ENTHRONED (BEL)
SOVEREIGNS (Album)
2014, Agonia Records




Icare : 16/20
Il faudra s’y faire, Enthroned a changé. Le temps du cultissime Prophecies of Pagan Fire est définitivement mort et enterré, et en quasiment 20 ans, les vétérans belges ont beaucoup fait évoluer leur son, opérant un changement important avec le départ de Lord Sabathan en 2006, un des membres fondateurs du combo. Sovereigns, dixième album du groupe depuis sa formation en 1993, ne viendra pas contredire cette tendance : lent, lourd, opaque, toujours aussi noir et ritualiste, mais moins porté sur les riffs et plus concentré sur les ambiances, le nouvel Enthroned affiche clairement une volonté d’évoluer, de diversifier son propos, et s’inscrit incontestablement dans une mouvance de black moderne, ésotérique et insidieux amorcée dès Tetra Karcist en 2007.


La galette s’ouvre sur des percussions tribales et des cornes de brume mortuaires qui semblent annoncer un rituel sataniste effrayant. Résonnent ensuite les premiers accords de Sine Qua Non, lourds, répétitifs et hypnotiques, très typés orthodoxes, cette corne de brume remplissant toujours l’espace sonore, et la batterie, lourde et moribonde, claque comme un tambour catatonique tandis que Nornagest, véritable maître de cérémonie, déclame ses versets démoniaques : le constat est étonnant, et ce début de morceau, extrêmement sombre et dissonant, nous dévoile un Enthroned qui semble avoir terminé sa mutation vers quelque chose de plus noir, occulte et rampant, s’éloignant toujours plus du black metal traditionnel. Les tempos se sont considérablement ralentis, les Belges ne semblent plus chercher le riff qui tue ou le break brise-nuque, jouant plus sur les ambiances et les contrastes, et évoluant désormais dans une sorte de fusion de black, de doom et de death inclassable enveloppée d’une atmosphère brumeuse à la profondeur troublante.

Rassurez-vous, les accélérations sont toujours aussi fulgurantes et maîtrisées, mais d’autant plus efficaces qu’elles se font plus rares. Néanmoins, l’alternance des rythmes confère un relief plus qu’intéressant à l’ensemble, et Enthroned n’oublie pas non plus de ponctuer les 9 morceaux de Sovereigns d’explosions complètement hystériques (le court solo complètement débridé à 4,10 minutes de Sine Qua Non, ou la fin démente de Of Shrines and Sovereigns au blast supersonique, aux guitares hurlantes et aux hurlements possédés).
Musicalement parlant, on n’est pas loin de Carpe Noctem ou des petits frères de Cult of Erinyes, avec ces changements d’ambiances et de rythmes, ces accès de violence subits, cette lourdeur dérangeante et poisseuse, ces arpèges déliquescents à la Dolorian, et cette atmosphère religieuse omniprésente : la musique est extrêmement rampante et insidieuse, et si les attaques frontales se font moins systématiques (le début furieux de Of Shrines and Sovereigns, les accélérations sporadiques de The Edge of Agony, qui alternent avec ce riff lent, spectral et mélancolique qui revient comme un leitmotiv dérangeant), ces 40 minutes n’en forment pas moins un rituel noir et sataniste extrêmement immersif.
Les vocaux sont vraiment variés, dans un registre black grave et puissant, mais parfois récités, chuchotés, appuyés également par de nombreux choeurs religieux. D’une manière générale, le tout sonne comme une cérémonie à la spiritualité dérangée et noire : les syllabes sont bien détachées, et les textes sont scandés comme une incantation maudite. Sur la fin de Of Feathers and Flames, on a même des vocaux hurlés à la limite du hardcore, surprenants mais en parfaite adéquation avec la beauté mélancolique de ce lead entêtant à la nette coloration post rock.

Evidemment, le son est excellent, sans quoi l‘immersion ne serait pas aussi totale : d’une profondeur et d’une lourdeur abyssales, avec une basse chtonienne, des guitares épaisses et puissantes, il ne laisse aucune chance à l’auditeur de s’échapper de cet Enfer délectable. Différentes sonorités plus ou moins diffuses et autres notes fantômes viennent emplir l’espace et s’insinuer sournoisement dans notre esprit brumeux pour mieux nous posséder et nous mettre à la merci du Grand Bouc. Ainsi, Lamp of Invisible Lights, titre le plus doom de l'album, est une véritable litanie, lente, froide, implacable, avec ces riffs qui se répercutent à l’envi dans les profondeurs souterraines, et cette basse qui claque ses notes moribondes, ces mélodies vénéneuses et ces vocaux incantatoires et schizophrènes, s’achevant sur ce long passage à la limite de l’ambiant. Le contraste avec Of Shrines and Sovereings, qui nous prend d’entrée à la gorge avec un riff blasté ultra rapide et très mardukien, est juste ultime. Divine Coagulation, quant à lui, incarne à merveille l’essence d’Enthroned, avec ce mélange si envoûtant entre bestialité, profondeur mélodique, dévastation et blasphème, incarné par ce magnifique riff roulant sur ce blast hypnotique, et constitue une excellente synthèse de la carrière des Namurois.

L’album se termine sur un Nerxiarxin Mahathallah plus hypnotique que jamais aux très forts relents de Belphegor (le riff et le blast guerrier me font irrémédiablement penser à Fleischrequiem 69) grâce à son intensité rythmique très marquée, afin de finir cette messe noire dans une débauche de violence et de décibels.


Finalement, ce dixième album d’Enthroned s’inscrit comme une suite logique de la carrière des Belges, reprenant les bons côtés d’Obsidium et les améliorant très nettement pour un rendu plus atmosphérique, plus compact, plus prenant, plus liturgique, et plus explosif dans ses quelques accès de violence. Sovereigns est incontestablement une grande réussite qui plaira à tous les amateurs de musique noire, épaisse et réellement habitée, et finalement le combo belge peut disputer sans rougir aux Polonais le titre de Satanist ultime.

2014-03-31 20:59:45