VULCAIN
LA DAME DE FER (EP)
1985, Devil's Records




ZazPanzer
Il m'arrive de temps à autre de m'arrêter dans une supérette "discount" située au pied d'HLM-dans lesquels-il y a-toujours-des-problèmes pour y acheter une bricole oubliée sur la liste de courses. L'intérieur est évidemment aussi dégueulasse que l'extérieur, mais pourtant plus propre qu'un bon pourcentage de clients, qui dégagent, apparemment sans s'en apercevoir, une odeur de sueur rance qui pique jusqu'aux yeux. Tout le monde y fait la gueule à part les gosses de sept ou huit ans descendus seuls en claquettes de l'appart du dessus pour acheter des chips, du sous-Coca et de la bière Karlskwell, denrées indispensables qui permettront à leurs parents hypnotisés par le plasma de tenir sans bouger leurs culs quelques heures de plus.

Il n'y a généralement qu'une caisse d'ouverte dans cette sinistre échoppe, et j'y attendais tout à l'heure, un doigt discrètement posé sous le nez afin de minimiser ma souffrance olfactive, en regardant le tapis roulant emporter invariablement les mêmes articles : briques de gros rouge qui tâche, "whiskys" canadiens provoquant des maux de tête effroyables, gâteaux apéritifs et camemberts premier prix, et enfin, l'obligatoire boîte de Ronron pour chats, qui semble en ce lieu remplacer la barre séparatrice "Client suivant".

Ici, on règle en espèces, en comptant ses pièces avec la main qui tremble, soit d'alcoolisme, soit de peur de ne pas avoir assez pour payer ses quatre articles; et on sort rarement de la boutique sans avoir assisté à un "incident" entre un client et l'agent de sécurité, las de devoir remettre en rayon les canettes "oubliées" dans les poches et les sacs à main, las d'écouter les mensonges pitoyables de ces pauvres gens qui depuis trop longtemps ont perdu toute dignité, las de rentrer chez lui avec le moral à zéro, las de constater ce qu'est devenue la France, las.

Et c'est automatique, un véritable réflexe de Pavlov, à chaque fois que j'attends dans cet Enfer, la voix de Daniel Puzio me gueule dans la tête : "Les Daaaammmnéss, ils te feront pas de maaaaaallll, les Daaaamnééss, ça leur est bien égal !"

Oui... Leur vie n'est que souci, leur ciel est souvent gris... Ils passent leur temps à se saouler, saouler pour oublier... Même si ce morceau d'anthologie évoque les mineurs du Nord et non les "cas sociaux", je l'ai depuis trop longtemps associé à cette frange de la population désocialisée; et après avoir rangé les courses en essayant de dissiper le sentiment de malaise qui invariablement m'a étreint à la sortie du magasin, je me dirige presque toujours vers ma vinylthèque pour y déterrer mes disques de Vulcain, coincés entre ceux de W.A.S.P. et de Virgin Steele.

Si je ne peux m'empêcher de manipuler le "Rock N' Roll Secours", c'est pourtant bien souvent cette "Dame De Fer" qui finit sur ma platine, un Maxi 45 Tours labellisé Devil's Records et distribué par Madrigal, reprenant "Le Fils De Lucifer" et agrémenté d'un inédit de la session d'enregistrement du premier album (Juillet 1984, Studio Maunoir de Genève) et de deux nouveaux titres mis en boîte pour l'occasion au Studio Chien Jaune (Paris) en Mars 1985.

J'adore cette pochette, certes caricaturale mais à l'image si forte... Comment ne pas esquisser un sourire devant les gueules de jeunots des bikers essonniens mis en scène par Lionel Bertin ? Vincent Puzio en santiags blanches, doublure Rock de Frank Poncherello, prêt à silloner le périph' à défaut de la California Highway, Didier Lohezic et le frangin Daniel dans le rôle des vilains loubards qui font la gueule, et le regretté Franck Villatte (RIP), avec ses pompes dégueulasses, décidément incapable de regarder l'objectif, que ce soit sur la photo recto ou celle du verso, hilarant mime du groupe faisant de l'auto-stop...

