Agonkakon | Si DT, en bon groupe progressif, a toujours cherché à faire évoluer sa musique, il devient de plus en plus difficile pour le groupe de s'affranchir de l'identité que constituaient les albums précédents, notamment l'adulé Metropolis Pt.2 et les tout débuts des deux premiers opus, parfaits héritiers du rock progressif de Yes ou Genesis, Images and Words, notamment, alliant la nostalgie à l'éclosion d'une nouvelle étoile. Difficile donc de faire valoir sa recherche musicale surtout lorsqu'elle lorgne avec insistance vers Muse, Pink Floyd (oui c'est toi que je regarde, Octavarium) ou vers la grande moulinette à Metallica Tool Pantera et consorts à l'image de Train of Thoughts. Pourtant, si DT est aisément identifiable à sa technicité et à la voix de son chanteur, les accès d'innovation et d'inventivité, allant du black sympho aux gammes orientales, se font de plus en plus occasionnelles. Et quand bien même le groupe se refuse à abandonner le sens de la symphonie, il a une sérieuse tendance à se replier sur son aspect technique, de la même façon qu'un enfant introspectif se trouvant en difficulté retourne à son univers imaginaire.
Or, ce nouvel album est apparemment le contre-pied de la tendance présente sur l'avant-dernier album, qui apparaissait comme une seconde tentative de mettre au point les choses avec le line-up post-Portnoy. Son nom montrait bien ce désir introspectif, cette remise en question de la machine à Prog qui commence sérieusement à voir son trône fondre sous ses pieds. Et ce, face à l'influence colossale de Steven Wilson, qui est allé jusqu'à avoir ses petites affiches dans le métro parisien et, bien entendu, à celle des nouveaux arrivants de Haken qui ont une sérieuse tendance à jouer sur le même terrain que la bande à Petrucci. Ce dernier album sans nom avait alors un drôle de statut, et l'on se demande vraiment pourquoi il est la plus grosse vente en metal progressif si ce n'est justement par le prestige de la marque DT, le groupe n'ayant plus rien à prouver depuis longtemps et ne s'accordant des prises de risques que très ponctuelles.
Voilà donc nos amis qui reviennent avec un album concept (genre qui les a immortalisés), et j'attendais donc de voir ce block-buster musical. Block-buster dans sa longueur bien entendu, un album de 2h30 c'est éprouvant, mais aussi par les thèmes futuristes abordés, et l'approche générale de l'histoire, qui repose sur la tradition américaine du gentil jeune homme qui est, en fait, l'élu face à la grande menace. Mais la grande menace, pour Dream Theater, ce n'est pas n'importe quoi: c'est un monde sans musique. Avec des machines incapables de sentiments qui remplacent tant bien que mal le totalitarisme de 451. Or, il me semble que l'on peut en tirer quelque chose sur l'état d'esprit du groupe, mais nous verrons ça plus tard.
Parlons encore un peu de la forme: DT lance l'introduction où l'on verrait bien le générique défiler. Puis, plan large avec "Dystopian Overture" sur une Terre ravagée par les envahisseurs, où règnent destruction et désolation. On remarque, au passage, l'accent hollywoodien de la musique qui caractérise l'album, à tel point que l'on pourrait le comparer à l'approche d'un Luca Turilli s'il n'y avait les changements soudains de tempo et les accès de technicité petruccienne. Et surtout, et la durée de l'album suffit à la comprendre, la musique ici constitue un tout qui est supposé se suffire à lui-même. En témoigne l'ouverture des portes de "The Gift of Music", titre qui constitue un trailer idéal puisqu'il semble être l'équivalent musical du plan large d'ouverture des "Il était une fois dans l'Ouest" et d'une majeure partie des récits d'aventure à l'américaine.
Et c'est à partir de là que le concept de l'album devient très glissant. Car si l'investissement de l'auditeur peut se faire total et attentif, l'avalanche sans répit de ballades et cheese-cakes d'épique fourrés aux soli peut ennuyer ou épouvanter. En effet, les ballades ne correspondent pas à des moments de repos mais sont, au contraire, les moments d'exigence de l'album: il faut arriver à conserver son attention. D'autant plus que l'histoire, loin d'échapper aux clichés, au manichéisme ou à la simplicité, peut assez vite lasser.
On se retrouve, en fait, avec des parties musicales très riches et innovantes, Dream Theater s'essayant à l'espace, à la lumière en exact miroir des Systematic Chaos ou BCSL, sombres et noueux. Ce n'est pas une nouveauté mais l'aspect hollywoodien épure la musique et la remplit avec la clarté des violons et des pianos qui porte le tout à la limite du mièvre (non pas que ce soit une nouveauté), qui s'étend tout de même sur la majorité de l'album. Les seuls moments d'intensité qui viennent nous secouer sont parsemés essentiellement sur le deuxième disque, en plus de "Three Days", "Ravenskill" et "A Tempting Offer" surgissant de la masse indiscernable du premier. Les moments de surprise sont précieux et sont finalement ce que l'on retient de l'album, autrement dit pas tant de choses.
