ANVIL
PLUGGED IN PERMANENT (Album)
1996, Metal Blade Records / Massacre Records




AlonewithL : 14/20
Objet coquet et majestueux, l’enclume est véritablement l’objet que tout le monde devrait avoir. Cependant les forges canadiennes, principales fournisseuses de ce bien de consommation, ne croulent plus autant sous la demande. La clientèle semblerait avoir boudé le produit depuis le « Worth the Weight » de 1992, qui certes souffrait de quelques malfaçons, mais qui déroutait surtout pour son fort aspect heavy doom. Deux des ingénieurs présents sur ce produit, le guitariste Sebastian Marino et le bassiste Ian Dickson ne font plus partis de l’équipe du bureau d’études. Marino, lui, s’en est allé offrir ses services à une entreprise concurrente, la très sérieuse formation thrash américaine « Overkill ». Le cours « Anvil » était en train de chuter. Un dépôt de bilan ou une OPA n’étaient pas encore à craindre, le groupe possède encore beaucoup de parts et de capitaux, mais il était certain qu’ils se devaient de rebondir, coute que coute. On change de politique marketing et donc de label. « Anvil » passe de Mausolem Records à un label en plein devenir, le tout jeune label allemand « Massacre Records ». Parallèlement, deux nouveaux employés ont été recrutés afin de combler les postes libérés. Le bassiste Mike Duncan pris en 1993 et le guitariste Ivan Hurd qui intégrera le groupe deux ans plus tard. Ensemble, ils s’attèlent à un nouveau défi: relancer la marque « Anvil ». Pour cela, travailler sur un nouvel album qui sera baptisé « Plugged in Permanent ». Le produit avait tout le nécessaire pour relancer la consommation. Mais dans le creux des années 90, la conjoncture n’était pas bonne et « Anvil » ne conquerra pas de nouveaux marchés.

C’est frustrant quand on sait qu’ils auraient ici repris du poil de la bête. La pièce aux courbes si fascinantes serait devenue une enclume-garou sur l’abrasif « Racial Hostility ». C’est un retour au heavy speed jubilatoire avec un mordant inédit pour la formation. En effet, on hérite tout de même de l’obscurité apparue sur les précédents albums. Mais après l’abattement et la menace, la rage et la mise à exécution de la sentence prononcée sur « Worth the Weight ». Le résultat est en tout cas curieux. On ne serait pas loin de s’accoquiner à un « Motörhead » qui aurait sniffer de la poudre à canon sur « Doctor Kevorkian ». Dépotant au niveau rythmique au point de s‘assimiler à un violent thrash metal. La batterie de Robb Reiner bombarde allégrement la piste sans faire dans le détail. Il n’est d’ailleurs pas inopportun de citer la prestigieuse formation à Lemmy. La rythmique lourde et blindée de « Smokin’ Green » n’est pas le seul lien rattachable à la formation. Il faudra aussi compter sur un Lips à la voix sourde et rocailleuse, qui a tout pour ressembler à celle de notre glorieux moustachu. Bien entendu, cela s’allie à la vivacité, à la folie, propres à la touche « Anvil ».

Toute l’efficacité, toute la vigueur sale et sombre des bombers du temps du trio magique « Overkill »/« Bomber »/« Iron Fist » ressortira également des brûlants « Face Pull » et « I’m Trying to Sleep ». « Anvil » n’avait jamais su faire preuve d’autant de violence, ni de ces riffs ténébreux endiablés, avant. Hormis ce changement salutaire, il y aura toujours des traces de persistance de son orientation heavy doom obsédante sur l’album antérieur. À commencer par « Destined for Doom », étrange mélange entre doom et psychédélique, doté d’une force insurmontable, écrasante. Le titre n’est pas pour autant à considérer à part dans l’opus. Le genre sera remis au menu en toute fin avec le titre « Guilty ». Celui-ci ne remportera pas la même adhésion. Inquiétant et rampant, tel un serpent venimeux, « Guilty » s’avérera éternisant et sans réel attrait. Pour couronner le tout, le chant si impitoyable de Lips jusqu’ alors, y serait boursoufflé, poisseux. Peut-être l’une des seules vraies fautes de mauvais goût sur ce « Plugged in Permanent » des plus ébouriffants.

On pourrait ici croire que l’authentique personnalité d’« Anvil » s’en est allée au profit d’un heavy speed trahissant intrinsèquement l’esprit et la force de frappe d’un certain « Motörhead », ou encore même une résistance d’un heavy doom ne remplissant pas entièrement sa besogne. Que les fans du « Anvil » déchainé et extravagant se rassurent. Ce côté dingo que l’on colle habituellement à la musique de nos canadiens fait son retour à travers quelques titres, tel que l’entreprenant «  Killer Hill », légèrement cacophonique. Des riffs confus se répondent par à coups, ajoutant au sentiment de chaos ambiant que l‘on pourra y percevoir. « Five Knuckle Shuffle » ne se prend pas non plus au sérieux, mené par des charges de guitares et de batterie; instruments bien décidés à ne rien lâcher. Le glas de cette folie sera poussé par « Truth or Consequence » tout aussi ravageur, et souffrant lui aussi d’un brin de redondance. Se différenciant davantage par son caractère sombre, dégageant une rythmique saccadée, tremblotante, quasi effrayante. Comme s’il s’agissait là d’un tremblement de terre, et que l’on devait directement subir ses terribles conséquences.

L’enclume n’aura pas ainsi renié l’obscurité qui l’avait fait perdre de vue avec son « Worth the Weight ». Après une période d’apprentissage, il apparaissait pourtant que le groupe était parvenu à se familiariser avec la force de l’ombre. Pourtant, l’œuvre ne remporte que peu de succès. Passant même inaperçue. Le public alors n’en avait trop que faire de cette formation, qui avait pourtant su reprendre indubitablement en force et en volume près de quatre ans plus tard, au point que « Plugged in Permanent » figurera encore aujourd’hui parmi les disques les plus violents de la discographie. Mais la seule force ne constitue pas un tout. On peut établir à sa charge le manque de fluidité de ses compositions. Une rage que rien ne semble altérer, ne se préoccupant pas suffisamment des détails pour remporter notre totale estime. Passé ce gros coup de colère, « Anvil » continue inlassablement sa traversée du désert.

14/20

2012-04-09 01:22:16