DRY CAN
MEANWHILE (Album)
2014, Auto-Production


1. Path
2. Aside
3. Dry Eyes
4. Sort of
5. Something Beautiful
6. Nothing Came
7. Sarah's Blue
8. Wasted
9. Nu Start
10. Blue Horizons
11. Tease
12. Away
13. Part Time Job
14. Mad Aero


Hacktivist : 16/20
Put***, mais tu pouvais pas trouver un autre jour pour ressortir ton vieil album poussiéreux des Beatles ? Pis c'est quoi ce champ de tournesol, j'ai l'impression d'avoir affaire aux débuts crasseux des Screaming Trees ou même, d'assister à la révolution agricole des États-Unis au beau milieu des eighties... En effet, il est fort à parier que plus de la moitié d'entre vous aurait pu croire à un objet proto-grunge concocté par un rassemblement de hippies libres et insouciants abusant nettement de la recette ou de leur délire psychédélique sans doute inspiré par les Meat Puppets ou autres Pixies, mais non, c'est bel et bien l'oeuvre de Français. Et au risque de tout chambouler et de faire lever le voile sur cette formation, les Dry Can sont en fait, à l'origine, un duo de chanteurs-guitaristes Parisiens formé à la fin des 90's. Oui, car il y a encore des personnes, dans ce monde, qui associent le grunge à la musique et non à cette vulgaire mode vestimentaire, détruisant l'esthétique même du mouvement originel de Seattle et de toutes celles de ses pères fondateurs. En fin de compte, on est assez loin du son difficile d'accès, noisy, bruitiste et un brin provocateur de cet autre combo Francilien majeur, Heliogabale, plus spécialement connu au milieu des 90's mais il n'en reste pas moins que la troupe n'en est pas à son premier coup d'essai... En témoigne ce mini-CD très brute et très encourageant du nom de « Something Like That... » qui avait éveillé l'intérêt des journalistes et des critiques musicaux de l'époque, en 2006, et suscité un engouement majeur auprès du public.

C'est un bonheur à l'état pur que nous avons-là. L'artiste ne se passionne pas seulement que pour le grunge, mais pour la musique de façon générale en parcourant ainsi des territoires plus pop, britpop, trip-hop ou encore lo-fi, allant même jusqu'à se rapprocher des Beatles (« Aside », « Tease » pour ne citer qu'eux) et curieusement, de toute la scène Britannique. Pour ainsi dire, personne ne s'attendait à un retour de Dry Can qui fait la part belle à quatorze titres tous très différents, mais qui, dans l'esprit, rejoignent évidemment le souffle psychédélique des années '60 à '90, respirant une liberté artistique très agréable. S'il reste encore quelques marques du duo acoustique formé à l'origine, pour l'une des toutes premières fois, ce second méfait aura la consistance d'une véritable formation à part entière, le quatuor s'enrichissant de solos et d'un jeu encore plus fin et travaillé qu'avec « Something Like That... ». En d'autres termes, l'attente aura été particulièrement longue (huit ans tout de même), mais au final, créatrice d'un nouvel album solide et inspiré intitulé « Meanwhile » - sorti en auto-production et notamment soutenu par le staff de La Grosse Radio, et maintenant, de Spirit Of Metal, d'Eyes Of Layne.

