BELENOS
YEN SONN GARDIS (Album)
2010, Northern Silence Productions




enthwane : 19/20
Trois. Trois longues années auront été nécessaires à Loïc Cellier pour donner un digne successeur au chef-d'oeuvre qu'est "Chemin de Souffrance". Trois longues années avant que le souffle celte et épique parcoure à nouveau l'échine du dieu gaulois de la lumière. Après un réenregistrement d'"Errances Oniriques" en guise d'attente, Belenos revit à nouveau le temps d'un disque, un disque incroyablement fort, puissant, et épique. Quarante-cinq minutes d'un voyage musical à part entière sur les terres brumeuses de Bretagne.

Pourtant d'habitude allergique à toute forme de binious dans un groupe de musique violente, je suis malgré tout un énorme fan du travail du frontman. Belenos est un groupe qui a su se trouver un son, une identité, si bien qu'il est impossible de le confondre avec un autre projet. Cette patte est d'autant plus affirmée sur ce dernier disque, et nous allons voir pourquoi.

Le grand Loïc déleste ici la langue de Shakespeare pour nous offrir un Kouign-aman (bah oui, enfin, on est en Bretagne, alors on ne peut pas parler de galette) entièrement écrit en breton. Pour les frileux, les traductions en anglais se trouvent dans le livret. "Froid, dur, sévère", comme son nom l'indique, cet album ne fait absolument aucun cadeau, aucune forme de concession. Comme la météo bretonne, en somme.

Passé cette blague relativement douteuse (due à mon excitation à l'idée de raconter ce disque), il est à noter que l'âme celte qui s'était un peu perdue sur "Chemins de Souffrance" (instruments folkloriques bien trop peu présents) se retrouve ici totalement réincarnée : instruments à corde, violines, cornemuses, tout y est. Et ce, pour le plus grand bonheur des fans. que les autres se rassurent, ces instruments ne sont pas omniprésents, mais font office d'interludes au sein des morceaux, quand ce ne sont pas des fonds sonores pour les mélodies plus mélancoliques.

La pochette est, comme les autres (mis à part les trois hideuses pochettes des trois premières réalisations du groupe), assez sympathique, et ce même si le passage sous Photoshop se fait sentir : Deux dragons vomissant flammes et blizzard, seulement réunis par un croisement de lances que surplombe un Triskèle. Rien de bien recherché, me direz-vous, mais ça fait toujours son petit effet. C'est, selon moi, dans les couleurs que cet artwork est original. Violacé, bleuté, rose par endroit, il ne fait que renforcer l'aura de "Yen Sonn Gardis". Mais l'imagerie, comme j'ai coutume de dire, n'est cependant pas le plus important dans un album, venons-en donc à la musique elle-même.

Comme toujours, le Sieur, seul maître à bord du brumeux Belenos, nous démontre ses talents de multi-instrumentiste : de la batterie à la basse, en passant par les instruments folkloriques, sa maîtrise n'est plus à démontrer. Seul le violon est assuré par Gaëlle d'Artesia (qui partage un projet musical avec Loïc Cellier). Bien entendu, les chœurs graves qui donnent sa force à l'art du groupe sont toujours de la partie, et ce sur chacun des titres. La production est excellente : là ou "Chemins de Souffrance" souffrait d'un son trop synthétique au niveau de la batterie, celle de "Yen Sonn Gardis" sonne organique, ni trop amplifiée, ni trop en retrait. Parfaite, en somme.

Enfin, vient le moment de découvrir le contenu de ce nouvel opus. Et je vous prie bien de croire que ces trois longues années d'attente n'auront pas été perdues. C'est bien simple : depuis que je suis en possession de la version promotionnelle, je l'ai écouté une quinzaine de fois, sans aucune lassitude.

Belenos joue du Black Metal, c'est un fait. Mais difficile de trouver une sous-dénomination pour ce disque, tantôt très brutal, tantôt atmosphérique, tantôt très folk. Une première prouesse d'accomplie pour le frontman : proposer un disque qui tabasse, tout en sachant être subtil et suffisamment varié pour ne pas provoquer l'ennui.

Le premier titre, "Aspedenn", pourrait laisser croire qu'il s'agit d'une introduction folk, pour mieux entrer en matière. Chose surprenante, le titre consiste en riff très accrocheur que marque une batterie efficace, pour se clore sur un mid-tempo, puis une ligne de double-pédale, et enfin quelques secondes d'instruments folkloriques divers et variés (je crois même discerner une guimbarde très discrète, oui oui). Tout le monde sait qu'il faut se mouiller un peu la nuque avant de plonger : cette première pièce vous l'asperge littéralement, avant de vous immerger dans la suite de cet album.

Chaque titre nous propose un voyage à part entière. Aucun ne ressemble à l'autre. Dispensant des riffs tantôt typiquement Black Metal, tantôt très catchy, mais toujours glaçiaux. Les solos, semés sur quelques titres de cet opus (ceux composant le dernier titre sont proprement superbes), raviront les plus maniaques de mélodies d'entre vous.

"Yen Sonn Gardis" surprendra les autres, qu'ils soient blasés ou perplexes, par sa richesse. Du planant "Hollved Hirisus" et ses choeurs masculins exaltés, au très foolklorique et presque dansant (!) "Mestr ar C'hoad", en passant par les brutaux "Ene Kelt" et "En Argoll", vous serez ballottés entre les torrents de la marée haute, les menhirs des plateaux que balayent les vents froids, et au milieu des grands arbres de Brocéliande. Les structures musicales, bien que simplistes, n'en sont pas moins meurtrières : chaque pièce fait mouche. Belenos est là ou on l'attend le moins, car, autre excellent point, les morceaux sont tout sauf prévisibles.

Le disque se termine sur le simple son du vent, comme si, face à la mer (toi, au fond, qui pense à Calogero, tu sors), notre voyage se terminait. J'en suis ressorti secoué : l'album fini, mon premier geste fut de le remettre en route, encore et encore.

"Yen Sonn Gardis", cette formidable balade en compagnie de l'Ankou, est malheureusement trop rapide : pas dans le sens ou il est trop court ou bâclé, loin de là. Simplement, sa durée, pourtant très correcte, passe en un clin d'œil.

Contrairement aux groupes de BM bestiaux qui vous font mal au crâne à grands coups de blast-beats et aux groupes de BM atmosphérique/ambiant qui font tourner le même riff durant huit minutes, Belenos réussit la prouesse de réunir le meilleur de chaque style de Black Metal et de le condenser en un seul disque. Et rien que pour ça, j'applaudis des deux mains.

Tantôt épique, tantôt bestiale, tantôt vicieuse, la bête "Yen Sonn Gardis", rampera insidieusement à vos oreilles pour mieux hanter votre âme. Ce disque s'écoute de manière fluide, tant le superflu y est absent. Et c'est ce en quoi cet objet est précieux : il est dénué d'artifices. Un disque d'exception, et probablement LE disque de cette fin d'année, que chacun de vous se doit d'écouter et d'apprécier à sa juste valeur.

2010-10-16 00:00:00