Pas de surprise musicale sur cet EP, et c'est tant mieux. Je fais l'impasse sur "Le Fils de Lucifer", une perle que vous connaissez forcément si vous lisez ce texte, pour en venir directement au mix des deux morceaux enregistrés à Paname ("Emmène Le !" / "Reprends Ta Place !"), un peu plus sourd et moins réussi que celui des deux titres suisses, mais malgré tout loin d'être mauvais.

Vulcain continue à nous asséner de coups de butoir made in France, à commencer par le titre éponyme et sa grosse rythmique Rock 'N' Roll accentuée à la cymbale chinoise, puis speedée sur le solo, emmenée par la Rickenbacker de Vincent qui vient disputer l'espace sonore aux deux grattes pourtant bien présentes. Même recette pour "Emmène Le !" avant de finir sur un titre typiquement motörheadien, "Reprends Ta Place !", introduit à la basse saturée en mode Lemmy et drivé par un rythme typique de Philthy Animal Taylor. La copie est tellement proche de l'original qu'on a presque l'impression d'écouter "Iron Fist", sans d'ailleurs que ça ne gâche le plaisir - le chauvinisme certainement.

Est-ce pour surfer sur le succès de Renaud qui cartonnait sur toutes les radios en 1985 avec "Miss Maggie" que Vulcain enfonça le clou avec "La Dame de Fer", leçon de morale lourdingue adressée à Margaret Thatcher depuis la banlieue parisienne ? "Pourtant il faut que tu comprennes pourquoi ces gens sont mis en colère, tu dois payer, tu es La Dame de Fer"... Il faut bien l'avouer, si les frangins Puzio savent y faire avec leurs instruments, l'écriture n'est pas vraiment leur fort, et tout le monde s'en cogne d'ailleurs, car ce qui compte c'est bien d'entendre la voix de Daniel, calleuse comme la paume de main d'un bagnard, et non pas ce qu'il dit. En témoignent, au hasard, les vers épouvantables de l'ode aux deux-roues "Emmène Le", chanson pourtant géniale par ailleurs : "Chevalier sur ta monture, tu vas plus vite que toutes les voi-tuuures"... Il fallait oser.

"Reprends Ta Place" est par contre plutôt réussie concernant les lyrics, l'histoire d'une rupture qui me rappelle d'ailleurs encore Renaud, et son émouvant "Manu" sorti en 1981 (Eh déconne pas Manu, va pas te tailler les veines; une gonzesse de perdue, c'est dix copains qui reviennent). Le propos est le même, abordé avec deux styles différents. Là où Séchan laisse éclater son talent de poète urbain (Eh Manu vivre libre, c'est souvent vivre seul; ça fait peut-être mal au bide mais c'est bon pour la gueule), Puzio passe en force, façon bulldozer "Et tous tes souvenirs / Tu voudrais les détruire", met une cuite à son pote "Te laisse pas avoir par le cafard, on se retrouve au bar; ça fait longtemps que toi et moi, on n'est pas rentrés tard", l'engueule parce qu'il est devenu trop docile "Mais laisse-moi te redonner ta liberté !", et pour finir le met dans le lit d'une de ses copines "assez coquine". Roule ma poule, c'est reparti comme en 14 ! Du grand Vulcain.

C'est peut-être pour finir le disque sur cette note d'optimisme et de bonne humeur et retrouver le sourire qu'inconsciemment cette "Dame De Fer" s'attire souvent mes faveurs; le "Rock N' Roll Secours" finissant sur un titre bien trop d'actualité : le boulot, le salaire et les heures supplémentaires... Quelque chose me dit que mon agent de sécurité n'a pas fini de déprimer... "Je suis vidé / Assez !"

2012-04-05 00:28:44