ANTHROPIA
NON-EUCLIDEAN SPACES (Album)
2015, Adarca Records


1. Strange Aeons 00:55
2. The Melancholy of R.C. 07:32
3. Silver Twilight Lodge 07:29
4. The Part of Them in Me 09:45
5. Unknown Kadath 02:55
6. Seeds of Decay 05:52
7. When the Stars Come Right 07:35
8. Crawling Chaos 06:22
9. The Snake Den 06:35
10. Lost in Time and Space 06:02
11. Fuoco 04:00
12. Credits 05:24

Total playing time 1:10:26


LeLoupArctique : 16/20
Si un jour on m'avait posé comme question ''Quel est le plus grand groupe français de metal progressif'', j'aurais été bien marri.

''Quelqu'un dans l'assistance pourrait me citer un grand groupe français de metal prog ?
- Oui, vous monsieur, avec la barbe !
- Ange ?
- Mais non, on a dit ''metal prog'' !
- Vanden Plas ?
- Non plus, enfin, ils sont allemands eux ! Madame, à droite, vous avez une idée ?
- Hord ? Ils ont sorti un très bon troisième disque.
- Peut-être, mais ils ont splitté l'an dernier. D'autres suggestions ?
- Asylum Pyre peut-être, ou Lalu ?
- Malgré tout le respect que j'ai pour leurs récents travaux, on ne peut pas encore les considérer comme des grands groupes …
- Une dernière tentative ? Oui, au fond ? Oui, vous, monsieur, euh … madame, euh … oui vous avec des tentacules, une proposition ?
- Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn ?
- Je vous demande pardon ?
- Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn !
- Ah mais oui ! Je vois ! Vous voulez parler du dernier album d'Anthropia, basé sur le mythe de Cthulhu, c'est bien ça ?
- Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn.
- Je prends ça pour un oui.

Effectivement, il a peut-être raison. Parmi les groupes les mieux placés en France pour conquérir un trône du prog désespérément vide, il y a Anthropia. Il faut bien dire que la situation du metal prog français est quasi-catastrophique : pour un pays comptant à la louche 7000 formations metal, aucune n'a pour le moment réussi dans le prog à conquérir la scène internationale. Ceux que l'on pourrait qualifier de pionniers français du style, à l'image des Dementia, Elvaron, ou Far'N'High, ne sont malheureusement pas parvenus à faire perdurer leur art, ont splitté, ou ne donnent plus de nouvelles depuis quelques années … Quant aux formations plus récentes, telles que Lalu, Melted Space, Gaiden, Asylum Pyre ou Anthropia, elles n'ont pas encore réussi à percer suffisamment pour devenir le fer de lance de cette scène française. Certaines en revanche sont mieux placées pour le devenir, et c'est bien pour cela qu'on parle d'Anthropia ici.

Anthropia, c'est un combo venu de Nice, né aux alentours de 2003, auteur d'une démo, de deux full-lengths, d'un live acoustique, et d'un troisième full-length sorti en début d'année. Le groupe formé par Hugues Lefebvre a notamment côtoyé par le passé le label Magna Carta (grand spécialiste américain du prog dans les années 90-2000), Tommy Hansen pour un mastering, ou encore Magnum pour une première partie. Un sacré bagage, qui commence à peser lourd et à porter ses fruits, au regard du professionnalisme dont les Niçois font preuve sur ce troisième opus.
Pour ce troisième album, Anthropia monte encore d'un cran : deux invités de marque participent, à savoir Arjen Anthony Lucassen pour la narration, et Eduardo Falaschi (Almah, ex-Angra) au chant sur un titre. De plus, le batteur Damien Rainaud semble être bien ami avec le célèbre Logan Mader, parce qu'en plus de jouer ensemble dans un tout nouveau groupe (Once Human), il lui a laissé les clés du Darth Mader studio à Los Angeles pour le mix et le mastering. Enfin, Hugues et ses acolytes se sont attaqués à un concept très ambitieux, à savoir se baser sur l'univers de l'écrivain américain de romans fantastiques H.P. Lovecraft pour en tirer une histoire originale. Les fans de Lovecraft devraient être ravis, et il n'y a pas de raison que les non-fans ne le soient pas aussi, tant le concept apporte de la cohérence à l'album.

