AZZIARD
VéSANIE (Album)
2014, Mortis Humanae Productions


1. Allégorie
2. Disjonction
3. De Lumière, d'Obscurité
4. Sur la Toile
5. Dialyse
6. Ekphrasys
7. Dans Ma Chair
8. Digression


Icare : 14/20
Azziard est un groupe de black death parisien qui se forme en 2001 et qui sort, avec ce Vésanie, son deuxième full length après deux démos et un premier album, 1916, paru en 2009. Jusque-là, rien d’exceptionnel, la biographie du groupe semble on ne peut plus classique, néanmoins, Azziard a tout de même une particularité qui le distingue de ses homologues de la scène extrême : à l’instar d’Endstille, Azziard est passionné par la guerre, sauf que les Parisiens ne s’intéressent pas à la WWII mais à la Première Guerre Mondiale.
Ainsi, cinq ans après un 1916 au titre plus qu’évocateur, voilà qu'éclate l’obus Vésanie qui nous dépeint les horreurs de la guerre à travers le regard vitreux et dément d’un pauvre soldat réchappé du front et interné en psychiatrie, traumatisé à jamais par le cauchemar qu’il a vécu dans les tranchées.


La musique illustre à merveille le propos, lourde, puissante, dissonante et maladive, vomissant un flot de haine et de feu implacable sur l’auditeur impuissant. Si d’une manière générale, le style d’Azziard n’est pas exceptionnellement original, la thématique de la guerre, bien mise en valeur par l’artwork et les textes (en français et facilement compréhensibles) ajoute à ce sentiment de noirceur nauséabonde et épaissit l’ambiance apocalyptique de cet opus.

Tour à tour rapide, avec un rythme marqué et martial rappelant les moments de furie aveugle de la bataille, et dissonant et nauséeux, comme l’impalpable angoisse qui étreint ces milliers de carcasses blêmes attendant la fin, impuissantes et prostrées, dans l’humidité fangeuse des tranchées (Disjonction est une bonne illustration de cette alternance, avec ce début très death et ce passage central plus rampant et sournois), Vésanie nous offre un black death brutal classique mais parfaitement exécuté. La voix de A.S.A., idéalement écorchée, oscillant entre haine et désolation, met bien en exergue la folie dévastatrice de la guerre, et de temps en temps, la basse nous gratifie de brèves secousses grondantes (De Lumière, d’Obscurité, Digression) qui rajoutent une profondeur abyssale à cet ensemble déjà bien sombre.

Les pistes défilent et on a le sentiment d’une machine de guerre implacable et inhumaine. Le côté martial est bien mis en avant par cette batterie extrêmement rapide (les blasts sont imparables et lourds et les parties de double sont vraiment infatigables, écoutez voir De Lumière et D’Ombre !), par le mur de son opaque et assourdissant que forment les guitares, ainsi que par les dissonances aiguës des grattes. Les Parisiens savent aussi se faire plus oppressants, dans les parties plus lentes et lourdes (le début d’Allégorie), tantôt typiquement black avec ces harmonies vénéneuses, tantôt franchement death avec des parties bien saccadées (Ekphrasis, Digression).

Sur La Toile, pièce centrale de l’album avec ses 6 minutes 28, s’ouvre sur quelques notes de guitares sombres et inquiétantes qui annoncent l’imminence de l’explosion, et se fond en une rythmique thrash death groovy et lourde qui vient expirer sur un refrain frénétique avec ce martèlement impitoyable des futs. Cette violence bestiale contraste parfaitement avec les stridences des six cordes pour mieux nous lobotomiser, nous ballotant entre violence explosive et souffrance lancinante, et la fin du morceau est plus insidieuse et mélancolique, nous emmenant aux portes de la folie. Un tambour de guerre pulse un rythme catatonique, les guitares, grésillantes et lointaines, leurs vibrations comme absorbées par les flots de sang abreuvant la terre sèche, entonnent un triste chant de deuil, et le tout résonne dans la vacuité de notre âme dévastée comme la cristallisation éternelle et morbide d’un champ de bataille, nous dévoilant des plaines désolées jonchées de cadavres et d’agonisants dont les râles portés par le vent se perdent dans l’épaisseur des fumées noires et les miasmes suffocants des corps calcinés. Après la furie assourdissante de la charge, le silence du charnier, cauchemar encore plus horrifiant, pénétrant notre cortex en profondeur comme une balle en téflon, et nous laissant seul avec le poids de l’innommable réalité. Dialyse retranscrit parfaitement cette horreur muette, reprenant cette lourdeur figée et glaciale comme la mort, d’une beauté dérangée, avec ces guitares froides aux notes évanescentes et aux mélodies aigres et insanes appuyées par une double moribonde.

Et c’est bien dans cette lourdeur insidieuse, malsaine et sale, que le groupe excelle le plus. Le début d’Ekphrasis vient nous en donner une douloureuse confirmation avec cette mélodie suintante de désolation se muant en un excellent riff death metal sombre et plombé. Plus tard, c’est ce mid tempo bâtard, pas assez percutant, comme pris entre les feux antagonistes de l’agonie et de la fureur, qui nous laissera de marbre, même si, encore une fois, l’accélération qui lui succédera, décapante de puissance avec ces blasts infernaux, nous prendra à la gorge, nous piétinera sans crier gare et nous laissera à terre.
Car oui, c’est décidément dans les extrêmes – blasts furieux sur murs de guitares glaciales et parties mélancoliques et plaintives - qu’Azziard brille, et dans ces parties plus hybrides, parfois teintées de thrash, décidément trop groovy pour la teneur générale de l’album, que l’opus perd de son ambiance et de sa noirceur démente: trop nombreux et répétitifs, trop académiques et rythmés, manquant de folie, trop humains en somme dans cette débauche de folie et de décadence, ces passages sonnent un peu creux et ne s’accordent pas avec le reste, comme si le groupe cherchait encore parfois son style.


Ce sera l’un des seuls reproches que l’on pourra faire à Vésanie, qui restera néanmoins un bon album, certes pas d’une grande originalité sur la forme, mais vraiment intéressant sur le fond, et possédant une aura noire et psychotique particulièrement marquée.
La musique est bonne, frôlant parfois l’excellence, le tout est bien maîtrisé, et malgré quelques baisses de régime et quelques riffs qui tombent un peu à plat, ces 40 minutes restent suffisamment prenantes pour en faire un disque réussi. Une bonne réalisation, et un groupe à la démarche sincère à suivre de près, qui parvient à tendre une belle passerelle entre chevelus et Poilus.

2014-02-23 21:06:15