RAMMSTEIN
HERZELEID (Album)
1995, XIII Bis Records / Slash Records / Motor Music




Mr4444 : 16/20
Aujourd'hui, il suffit d'une annonce d'album, d'un concert ou simplement d'une visite de Rammstein pour voir la populace accourir comme des forcenés. Il est facile de calculer la popularité de Rammstein, le groupe allemand balançant sur scènes des shows régulièrement spectaculaires, à base d'effets de lumière, de danse de flamme et de maquillage en tous genres. Chez ces Allemands, l'imagerie semble aussi importante que la musique (comment faire l'impasse sur les différents clips du groupe, semblable à des mini-films). Même si tellement de fans regrettent le changement d'orientation pour une musique nettement moins glauque et « violente » que par le passé, Rammstein ne manque pas de faire bouger les foules au gré de tous leurs succès.

Mais au fond, peu se souvient des déboires d'un groupe vulgairement accusé de nazisme à leur début. Et pas que ! Néo-Nazi, adepte du sadomasochisme, prônant l'inceste... Les qualificatifs disgracieux se collectionnent à la pelle chez ces teutons. Le groupe a toujours refusé de prêter attention à ces déclarations tapageuses, continuant leurs concerts malgré les bouteilles qu'on leur lançait, avançant continuellement la tête haute, persuadé un jour ou l'autre que ces gens se rendraient compte de ces mensonges. Mais la sortie de leur premier album, « Herzeleid » en 1995, a continué à déclencher la polémique. Les six membres posant torses nus ont contribué à relancer encore un peu plus ce débat.

Lors de sa sortie, l’album fut ainsi édité avec une autre pochette, représentant seulement les visages des membres. Le livret fut également différent en France. En effet, afin de contrer en quelque sorte les accusations de nazisme, le groupe a décidé de faire paraître une traduction des morceaux pour couper court. Mais il y a une chose qui saute directement aux yeux, quelle que soit la pochette : c’est vraiment laid… Les membres torses nus et une grosse fleur derrière : so hippie. Heureusement que non.

« Herzeleid », c'est l'essence de Rammstein. Extrêmement loin du son tout propre et bien poli des albums de « Mutter » à « Liebe Ist für Alle Da », la musique y apparaît très sèche, bien plus agressive et sombre. La musique d'ailleurs est très loin d'une démonstration technique, les riffs sont simplistes, la basse extrêmement discrète, ne ressortant seulement quand les guitares décident de se rendre muettes, la batterie est véritablement répétitive, n'imposant qu'une rythmique de base à l'ensemble en gardant 90 % du temps un rythme constant. Mais c'est clairement ça qui fait que Rammstein est Rammstein, cette répétitivité au service d'une oppression et d'un sentiment d'enfermement à toutes épreuves. Ajoutons à cela la voix rauque et agressive de Till et ses « r » enroulé chantant dans la langue de Goethe, ce qui permet de rendre une agressivité accrue par rapport au chant en anglais. Et pour finir, le clavier de Christian "Flake" Lorenz, véritable coeur de la musique industrielle de Rammstein. Rammstein d'ailleurs, à un « m » près provient du nom d'une base aérienne américaine situé dans la ville de Ramstein rendue tristement célèbre par le crash en plein air de trois avions faisant ainsi 70 morts dans le public. Le deuxième « m » provient ainsi d'une faute d'orthographe toute bête dont le groupe s'est rendu compte lors de leurs premiers concerts.

Le temps de quelques notes électro, la batterie monte peu à peu en intensité et c'est le bang. La guitare, aussi simple soit-elle, vous balances une bastos en pleine tête comme seuls les Allemands savent faire. « Wollt Ihr das Bett in Flammen Sehen ? ». Les guitares et la batterie garderont cette force de frappe sur quasiment tout le morceau, le temps d'apporter de petites accélérations sur les refrains. « Rammstein » dit Till d'une voix caverneuse et presque gutturale : c'est vrai que peu de groupes pensent à se présenter sur un premier album. Les claviers apporteront de nombreuses sonorités tout le long dont la plus notable est bien le « clic clac » d'une arme à feu sur le pont bien plus agressif du morceau. Par la suite, c'est assez compliqué de décrire musicalement les autres morceaux de l'album, les riffs sont massifs et répétitifs et la batterie ne varie pas (ou peu).

