pas non plus guerrier à proprement parler, il traite d'une humanité déchue promise à l'extinction dans le déshonneur, dans une ambiance digne d'un des Spleen de Beaudelaire. Le 4e, le plus sinistre. Pourtant, ce titre terrible enchaîne une succession de paysages glacés qui évoquent autant de champs de bataille désolés, où errent d'improbables survivants éclopés au milieu de cadavres en pièces et de monceaux de ruines. Encore un titre où les influences Black, jamais reniées par le groupe, ont la part belle ; mais elle sont transcendées par un autre type de musicalité.

Irlandaise, peut-être ? Oui, c'est ça ! Dans tous les morceaux de l'album, sans forcément recourir aux instruments traditionnels, et moins encore aux facilités des turlupouëts d'une gigue un peu métallisée, Primordial sonne irrésistiblement comme la voix de la verte Erin : quelque chose dans le rythme, dans le phrasé musical, un je-ne-sais-quoi qui accroche tout de suite l'amateur de musique irlandaise. Mais parfois, Primordial met les points sur les i. L'intitulé gaélique de l'instrumental An Aistear Deineach ne laisse pas planer de doute. Dernier titre du disque, il n'est pas d'une gaîté propre à évoquer de joyeux et fraternels éclusages de pintes de Guinness au pub, mais sa gravité aérienne allège quelque peu la tension accumulée à l'écoute d'un album plombé. Quant à Dark Song, oh, quelle pure merveille !

Cédant pour une fois une grande partie de sa plume, Nemtheanga se contente d'arranger marginalement les paroles d'un de ses illustres prédécesseurs, le barde mythique Amergin Glúngel. Le texte vient du fond des âges, issu d'une riche tradition orale celtique sauvée de l'oubli par les copistes des monastères médiévaux. Et là, le bouffeur de curés que je suis voue une éternelle reconnaissance aux bons moines pour leur œuvre (im)pie. Grave et solennel, cet hymne panthéiste glorifiant la nature et la terre natale (fût-elle, dans l'histoire qui nous occupe, issue d'une récente conquête : vous voyez, encore la guerre) est exécutée exclusivement en acoustique, et même parée de touches de guimbarde. On y voit la batterie remplacée par les profondes sonorités du bodhran, le grand tambourin irlandais, et Ciáran Mac Uiliamm troquer sa guitare pour les plaintifs geignements d'un tin whistle torturé et les aigrelets trémolos de la mandoline (instrument depuis longtemps naturalisé irlandais, écoutez donc les vieux disques des Wolfe Tones ou des Dubliners). Pourtant, il ne dépare aucunement le déroulé de l'album, tant la voix d'un Nemtheanga habité lui confère son extrême tension. Si ce gars-là n'aime pas son pays et sa culture, il fait sacrément bien semblant.

En définitive, c'est la mélancolie qui emporte tout l'album. Une mélancolie souveraine qui s'exhale du titre éponyme Journey's End, dont l'intitulé ne trompe pas sur la marchandise. Longue intro de guitare douce-amère à laquelle succède une série de riffs énergiques, mais quelque peu lancinants, et que prolonge et sublime le chant calme et posé, mais plein d'incertitude, d'Alan Averill. Un très beau titre qu'éclipse toutefois son prédécesseur dans la tracklist, le flamboyant Automn's Ablaze.

Ici, pas de progression : d'emblée le son est dense et stupéfiant, mais il met en valeur une troublante musicalité que rehausse bien vite la voix de Nemtheanga : faussement chaude, comme si l'acceptation de la défaite était une victoire en soi. Le break nous achève en cassant complètement le rythme : la voix d'Averil, profonde et résignée, se déploie sur des entrelacs de basse et de guitare auxquels le crissement des doigts sur les cordes confère une dimension charnelle. Et ça repart, avec Nemtheanga qui entre en transe, invoquant au passage Morigu, déesse guerrière de la complexe mythologie irlandaise, pour un final aussi exalté que plein d'une sereine désespérance. Rien que d'en parler, mon poil se hérisse.

Et le titre incongru entre tous, Solitary Mourner. Une note, une seule, qui claque au début et qui résonne sur les 2'50 du morceau, tel le bourdon d'un uilean pipe. Averill chante a capella, ah, mais chante-t-il vraiment ? C'est un sombre récitatif, parfois chanté, entrecoupé de profonds soupirs. Ce n'est pas une prouesse vocale mais une performance d'acteur dramatique, dont on ne s'étonnera pas en connaissant l'exceptionnelle présence scénique du bonhomme. J'ai été fasciné à la première écoute de ce morceau, mais persuadé que je m'en lasserai vite. En fait, non, il me scotche encore.

Primordial me fait toujours penser aux vers de Chesterton (non, s'il te plaît, Nemtheanga, ne me frappe pas parce que je cite un ennemi héréditaire anglais !) : « The great Gaels of Ireland are the men that God made mad / For all their wars are merry and all their songs are sad ». On a vu que les guerres de Primordial n'étaient pas plus joyeuses que les vraies ; mais pour ce qui est des chansons tristes, ce n'est pas l'écoute de « A Journey's End » qui va me contredire... Mais cette tristesse rend moins dépressif que fort et résolu : elle élève l'âme. Primordial comme école de stoïcisme ? Pourquoi pas, on connaît des professeurs plus rudes, comme la vie elle-même quand elle décide de s'y mettre. S'il est incontestablement le plus sombre, et accessoirement mon préféré, « A Journey's End » n'est sans doute pas le « meilleur » album du groupe ; mais c'est lui qui pose les premiers pavés de la voie qui mène à « The Gathering Wilderness » et « To the Nameless Dead ».

« Sing, sing the dark song of Erren to me ! »

2018-06-10 22:34:33