Par où commencer, le mâle s'engage, tel un Eddie Vedder, à forcer son timbre et à éveiller les souvenirs nostalgiques de nombreux auditeurs, emmenant toutes ses influences crasseuses derrière lui, et Anne Lupieri, véritable source de charisme à elle seule, modélise son chant à peu près comme elle le souhaite... C'est en tout cas ce que suggère l'accrocheur « Path » composé à l'ancienne, sans artifices, s'appuyant sur un simple duo de voix et dont les moindres sonorités renvoient à celles de « Versus » pour le côté brute, punk et énervé de la chose. Derrière ce grunge très efficace, il y a pourtant bien une certaine forme d'exotisme qui se développe, la vocaliste le fait avec brio sur ce hit à travers ses backing-vocals, pendant qu'Antoine Abinun s'en tient à jouer un sympathique Tarzan sautant de liane en liane et criant à l'appel de la forêt sur le plus mélodique « Aside ». Parfois, ils vont même plus loin jusqu'à produire une composition mystérieuse et alambiquée, à la fois très théâtrale dans le ton, dominée par un chant féminin sombre et possédé comparable à celui de Beth Gibbons (Portishead) et une envolée de screams masculins sales et hantées qui œuvrent tous pour la cause de « Dry Eyes ». Pour le coup, c'est un peu comme si l'on passait du coq à l'âne mais à côté de cela, on retrouve ce culte des influences qui domine tout le long de la galette ; l'introduction de « Wasted » est très semblable à « I Believe in You » de Bush (avec plus de saturation) même si le reste rebondit sur du Pearl Jam tout craché ou encore avec « Part Time Job » s'amusant à retracer la folie d'antan de Guano Apes et plus particulièrement de sa frontwoman Sandra Nasic dans sa version punk/grunge. Au final, personne ne reste indifférent à la musique de Dry Can et il y en a vraiment pour tous les goûts, metal y compris, comme nous le démontre cet intéressant « Nu Start », et ce, même si sa durée est en deçà du reste de la tracklist (qui se situe généralement entre les trois et quatre minutes). Il n'empêche que le rythme est lourd, rapide, saccadé, de même que les riffs, denses et particulièrement serrés.

C'était sans compter que le milieu du disque nous offre un univers tout autre, comme une mise à l'écart du grunge pour laisser place à la face la plus introvertie de la musique du combo. Car, les tâches sont plutôt bien réparties finalement : Antoine Abinun domine nettement les versets et l'énergie grunge déployée dans ce skeud, alors qu'Anne se recentre surtout sur la délicatesse et la sensibilité de Dry Can, son côté intimiste. Cela nous emmène à dire que si, dans un premier temps, l'identité du groupe laissait à penser que les Franciliens s'engageraient surtout dans un grunge à l'Américaine, bien loin des racines Européennes du mouvement, certains titres nous montrent tout à fait le contraire. C'est une surprise de taille, car le quatuor troque son grunge peace and love contre un trip-hop tristounet et très mélancolique. Les mélomanes seront ravis, « Something Beautiful » est un peu à l'image d'un « Chinese Interlude » de Tricky au niveau du rythme ; lent, simple, beau, léger, atmosphérique et tellement évanouissant qu'on en oublierait presque l'essence de notre bon vieux Seattle Sound. Pourtant, des guitares bluesy rencontrent un solo saturé à la manière d'un Portishead tandis que l'autre vocaliste se fait plutôt discret, laissant Anne se confier en totale liberté. Toutefois, le groupe privilégie des morceaux plus courts pour y incorporer ces influences, donc il serait plutôt question d'interludes à ce niveau-là. L'éclectisme musical a ainsi son mot à dire sur cet opus et contribue à rendre le tout plus unique, plus artistique, plus sombre. « Nothing Came » se base, par exemple, sur une rythmique hip-hop avec des éléments blues et très planants qui gravitent autour de la pièce, très atmosphérique dans son ensemble, et portée par une voix féminine dont le son, le mixage s'inspire fortement des racines du trip-hop et rejoint de ce fait une certaine Francesa Belmonte, qui a l'habitude d'œuvrer comme vocaliste principale sur la discographie d'Adrian Thaws (dit Tricky). Petit arrière-goût de britpop également, sur « Blue Horizons », planant et psychédélique, sur une base grunge typiquement Pearl Jamienne avec un air des Beatles, d'Oasis. C'est d'une fraîcheur...

Fierté nationale, Dry Can nous livre néanmoins un second album de maître coincé entre le proto-grunge 'Ricain du milieu des eighties, la seconde vague grunge des nineties (PJ surtout) et surtout, tente d'explorer des territoires trip-hop où gît notamment Tricky, Portishead. Ils ne savent choisir entre l'Amérique et le Royaume-Uni, mais à vrai dire, « Meanwhile » est très bien comme cela. C'est ce qui fait son charme, son attrait, sa singularité, sa diversité. Voilà, c'est dit.

2015-02-21 15:06:58