L'opus s'ouvre sur de subtils arpèges acoustiques, où on peut entendre comme dans le brouillard la terrible incantation du monsieur tentacule de tout-à-l'heure : '' Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn''. Êtes-vous prêts pour une telle aventure ? Au moins vous êtes prévenus … Tout au long de ces soixante-dix minutes nous voyagerons dans un monde tourmenté fleurant bon le Heavy/Power prog à la Symphony X (des plus récents travaux), Pagan's Mind ou encore Threshold. Les riffs peuvent être très sévères et secs, à l'instar de celui qui entame The Melancholy of R.C. ou bien plus mélodiques et fous comme sur Lost in Space and Time. D'une manière générale la guitare façonne ici un univers évidemment très progressif avec des mélodies alambiquées, mais étrangement plutôt guilleret contrairement à ce qu'on pourrait penser d'un album basé sur les écrits de Lovecraft. On remarque aussi un gros travail sur les guitares acoustiques, que ce soit pour des parties plus calmes tout au long de l'opus (l'impressionnante reprise de Fuoco du guitariste Roland Dyens) que sur certains passages metal, où l'acoustique et l'électrique se mélangent incroyablement bien (Silver Twilight Lodge). Ce morceau me rappelle le bon souvenir de la chanson Transcendance du groupe de prog Time's Forgotten, mais vue la faible notoriété en Europe du combo Costa Ricain, je doute qu'il y ait une influence.

L'autre force de cet opus, ce sont assurément les voix. Si c'est la talentueuse Nathalie Olmi qui tient le premier rôle, tous les vocalistes sollicités sont au même niveau : excellent. Nathalie comme Hugues savent parfaitement adapter leur voix pour toutes les émotions possibles, et on peut en avoir un aperçu sur le très riche The Part of Them in Me. L'intervention d'Edu Falaschi est parfaitement pertinente, sur un titre (The Snake Den) quasiment taillé à sa mesure, pour une superbe combinaison de voix. On croirait d'ailleurs entendre du Angra à l'époque du génial Aurora Consurgens. Quant à la narration faite par Arjen Lucassen, même si on peut douter de son utilité pure, elle est réalisée avec conviction et humour, comme on pouvait l'attendre du génie hollandais.

Si le tout est remarquablement bien mis en valeur par une production soignée (même mieux que certains travaux de Logan Mader), en revanche il peut s'avérer difficile de rentrer dans l'album, de s'imprégner de ses atmosphères, et de s'habituer au concept. C'est un album qui ne se laisse pas apprivoiser facilement, mais l'effort vaut le coup. Il s'écoute ensuite d'une seule traite en se laissant guider par les péripéties de Randolph Carter. On pourrait néanmoins reprocher justement qu'il n'y ait pas d'instant qui sorte réellement du lot, pas de moment de bravoure typiquement progressif, ce qui en soi n'est pas très grave, mais pourrait rebuter des auditeurs peu habitués à ce style de progressif difficile d'accès. Pour les autres, familiers depuis longtemps des Pain of Salvation (les plus anciens en ce qui nous concerne ici), Dream Theater ou Ayreon, ils n'ont plus qu'à se jeter sur ce Non-Euclidean Spaces, aux graphismes d'ailleurs très soignés, et au livret bien fourni qui ravira les admirateurs de Lovecraft. Anthropia a désormais toutes les cartes en main pour se placer en leader du metal à tendance progressive en France, et aller, je l'espère, se faire reconnaître à la même valeur à l'étranger. Bonne chance à eux !

2015-06-02 00:56:31