Mais je ne vais pas arrêter mon récital en si bonne route. Nous allons parler des variations les plus notables et cela commence dès la seconde piste « Der Meister ». Est-ce un semblant de double pédale que l'on peut entendre dans l'intro et dans la partie musicale suivant les refrains ? Pourquoi pas, ça dynamise l'ensemble. Les refrains d'ailleurs apposent une touche presque solennelle au morceau, le chant de Till devenant plus « léger » (notez bien les guillemets). Les claviers font quelquefois un peu kitsch, mais bon. Après du côté kitsch, « LaichZeit » tire son épingle du jeu et le clavier fourmille de mélodie digne de bons sons électro 80's. C'est d'ailleurs elle qui rythmera l'ensemble de ce morceau, les guitares présentes entre les couplets et sur le refrain se contenteront de suivre le rythme global. Les différentes intonations de voix de Till seront véritablement agréables, quelquefois plus graves, un petit hurlement ici et là. Pour le côté solennel mentionné plus haut, comment ne pas parler « Heirate Mich », quasiment religieux sur son introduction au clavier, la voilà vite rattrapé par des coups puissants à la batterie à laquelle ce relais très rapidement des riffs véritablement lourds (petite touche heavy même). Et puis tout s'arrête et les moments où Till chante, le voilà uniquement accompagné de ces sonorités présentes dans l'intro. Je pense que les « hei, hei, hei » des refrains ont dû faire jaser... Mais toujours est-il que ce refrain s'apprécie judicieusement par ce côté massif qui contraste avec le côté plus épique des pré-refrains. Notez également un solo sur la fin qui tranche un peu avec la droiture de ce morceau, tout comme ce hurlement limite désespéré qui clôture ce superbe morceau.

Mais sur « Herzeleid », aujourd'hui, c'est uniquement les gros tubes qui ressortent en concert. Et côté gros tube, comment ne pas nommer « Du riechst so gut » ? Tonitruante dans son ensemble, puissante et disposant de rythmes musicaux variés, notamment sur les guitares entre rapidité et lenteur, le tout sur un ton épique, bien aidé par les claviers aux sonorités proches du violon. Ce riff limitent dansant (qui ressort bien mieux dans le clip) est très intéressant. Dommage encore que la basse soit un peu noyée dans l'ensemble et que la batterie ne varie que trop peu encore. Autre hit, « Asche zu Asche » ! Et ici, aucune fioriture. C'est direct, simple, agressif. Le chant de Till y apparaît extrêmement virulent et grave. Les riffs ne s'embarrassent pas de variations incroyables, si ce n'est un passage presque acoustique pour trancher un peu. Dernier titre encore légèrement sous lumières, la surprenante ballade « Seemann ». Et enfin, on entend la basse d'Oliver. C'est d'ailleurs elle qui dirige le rythme. Vraiment très reposant, celui-ci caresse ses notes, qui restent les mêmes tout le long. Le chant de Till y apparaît nettement moins grave, bien plus poignant, empreint d'une certaine tristesse. Quand la guitare apparaît, celle-ci se fait mur véritablement très oppressant autour de l'auditeur. Si la batterie ne libère là aussi aucune technique de folie, elle se varie suffisamment tout le long de ce magnifique morceau.

Du côté du son plus agressif (car c'est quand même à ça que l'on reconnaît Rammstein), « Weisses Fleisch » se place. C'est massif, les guitares imposent une rythmique violente sur l'ensemble, la batterie se frappe tout le long et les refrains varient intelligemment pour laisser à nouveau une sensation extrêmement glauque et noires. Je n'ai rien contre les solos de guitare, bien au contraire, mais je ne saisis pas bien l'apparition de ce solo presque heavy sur un morceau à la base aussi sombre... « Herzeleid », titre éponyme, ensuite. Les paroles sont « simples », prononcé mot après mot sur base fixe, chaque mot étant séparé de ce riff qui se répétera durant toute la musique. Tout en puissance ! Mais c'est surtout les hurlements de Till et le clavier de Christian qui donneront du cachet à ce titre volontairement très répétitifs. Du plus léger à présent ? « Das Alte Leid » est là pour vous. Un calme contenu qui se libère sur les agréables envolées de chant des refrains, un rythme moins écrasant que les autres titres, le chant se fait quasiment parler sur tout le long, les claviers apportent de légères petites touches angoissantes qui font quand même un peu bizarres à côté des riffs plus aériens des guitares. Et puis il y a le titre « Rammstein ». Complètement à part, devenu culte de par sa prestation scénique improbable (notamment les deux bras cracheurs de feu). Le rythme est extrêmement lourd, très oppressant, le chant de Till très agressif. La basse gronde à de nombreux moments et le clavier maintient ce sentiment d'enfermement. Les solos qui émaillent de cette grande composition font ressortir encore plus de puissance au tout. Alors oui, le titre est répétitif, mais la recette a très bien fonctionné pour « Herzeleid » titre et « Rammstein » ne fait qu'améliorer ce sentiment oppressant qui vous touchera à de nombreux endroits de cet album.

« Herzeleid » est probablement le disque le plus controversé du groupe. Et controversé à tort. Mais c'est sans doute ce qui a permis au groupe d'attirer autant de regard sur eux dès le départ. Bien plus agressif et oppressant que ses successeurs (« Sehnsucht » sera probablement le seul véritable héritier), « Herzeleid » demeure malgré tout un peu moins accessible... Mais nous avons là une bien belle pépite de l'univers industriel. Pourquoi se priver? C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures après tout.

2012-05-04 11:25:58