La voix de LaBrie n'arrange rien. Un Excellent chanteur bien entendu, mais sa voix ne peut pas tout: les instrumentaux polymorphes du groupes rendent sa voix beaucoup trop monocorde et, du reste, mielleuse sur les ballades. C'est un problème qui, à mon sens, se pose depuis le début de la formation, et qui me fait parfois préférer l'approche d'Arjen Lucassen chez Ayreon. En plus de cela, comme l'histoire doit être racontée, on ne peut alors se passer de la voix du sieur et donc se prendre de longues parties instrumentales un peu tarabiscotées.
Et c'est bien cela le problème: un album concept, voyez-vous, c'est un peu tendu à mettre en place. Faire la part des choses entre la narration et la musique pure. Cet équilibre était atteint de manière sublime dans Metropolis, la complexité et la richesse de la musique étant tirées vers le haut par le labyrinthe narratif. Là, j'aurais plutôt tendance à dire que le tout est tiré vers le bas. Non pas en simplicité, mais en niaiserie et en trop-plein de grandiose facile. A vrai dire, que ce soit une bonne ou une mauvaise chose, l'album semble nous replonger dans les univers de l'enfance, devant des films Disney peut-être. On songe aussi et sûrement plus à l'univers des RPG, le groupe ayant sorti un jeu vidéo sur l'album (oui oui) et conçu un art-work book sur l'environnement dans lequel ils se sont plongés.
Investis à fond dans cet univers, les progmans semblent plus s'amuser qu'autre chose. Ils rappelleraient même justement leurs prédécesseurs des 70s qui ne craignaient pas le ridicule de leurs univers et s'investissaient à fond dans des histoires de planètes et de chevauchées fantastiques. Enfin, de la masturbation, sur le manche de guitare et dans l'imagination. Il y a, malgré tout, des passages assez atypiques pour du DT sur l'album et qui donnent de petits espoirs pour le futur, comme "A life Left Behind" sortant du lot par son véritable aspect novateur chez le groupe et même assez peu comparable à quoi que ce soit que je connaisse.
Je parlais, au début, de l'état d'esprit des progueux. Ce monde où la musique entre en résistance est de manière flagrante lié à l'approche de l'album: "nous, Dream Theater, faisons de la vraie musique, du vrai art, nous sommes les élus, la preuve, on vous pond un putain d'Opéra de 2h30! Si ça c'est pas de la résistance, face à ce monde de la musique qui dégénère!" Personnellement, je vois un monde plus florissant que jamais, surtout dans le metal, en général, et dans le metal progressif, en particulier. Aussi, je vois mal comment défendre un tel point de vue. Mais tant qu'à faire de la branlette, moi aussi! Je crois aussi que la résistance de DT, c'est avant tout une réponse à la peur d'une fin de carrière qui, d'ailleurs, les a frôlés avec le départ de Portnoy, le penseur originel du groupe. Petrucci et la bande ne veulent pas envisager la fin, ça leur fait horreur, étant encore jeunes. Un monde sans musique, en tout cas, pas pour eux...
Finalement, que dire de The Astonishing? Qu'il est grandiloquent? Oui, jusqu'à l'indigestion, si ce n'est pour les interludes au piano avant l'inévitable crescendo... De la mièvrerie, de l'enfantin, peut-être la seule manière pour le groupe de ne pas tomber dans la technicité d'intimidation. Pourtant, on est toujours dans de la musique de haut vol, et justement cette recherche de la pureté peut laisser présager un peu de recul vis-à-vis de la musique du groupe, et, qui sait, une vraie évolution! On entend de la cornemuse, des passages électroniques, de la guitare acoustique, du classique, et tout de même un certain retour aux sources, sans se soucier forcément de l'attrait rapide et violent du metal intriqué. Quelques morceaux sortent du lot, notamment après plusieurs écoutes, à l'instar de "A New Beginning" (peut-être une faiblesse d'un adorateur de Pink Floyd). On dira que DT à relevé un défi immense d'ambition, mais la prouesse est technique, et non pas musicale. Et puis ils ont fait mieux. Mais voilà, c'est un block-buster divertissant. C'était sympa, c'était fatiguant aussi. Je rentre chez moi, je vais me coucher. Il y a des chances que j'aime le prochain, mais en tout cas, moi, j'attends le prochain Haken.
2016-05-22 15:29:35
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