WARDRUNA
RUNALJOD – RAGNAROK (Album)
2016, Indie Recordings




AlonewithL : 17/20
Un cycle se termine. Le troisième volume de la trilogie consacrée aux runes nous parvient. Et des questions se posent. Surtout depuis le départ du chanteur Gaahl en 2015, qui fut en quelque sorte la figure de proue ou du moins le grand promoteur d’un projet neo folk devenu rapidement renommé, et dépassant très largement les clivages de son propre style. La situation pourrait même dépasser l’entendement d’Einar Selvik, aux rennes du projet depuis sa création, et aujourd’hui propulsé comme consultant de la célèbre série TV “Vikings”. C’est dans ce contexte qu’est enregistré “Ragnarok”et les 8 derniers runes composant le vieux Futhark, ou autrement dit l’ancien alphabet nordique, au centre de la thématique de la trilogie. Une variété de lieux a été choisie à ce but, et parfois même en dehors de studios d’enregistrement. Le titre de l’album interroge puisqu’il se réfère à un épisode prophétique et tragique d’une adaptation tardive de la mythologie nordique. Certes, c’est l’un des passages les plus connus et populaires désormais. Et peut-être qu’une fin du monde dont on laisse présager une suite était le meilleur choix pour présenter la fin du cycle des “Runaljod”. Une fin en apothéose.

Selon les textes, Tyr, le dieu du ciel, prendra une part active au Ragnarok. A tout seigneur tout honneur, c’est par sa rune que débute l’album. Le ciel, mais pas seulement, la terre grondent et tremblent. On entend des trompes de guerre, puis un ensemble dantesque de percussions tribales jouant un rythme martial. Des voix barbares à la façon de galériens viennent couronner le tout. On sent les forces se mobiliser, les rangs se former en blocs compacts, préparés à l’imprévu et à l’impossible. Viennent en plus à cela s’ajouter chœurs et sons cuivrés. Ce qui ressemble ici à une marche guerrière n’aurait pas de mal à voisiner avec celle des orques sur “Mirautas Vras” de “Summoning”, par exemple. Le titre de fin peut se percevoir comme une sorte de réponse et de continuité à ce premier. Ainsi sur le morceau “Runaljod” les battements sont aussi forts et martiaux. Il règne même une pesanteur offensante, complété par des claquements persistants. L’univers est cependant plus riche et indocile. Les voix se communiquent et s’annulent entre elles, tels des courants brumeux.

Un animal de la brume mais désormais disparu devait se voir représenté à travers “UruR”. Cet animal est l’aurochs, inexistant depuis quelques siècles déjà. Ce qui était problématique pour Einar. A été choisi pour le remplacer le bison d’Europe dont on entend les meuglements en entame et un peu dans le développement de la piste. Là encore c’est une forme de poursuite de “Tyr” avec une tendance avouée au rythme martial des percussions. Normal s’agissant d’une rune représentative de la force intérieure, mais aussi paradoxalement de la maternité. Autre animal autres sons. “MannaR” va occuper deux pistes. Car oui, l’Homme est au centre des intérêts. Une piste instrumentale tout d’abord avec “MannaR - Drivande” dont on perçoit trompes cuivrées et le bruissement de l’eau à l’activité de rames. Les percussions et instruments à cordes frottées viennent en renfort. C’est ici un pur moment de recueillement et de froide solitude. C’est le prélude à “MannaR – Liv”, morceau plus conséquent qui laisse une part importante à la lyre Kravik, la taglharpa et à la vielle à roue. Nous avons donc un corps vivant, animé, bien que mis sous pression par les chants, dont un principal assez larmoyant.

Un chant éperdu et peu réjouissant est également perceptible à travers “Pertho”. L’Homme n’aime vraisemblablement pas être l’objet du hasard. Un chœur à l’unisson lui répond, de même que la lyre sur ce court extrait, produisant une musique voluptueuse et raffinée. “Isa” fait aussi preuve d’une grande délicatesse, et on apprend pour ce titre dont l’élément est la glace, qu’un bloc de glace a été utilisé pour la percussion. D’où sans doute ces tintements utilisés en rythme et en fond sonore. Le titre n’est pas inanimé pour autant. Les chœurs masculins et féminins se révèlent particulièrement actifs et déterminants. En ôtant un peu de l’énergie de ces chœurs, on pourrait d’ailleurs associer ce morceau aux travaux du combo de folk/ambient “Nest” pour ses sons singuliers et sa profondeur. De quoi nous donner l’envie de rêver et de voyager. N’y aurait-il pas une rune symbolisant le voyage justement? Et bien, si! “Raido”, c’est la roue, la chevauchée, le voyage. Le titre a fait l’objet d’un clip et est de ceux parmi les plus harmonieux de l’offrande, prenant au départ la forme d’une dualité de chants (masculin et féminin), gagnée peu après par celui d’Einar, et mettant en scène, pratiquement tour à tour une multitude d’instruments aussi variés que la mandoline, la taglharpa, la flûte. Le tout prend de l’amplitude au fur et à mesure de son avancée.

On va retrouver la plupart de ces instruments dans une pièce féerique. Féerique aussi pour ses chœurs d’enfants. La rune voulant signifier le bonheur (“Wunjo”) n’est pas moins fragile, du moins l’ambiance est timide et se laisse très doucement effeuiller. La vielle à roue prend ici les devants. Avec l’ajout de la flûte, on pourrait croire à une sorte de “Fejd” slavisé. Certaines influences à l’Est de la Norvège sembleraient avoir joué. Les enfants viennent se fondre naturellement à ce paysage et à cette “joie”. L’innocence devient la part naturelle au bonheur. La quête de celui-ci par les adultes serait donc aussi une quête de ce que nous avons perdu quand nous possédions matériellement presque rien. A méditer! Des chœurs d’enfants, il en sera aussi question sur “Odal”, lié à l’héritage, à la propriété, à la famille. De plus les chœurs d’enfants répondent à ceux d’adultes comme pour valider cette figure d’héritage. Cet échange est admirable à plus d’un titre, atteignant un point d’harmonie sur le refrain. Probablement un des meilleurs extraits de l’album et de “Wardruna”. Einar, y a fait chanter ses deux enfants, transposant ainsi son message au propre comme au figuré. Léguant un patrimoine à ses auditeurs et à sa propre fratrie.

La trilogie de Runaljod pourrait se résumer ainsi: Après un “Gap Var Ginnunga” aérien, situé dans les hauteurs enneigés, après un “Yggdrasil” luxuriant, communiant avec la nature et la terre, “Ragnarok”, c’est la réunion des hommes et du feu. Des trois volumes, celui-là dispose de titres originaux et particulièrement remarquables, au point même d’en éclipser pratiquement les deux précédentes pontes du combo. L’humanité l’emporterait donc sur le ciel et la terre. Il s’agit aussi d’un volume gagné par une certaine noirceur, le ton, à l’exception lors de l’arrivée d’enfants, n’est pas des plus optimistes. Il y a la beauté, la nostalgie, certes. L’ombrage de la peur est bien là, indécrottable et tenace. On a peur que tout ceci s’efface un jour, que le passé s’enfonce dans l’oubli. Que les ancêtres n’aient plus personne pour entretenir leurs mémoires, leurs traditions, ni même leurs sépultures. “Ragnarok” annonce une fin périlleuse et grandiose, mais pas la fin en soi. “Wardruna” a terminé un cycle a travers un grand récit, le projet néanmoins perdure, comme un serpent qui mue. “La fin du monde n’est pas encore pour demain”.

17/20

2017-02-25 01:28:52